Pour quelles raisons avez-vous placé cette édition du Printemps des Poètes sous le signe du courage ?
Après l'ardeur il y a deux ans, et la beauté l'an dernier, le choix du courage cette année est une manière de poursuivre notre abécédaire poétique. Cela donne un souffle et un élan différents. J'avais aussi envie d'une bannière forte : le courage étymologiquement vient du cœur. Enfin, cette idée de courage est associée à la volonté de ressusciter, en particulier à travers des rééditions, certains grands poètes, pour lesquels le courage n'était pas un vain mot. Et parmi eux Paul Valet, un poète immense, contemporain de René Char, dont les quatre premiers livres étaient épuisés depuis 30 ans, et qui reparaissent dans la collection Poésie Gallimard sous le titre La parole qui me porte. C'était quelqu'un de fascinant. Né en Pologne, il a grandi en Russie, puis s'est exilé en France. Grand pianiste, il est finalement devenu médecin après la guerre. Son père, sa mère, et sa sœur sont morts à Auschwitz. Lui est vivant et se voue à la santé des corps et à la poésie. Il était apprécié d'Henri Michaux, de Cioran, de Dubuffet. À l'autre extrémité, nous souhaitions aussi ressusciter Alicia Gallienne, jeune poétesse prématurément disparue à l'âge de 20 ans, dont les poèmes étaient jusque-là inconnus. Dans le courage, il y a cette idée d'un souffle qui perdure. Ce sont des figures que la mort a emportées mais que la parole poétique sauve. À l'image de l'affiche originale que Pierre Soulages nous a fait l'honneur de concevoir pour cette édition, nous voulions une programmation dense et forte.
Sandrine Bonnaire, marraine de cette édition, est une autre très belle incarnation du courage.
À travers les personnages qu'elle a incarnés à l'écran, Sandrine Bonnaire porte cet éclat, cette lumière, mais je n'imaginais pas à quel point le courage était également présent dans son destin, aussi bien dans le cadre du documentaire bouleversant qu'elle a consacré à sa jeune sœur autiste, que de la parole, partant de sa propre expérience, qu'elle a portée récemment sur les violences faites aux femmes. Elle a répondu à notre invitation avec beaucoup de simplicité, avec ce courage du cœur qui la caractérise. Elle s'investit pleinement dans cette édition. Le spectacle musical d'ouverture a été conçu selon ses envies et ses inspirations. Il aura lieu au Bataclan le 10 mars, le jour de la date anniversaire des cent ans de Boris Vian. Je trouvais très beau d'avoir une marraine qui ait cette main tendue vers la musique.
Dans le courage, il y a l'idée d'un souffle qui perdure
En miroir des événements organisés à Paris, de nombreux événements auront lieu un peu partout en région et témoignent de l'engouement pour l'expression poétique en France.
Nous essayons chaque fois de tenir cette dialectique qui consiste à mettre sur pied notre programmation et, dans le même temps, à référencer les dizaines de milliers d'événements en France. J'étais par exemple à Landerneau récemment où un centre culturel organise tous les ans un concours de poésie au moment du Printemps des Poètes. Les initiateurs de ces événements sont très divers, cela va d'un hypermarché à une école, d'une municipalité à un grand théâtre… c'est formidable ! Cette année nous clôturerons le Printemps des Poètes à la scène nationale de Châteauvallon que dirige Charles Berling. Aux côtés du poète Eric Sarner, de grands comédiens et un navigateur viendront célébrer le courage et la mer. En amont de cet événement, une très belle exposition mêlant poèmes et photographies est consacrée à Boris Vian en gare d'Avignon TGV.
Faut-il du courage à un éditeur aujourd'hui pour continuer à publier de la poésie ?
J'aurais envie de vous renvoyer encore une fois à l'étymologie du mot courage : la poésie est là pour faire battre le cœur et pour parler au cœur. Quand on donne un texte, la moindre des choses, c'est d'avoir envie de le partager. L'édition de poésie en France ne s'est jamais aussi bien portée. De l'extérieur, la poésie peut paraître moins représentée que d'autres genres mais il n’y a qu’à regarder les chiffres pour se convaincre du contraire. Il se vend plus de 1000 exemplaires de livres de poches en poésie chaque jour chez Gallimard. Les éditions du Castor Astral et les éditions Bruno Doucey font tous les ans une anthologie regroupant des poètes contemporains et elle est épuisée à chaque fois. Nous publions des instantanés poétiques tous les matins sur Instagram et cela a un succès fou. Et regardez dans le métro : c'est toujours un enchantement de voir des gens, même ceux qui ont des écouteurs dans les oreilles, lever les yeux et lire un poème ! En revanche, oui, cela demande du courage d'ouvrir un livre de poésie qui risque de vous renvoyer quelque chose que vous ne voulez pas voir. La poésie parle comme personne, elle remue le lecteur et va au fond des choses.
On se dit que cet engouement doit aussi beaucoup à l'action conjuguée du Printemps des Poètes et du Centre National pour la Poésie…
Le Centre National pour la Poésie est né du Printemps des Poètes, les deux marchent ensemble. La manifestation a pris une telle envergure que tous ses acteurs se sont peu à peu tournés vers nous : un poète parce qu'il avait besoin d'une note d'auteur pour aller lire dans une médiathèque, un autre parce qu'il souhaitait qu'on le mette en avant au moment où internet débutait, des professeurs pour savoir quels poètes étudier dans leurs classes… Le Printemps des Poètes est cette organisation à laquelle revient la mission de concevoir la grande manifestation annuelle, et qui, à travers le Centre National pour la Poésie, met également en place des actions structurantes tout au long de l'année et répond aux demandes que l'on ne peut pas satisfaire dans l'urgence de l'organisation d'une édition. C'est la même caisse de résonnance qui s'étale au fil des saisons.
La poésie est une affaire d'exactitude
Un grand chantier en cours ?
J'aimerais que dans quelques années tout enfant qui voudra faire un exposé sur un poète se réfère au Printemps des Poètes plutôt que d'aller sur Wikipédia. Cela me semble plus que jamais nécessaire à une époque où l'activité éditoriale est abondante et où internet diffuse dans le même temps tant d'informations approximatives et fausses. La poésie est une affaire d'exactitude. Le Printemps des Poètes et le Centre National pour la Poésie se doivent d'être à la pointe du numérique. Ce qui existe aujourd'hui est déjà considérable, c'est un support précieux pour de nombreux professeurs, mais beaucoup reste à faire.
22ème édition du Printemps des poètes
Symbole fort s'il en est, c'est au Bataclan, le 10 mars, qu'aura lieu le spectacle d'ouverture du Printemps des Poètes placé cette année sous le signe du courage. Sandrine Bonnaire, la marraine de cette édition, sera pour l'occasion entourée de son poète fétiche Joël Bastard ainsi que des musiciens qui lui sont chers : Alice Botté, Marcello Guilani, Dominique Mahut et Erik Truffaz. Soirée en l'honneur d'Alicia Gallienne, remise du 18ème Prix Poésie des lecteurs Lire et faire lire mobilisant chaque année 71 départements et 881 bénévoles auprès de milliers d'enfants, poèmes affichés dans le métro et le RER, soirée en l'honneur d'Andrée Chedid à Issy-les-Moulineaux, exposition dédiée à Boris Vian en gare d'Avignon TGV, manifestations aux quatre coins de l'hexagone….plus de 2000 événements viendront ensuite rythmer cette 22ème édition et célébrer « cette témérité de la langue qui vous mène plus loin que la vue ne peut voir » comme l'écrit Sophie Nauleau.
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