Se réinventer en période de confinement, continuer à créer coûte que coûte : c’est le défi qu’ont dû relever toutes les institutions culturelles ces dernières semaines. Pour certaines, comme les Ateliers Médicis, ce renouvellement les entraîne parfois loin de leurs bases. Comment cette jeune institution qui accueille en résidence une jeune génération d’artistes et pilote le programme national de résidences artistiques dans des établissements scolaires « Création en cours » a-t-elle vécu le confinement ? Comment ce lieu qui tire son identité de son implantation sur le territoire de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil a-t-il maintenu le lien avec son public ? Les explications de Cathy Bouvard, sa directrice.
Soutien à la création, accompagnement des publics dans les territoires périphériques : pendant la période de confinement, les Ateliers Médicis ont, semble-t-il, pleinement continué à illustrer ce credo…
Créer et transmettre, ce sont les deux piliers qui constituent l’identité des Ateliers Médicis. Notre ambition est de questionner, à travers de résidences d’artistes, le lien avec les habitants dans des zones périphériques, que celles-ci soient urbaines ou rurales. A cette fin, nous avons mis en place un dispositif comprenant, d’une part, une cinquantaine d’artistes ou d’équipes artistiques en résidence à Clichy-sous-Bois et Montfermeil – dans des collèges, des lycées, des centres sociaux ainsi qu’aux Ateliers – et d’autre part, 120 jeunes artistes en résidence dans les écoles et les classes de CM2 à travers le programme national « Création en cours ». Résultat : nous avons toute une génération d’artistes particulièrement investis, qui place la transmission vers ceux qui sont le plus éloigné de l’art au cœur de ses créations. La question qui se pose à nous aujourd’hui est double. Comment continue-t-on à accompagner ces artistes ? Comment continue-t-on à garder le lien avec ces publics éloignés des institutions culturelles. C’est en partant de ces deux impératifs qu’ont été mises en place les initiatives proposées dans le cadre du confinement.
Commandes artistiques, soutien à la création, initiatives multiples... les Ateliers Médicis se montrent particulièrement actifs en ces temps de confinement
Quel est le principe de « l’Autre expo », la dernière-née des propositions des Ateliers Médicis ?
Les artistes plasticiens – même s’ils ne sont pas les seuls, bien sûr – sont durement touchés par le confinement. Dans le même temps, leurs images n’ont peut-être jamais autant circulé sans qu’ils en perçoivent la moindre rémunération. D’où notre décision de les soutenir en suscitant ce qu’ils font de plus spécifique : des créations. C’est pourquoi nous avons donc passé commande à certains d’entre eux de la production d’œuvres inédites spécialement conçues pour le web sur le thème de la dévalorisation de l’image et du temps singulier que nous sommes en train de vivre. Josèfa Ntjam est la première à avoir répondu. Son œuvre, Quantum Mecanic, est une sorte de questionnement sur cet espace-temps inédit. Des œuvres de Julien Creuzet et Neil Beloufa lui succéderont.
Les tutoriels des artistes du programme « Création en cours » participent également au maintien du lien avec votre public.
En effet, la démarche est identique à celle de « l’Autre expo ». Pour ces jeunes artistes dont la résidence venait tout juste de commencer, tout s’est arrêté du jour au lendemain avec le confinement. Avec ces tutos, notre ambition est de leur permettre de réussir à transmettre quelque chose aux enfants. C’est comme cela que nous avons commandé une série sur les bases du beatbox – comprenant la découverte, la reproduction et l’enchaînement en rythme des sons – à Adrien Contesse, un artiste d’une promotion précédente de « Création en cours » avec lequel nous travaillons beaucoup à Clichy-sous-Bois. Le résultat est formidable. Par ailleurs, il y a des artistes qui ont continué leur travail de résidence avec leurs classes, via le web, les mails. Je pense notamment à Paul Dagorne et Tommy Bougé, qui sont en résidence dans une petite école à Garchizy dans la Nièvre. Ce sont des artistes qui n’ont baissé les bras devant l’interruption de leur résidence. Ils sont parvenus à poursuivre le travail éducatif, grâce aux équipes enseignantes. C’est une autre forme de créativité. Enfin, il y a un dernier cas de figure, celui des artistes qui ne pourront pas poursuivre leur résidence. Nous allons leur demander de préparer une « boîte à outils » pour que les écoles puissent continuer leur travail autour de ce qu’ils avaient commencé.
Autre initiative : les entretiens avec des artistes en résidence, et notamment celui réalisé avec le photographe Adrien Bitibaly qui a le projet de documenter la ligne de bus 601 Le Raincy-Montfermeil. De quoi s’agit-il ?
La question de l’enclavement du territoire de Clichy-sous-Bois - Montfermeil est naturellement au cœur de notre réflexion. La ligne de bus qu’a choisie de documenter Adrien Bitibaly va disparaître avec l’arrivée du tram. Lorsqu’il a commencé ce travail, une chose l’a frappé : dans ces banlieues, qui sont surexposées médiatiquement, il est très difficile de prendre des photos des habitants. Les photos d’Adrien Bitibaly, qui seront exposées sur les murs des Ateliers Médicis et sur une palissade de chantier, montreront cette impossibilité à saisir l’image, cette volonté de disparaitre, de ne pas être affiché. Le confinement nous a permis de prendre le temps de recueillir la parole les artistes que nous accueillons, Adrien Bitibaly, mais aussi Smaïl Kanouté, Vergine Keaton…, une chose que nous avons rarement le temps de faire habituellement et qui, pour cette raison, est particulièrement précieuse.
On le voit, le confinement est synonyme pour vous d’un véritable renouvellement. Dans quelle mesure celui-ci contribue-t-il à façonner les Ateliers Médicis de demain ?
Nous avions déjà cette volonté de travailler sur la fabrication de contenus par l’intermédiaire des réseaux sociaux. De ce point de vue, le confinement a accéléré cette démarche. Nous sommes une petite équipe et nous avons ressenti la nécessité de nous poser la question de la manière dont on diffuse ces contenus liés à l’art contemporain pour des publics qui ne sont pas avertis. Non seulement se poser la question de cette circulation mais aussi de comment on crée un lien qui soit pédagogique avec suffisamment de médiation pour que les contenus soient accessibles. Nous avons été obligés de résoudre toutes ces questions assez vite. Cela a donné naissance à l’initiative que l’on va mettre en place avec la chorégraphe Bintou Dembélé qui va commencer sous peu, intitulée Palabre. Ce seront des émissions en ligne entre Bintou Dembélé et des grandes figures de la danse urbaine, des personnalités peu connues mais qui sont des figures historiques dans l’underground. Il y aura trois épisodes de 40 minutes. Le premier sera avec le krumpeur Cyborg qui a introduit le Krump en France.
Il y a ensuite des initiatives plus souterraines qui sont des réseaux WhatsApp que l’on a créés avec nos publics ; un petit groupe d’enfants que l’on appelle nos kids, qui participent aux ateliers et à qui on diffuse quotidiennement un tuto, une vidéo ou une activité à faire. Il y a un certain nombre d’ateliers, notamment un atelier autour de la mode, que l’on continue. C’est une manière de garder le lien et de se donner un rendez-vous en direct car c’est une période où c’est un peu compliqué pour les ados. Les différentes initiatives s’adressent à des publics différents : « l’Autre expo » s’adresse à un public déjà initié à l’art contemporain et à la communauté des jeunes artistes qui nous entoure. Le plateau en direct avec Bintou Dembélé est plutôt à destination des publics des réseaux sociaux amateurs de danse urbaine, une communauté peu identifiable vue des institutions.
Quel est le programme des Ateliers Médicis cet été ?
Nous serons ouverts en juillet et en août, c’est une nécessité. Nous sommes en train d’organiser ce que l’on pourrait appeler un « festival d’ateliers » avec de nombreux artistes du programme « Création en cours » qui vont intervenir auprès des enfants. C’est quelque chose que nous faisons traditionnellement mais qui sera encore renforcé. Nous souhaitons également monter un plateau web-télé qui sera ouvert à toute intervention artistique, notamment à celles de Lucas Roxo, un jeune journaliste qui a travaillé avec le Labo 148 à Roubaix, que nous accueillons en résidence. Il arrive avec la ferme intention que la parole circule dans ces quartiers, qu’elle soit émise de ces quartiers. A nous d’en montrer la vitalité.
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