Cluster, coping, tracking… En quelques jours, ces termes scientifiques se sont répandus comme une traînée de poudre dans les médias pour évoquer l’épidémie de Covid-19. Issus de notions importées du monde anglo-saxon, ces anglicismes demeurent souvent obscurs à de nombreux Français. Pourtant, il existe des équivalents en français qui, selon le ministre de la Culture, « se disent très bien dans notre langue ». « En cette période de confinement, n’oublions pas que « cluster » se dit tout simplement « foyer » en français », observe Franck Riester sur son compte Twitter.
« Nous avons vu apparaître des notions médicales nouvelles sous forme d’anglicismes qu’il est plus que jamais impératif d’expliciter en français », reprend Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France au ministère de la Culture, en soulignant le rôle prédominant que joue la langue dans la bonne compréhension des débats. Le délégué général à la langue française et aux langues de France revient pour nous sur quatre équivalents issus du vocabulaire de la santé et de la médecine proposé par la Commission d’enrichissement de la langue française (CELF), dont il est membre.
Cluster : foyer, grappe, groupe
« Le mot anglais « cluster » fait penser à « cloître » mais il désigne en anglais la « grappe » ; par extension, il prend le sens de « regroupement dans le temps et l’espace de cas d’une maladie ». Comment traduire ce sens spécifique ? Ce qui est clair pour les familiers de la langue anglaise ne l’est pas forcément pour de nombreux Français. D’où l’importance de trouver un équivalent de ce mot en français.
La Commission d’enrichissement de la langue française a proposé le mot « foyer (épidémique) ». Ce mot présente plusieurs atouts. « Foyer », d’usage courant en français, est aussi le terme utilisé dans les autres langues romanes qui, d’ailleurs, ignorent le mot anglais. Plus spécifiquement, lorsque des disciplines comme la biostatistique et l’épidémiologie veulent désigner le « regroupement significatif de cas ayant au moins une caractéristique commune », on parlera de « grappe » ou de « groupe ».
Comorbidité : maladie et éléments pathogènes
A la différence de cluster, comorbidité est un mot français. Pour le non-spécialiste du vocabulaire de santé, les termes « morbide », « morbidité », sont synonymes de « malsain ». Mais, on le sait moins, « morbidité » appartient également au vocabulaire médical : il désigne alors « un ensemble de causes qui peuvent produire une maladie ».
Selon l'Agence nationale de santé publique ou le Dictionnaire médical de l'Académie de médecine, la notion de comorbidité se « caractérise par l’existence d’une maladie principale dite “primaire” ou “index” associée à de multiples et spécifiques conditions cliniques ». La « comorbidité » se distingue ainsi de la « multimorbidité » correspondant, selon ces mêmes sources, à « la somme de conditions cliniques sans que prédomine une maladie principale ».
Coping : affronter une situation éprouvante
« Le « coping », selon la Commission d’enrichissement de la langue française, est un anglicisme devenu assez courant en français dans les domaines de la santé et de la psychologie, qui signifie : « ensemble des stratégies comportementales et des ressources émotionnelles auxquelles recourt un individu lorsqu’il est confronté à une situation éprouvante ». D’où l’équivalent d’une efficace simplicité proposé par la CELF : « faire-face ».
Tracking : géolocalisation, traçage et reconstitution de parcours
« On entend beaucoup parler, en ce moment, de l’« opportunité d’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées », autrement dit du « tracking ». Pourquoi une notion qui a autant d’incidences sur la vie de chacun, d’un point de vue médical comme de celui des libertés publiques, n'est-elle exprimée qu'à travers un anglicisme aussi peu explicite ? N’est-il pas urgent d’en proposer un (ou plusieurs) équivalent, ne serait-ce que pour clarifier les termes du débat public ? C’est la question que s’est posée la Commission d’enrichissement de la langue française, au moment où le gouvernement vient d’installer un Comité analyse, recherche et expertise, qui doit faire des propositions à ce sujet.
Plutôt que « tracking », lorsque l’on veut dire que l’on détermine la position géographique d’une personne porteuse soit d’un téléphone mobile (multifonction), soit de tout autre objet connecté, il suffit de parler de « géolocalisation ». Et si l’on s’intéresse, plutôt qu’à la localisation de cette personne, à celle de son mobile, on parlera plus simplement de « traçage », en gardant à l’esprit que la « traçabilité » désigne le parcours des objets et des marchandises du producteur au consommateur. En revanche, on laissera le « pistage » aux amateurs d’enquêtes policières et la « poursuite » aux opérations consistant à suivre le déplacement d'un objet spatial. Enfin, plutôt que de parler du « back tracking » d’une personne porteuse du virus Covid 19, il serait plus clair de recourir à la « reconstitution de son parcours » en s’inspirant des termes « reconstitution de route » ou « reconstitution de trajectoire » employés dans les domaines maritime ou aérien ».
Enrichir la langue française
Héritage de l’édit de Villers-Cotterêts, promulgué en 1539 par François 1er, qui impose que la langue française remplace le latin dans les actes officiels, le dispositif d’enrichissement de la langue française, en complément notamment de la loi « Toubon » du 4 août 1994, garantit à chacun de nos concitoyens un droit à l’information, à l’enseignement, à la santé et au travail dans une langue partagée par tous, la langue de la République, le français.
« Tout commence par le repérage des anglicismes qui n’ont pas de traduction en français, explique Paul de Sinety. C’est l’affaire de 19 groupes d’experts animés par 11 hauts fonctionnaires chargés de la terminologie et de la langue française dans 15 ministères. Ces experts proposent des termes et rédigent des définitions, qu’ils soumettent à l’approbation de la Commission d’enrichissement de la langue française (CELF), présidée par l’académicien Frédéric Vitoux, qui à son tour les fait valider par l’Académie française et par le ministre concerné. À chaque étape, tous cherchent la meilleure définition, le terme juste et bien formé, transparent, compréhensible par chacun. Et pour ce faire, plutôt que de nous opposer les uns aux autres, nous dialoguons dans la recherche du consensus ».
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