Dans quelques mois, l’accueil du ministère de la Culture sera déplacé à l’angle des rues Saint-Honoré et Croix des Petits-Champs afin de retrouver l’entrée d’origine, plus naturelle, de l’immeuble. Ce chantier s’inscrit dans le cadre de la phase 2 des travaux visant à moderniser les locaux de l’administration et à regrouper les services ministériels sur trois sites au lieu de sept actuellement.
Depuis le début de ces travaux, confiés à l’agence R-Architecture, le ministère associe de jeunes artistes dans toutes les étapes du réaménagement. Un premier volet avait été lancé en 2021 avec deux projets temporaires : d’un côté une commande artistique attribuée à l’artiste Flora Moscovici ; de l’autre, une carte blanche donnée à cinq artistes, étudiants et jeunes diplômés de l’École des Beaux-Arts de Paris.
Techniques pointilliste et numérique
Le deuxième volet a commencé cet été avec l’installation progressive, en juillet, d’une palissade autour du chantier du futur nouvel accueil du ministère. Cette partie est habillée, pendant toute la durée des travaux jusqu’en janvier 2024, d’une œuvre d’Alexey Chernikov, étudiant en quatrième année aux Beaux-Arts de Paris. Le jeune artiste a imaginé « La compression du Renouveau », une grande et longue installation de trente mètres de long sur deux de haut pour laquelle il mêle des techniques classiques de peinture de superpositions de points de couleurs, comme le pointillisme et le divisionnisme, au traitement numérique de l’image. « J’aime travailler sur tout ce qui est en lien avec l’intelligence artificielle et les algorithmes. La transition qui s’opère actuellement est similaire à celle du début du XXe siècle avec l’arrivée de la photographie face à la peinture. Mon but est d’essayer de comprendre ce qu’on peut faire de cette technologie qui se développe si vite et ce qu’elle peut nous apporter. »
Comme inspiration pour ce projet, Alexey Chernikov cite par exemple Claude Monet et ses Nymphéas, œuvre impressionniste qui a mis du temps à trouver son public après la Première Guerre mondiale face au renouveau de l’art et des mouvements comme le fauvisme ou le surréalisme. « C’est un peu le même chemin que la photographie qui a mis plusieurs décennies à être reconnue, constate l’étudiant. Tout comme aujourd’hui, on pense que l’intelligence artificielle et les projets créés avec elle ne relèvent pas de l’art. »
Palette de peinture numérique
Pour construire l’œuvre, Alexey est parti du concept de generative loss : au fil du temps et des nombreux partages sur différents supports, une photo perd peu à peu de sa qualité, entraînant sa pixellisation progressive. « Là, je prends l’information perdue, je la retravaille et je la mets en avant », explique-t-il. Il s’est rendu devant le bâtiment du ministère, appareil photo et trépied à la main, au petit matin pour éviter la foule et obtenir des photos dans une teinte bleutée typique de ce moment de la journée. Il a pris une quinzaine de clichés de la façade, qu’il a ensuite collés ensemble pour ne faire qu’une seule longue frise de photos en très haute définition.
Commence ensuite le travail d’exportation, 365 en tout comme le nombre de jours dans une année, sur des photos de qualité différentes pour accélérer le processus de dégradation. Chaque export altère en effet l’image de base qui va peu à peu perdre en qualité et faire apparaître des artefacts - des défauts visuels - verts et rouges. Alexey Chernikov a ensuite pris sa palette numérique en travaillant ces zones de couleur pour faire ressortir les ouvertures du bâtiment et attirer le regard des passants. Le résultat possède une double lecture : l’une de près, floue et abstraite avec les pixels, l’autre de loin, qui dessine de manière concrète la silhouette du bâtiment.
L’œuvre se poursuit également à l’intérieur du bâtiment, dans l’actuel hall d’accueil, comme pour accompagner le visiteur. Cette partie suit le même procédé de traitement numérique qu’à l’extérieur et représente la future entrée. « Cette partie sera installée comme s’il n’y avait pas de mur à l’arrière : si l’on regarde tout droit, c’est comme si on regardait l’entrée », reprend Alexey Chernikov.
Formation accélérée
Avec cette nouvelle œuvre éphémère, le ministère de la Culture et l'école des Beaux-Arts de Paris poursuivent leur partenariat en associant les jeunes artistes aux grandes phases de travaux menés dans les bâtiments du ministère. « Ce type de collaboration est devenu un véritable enjeu pour l’école et ses jeunes talents, une opportunité de professionnalisation sans équivalent », estime Fabienne Grolière, responsable mécénat-partenariats aux Beaux-Arts. Structurer un portfolio, soigner la présentation de leur parcours et de leur projet, le défendre devant un auditoire, élaborer et tenir un budget, coordonner des prestataires, négocier un contrat… Toutes ces notions, déjà abordées dans le cadre de leur formation notamment au sein d’une nouvelle filière diplômante Fresque & Art en situation, sont ici mises en pratique. « Ce type de commandes et d’exercices "grandeur réelle" les amène à intervenir dans un cadre temporel, juridique, historique, public imposé. Ils apprennent ainsi à se confronter à différents enjeux et interlocuteurs, ce qui est extrêmement formateur pour eux et leur permet d’enrichir leur parcours futur. Cela leur donne notamment plus d’assurance dans leur pratique et leur ouvre de nouvelles perspectives de création. »
Comme Alexey Chernikov, une cinquantaine d’étudiants bénéficient tous les ans d'un soutien financier pour leur travail dans le cadre d’appels à projets pour des organismes publics ou privés, partenaires ou mécènes de l’Ecole, ainsi que de prix, bourses, aides à la production. De quoi se constituer un réseau conséquent pour leur début de carrière.
Voir le travail d'Alexey Chernikov
Un « Jardin cosmique » à l’intérieur du ministère
Pendant les travaux, une deuxième œuvre originale et éphémère est installée dans le jardin intérieur du ministère, sur une palissade en bois qui viendra masquer une zone chantier installée dans la partie basse du jardin. Elle sera visible par les agents du ministère jusqu’en juillet 2024. Mathias Bensimon, tout juste diplômé des Beaux-Arts de Paris, s’est intéressé à la science et plus particulièrement à la physique quantique avec son « Jardin cosmique » et s’est inspiré d’images de micro biologie pour créer des motifs sur une fresque de 21 mètres de long sur le vivant.
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