Replacer le public au centre des collections. Cette ambition, certains musées l’ont prise très au sérieux en développant des initiatives concrètes pour proposer de nouvelles possibilités de présentation des œuvres. Ainsi, en Île-de-France, à Toulouse et à Rouen, trois expositions participatives se sont montées avec un point commun : ce sont les visiteurs qui ont décidé des œuvres qu’ils veulent voir présentées.
Des initiatives qui ont plusieurs objectifs comme celui de transformer l’expérience du visiteur et de favoriser une relation plus immédiate à l’œuvre. Les lieux d’exposition veulent aussi mieux faire connaître leurs collections publiques et, en donnant le choix à une frange du public plus néophyte en histoire de l'art, permettre une meilleure appropriation des œuvres. Enfin ces projets inclusifs ont pu se monter grâce à la mise en place d’outils numériques les plus accessibles possible.
Le Frac Île-de-France veut sortir de ses réserves
À partir du 22 juin, les quelques deux mille œuvres qui constituent la collection du Frac Île-de-France seront conservées aux Réserves de Romainville en Seine-Saint-Denis. Mais le dispositif « Sors de ta réserve » va bientôt changer la donne. Cinq fois par an, certaines d’entre elles, choisies par le public, sortiront des réserves pour être accrochées dans le lieu central d’exposition de 400 m2. « Notre objectif premier est que le public s’intéresse à cette collection qui est la leur. Une des missions du Frac est de rendre accessible nos œuvres et d’élargir le champ de notre public. Nous avons juste poussé le bouchon un peu plus loin, résume Xavier Franceschi, le directeur du Frac. Nous ne sommes pas les premiers à penser à cela mais le mettre en place à cette échelle et en permanence est inédit et a demandé un travail intense. »
Il a fallu en effet monter une application qui donne à voir l’ensemble du catalogue du fonds avec un moteur de recherche intuitif. « Notre ambition, c’est que des personnes curieuses mais pas spécialistes de l’art puissent sélectionner leur œuvre selon un processus pédagogique », poursuit Xavier Franceschi. Les internautes peuvent ainsi faire une recherche par artiste ou par nom d’œuvre ou tout simplement se laisser guider par medium ou au fil de la collection mais ils ne devront au final sélectionner qu’une seule œuvre. « Je ne choisis rien, se défend Xavier Franceschi. Même s’il y a énormément de participants et d’œuvres sélectionnées, le choix final se fera au hasard par un algorithme. » Aucun objectif quantitatif n’a été fixé car tout se fera en fonction de leur volume et de celui de la salle d’exposition. Le premier accrochage, composé de 32 œuvres réalisées par 30 artistes, sera visible jusqu’au 1er octobre et reflète la diversité de mediums de la collection.
L’an dernier, un « Sors de ta réserve #0 » avait déjà eu lieu lors de la brève ouverture des Réserves avec un public de groupe formé d’écoliers et de collégiens de Romainville. « C’était notre galop d’essai, se souvient Xavier Franceschi. Cela nous a permis de tirer beaucoup d’enseignement. Les enfants s’y sont intéressés et ont choisi des œuvres incroyables, très conceptuelles. » Ainsi, les accrochages seront choisis à tour de rôle par le grand public et par des groupes scolaires ou du champ du social. Les prochains à jouer les commissaires d’exposition seront des habitants d’une résidence Emmaüs.
Abattoirs : c’est à eux de choisir !
C’est une première pour le musée toulousain qui a décidé, en décembre dernier, de confier les rênes d’une de ses expositions au grand public. « Le partage de projets et la part de la voix des visiteurs sont importants pour nous. Nous voulions faire comprendre que le musée est à eux et que chacun peut s’exprimer même sans être un professionnel de l’art », insiste Annabelle Ténèze, directrice des Abattoirs. Initialement prévu en 2020 pour les vingt ans du musée, ce projet a finalement vu le jour l’an dernier. « Nous le faisions déjà lors de nos expositions hors les murs avec des projets avec des prisonniers ou des personnes âgées. Nous nous sommes donc demandés pourquoi nous ne pas le faire dans la partie plus « classique » du musée ? »
La collection toulousaine compte près de 3 880 œuvres et objets de toutes origines. Les équipes en ont sélectionné seulement 62 pour les soumettre au vote, en prenant en compte la représentativité de tous les mediums et la parité homme/femme chez les artistes. Le musée a mis en place un système de double vote, à la fois directement aux Abattoirs via un formulaire ou en ligne sur un site dédié. « Nous ne voulions pas pénaliser ceux qui visitaient le musée et qui auraient eu envie de voter. La question était : comment faire voter des personnes qui ne connaissent pas forcément l’histoire de l’art ? Cela nous a obligés à être pédagogues, à expliquer ce qu’est une collection et à mettre en avant les images des œuvres car le nombre de personnes qui connaissent le nom des artistes est très faible. » Le public pouvait voter pour trois œuvres et expliquer par écrit les raisons de leur sélection. Au total, près de six cents personnes ont participé au choix de l’exposition, majoritairement en ligne et habitant en région Occitanie, mais aussi dans d’autres grandes villes françaises et même à l'étranger.
L’exposition « À vous de choisir » a ouvert ses portes le 17 février avec dix-huit œuvres présentées dans les sous-sols, accompagnées d’un cartel et d’une des phrases d’un votant expliquant son choix. « Parmi elles, deux n’avaient jamais été exposées », reprend la directrice. Au départ visible jusqu’en mai, l’exposition a été prolongée jusqu’au 4 septembre aux Abattoirs, qui réfléchit déjà à d’autres manières de rendre le public actif.
Une sélection au poil dans les musées rouennais
C’est désormais un rendez-vous bien installé à Rouen puisque la « Chambre des visiteurs » existe depuis 2016 à la RMM (Réunion des Musées Métropolitains Rouen-Normandie). Ce dispositif est une manière ludique et gratuite de dialoguer avec les collections. « Ce projet répondait à trois envies : la première de mettre en valeur les œuvres des réserves, la deuxième de travailler de manière plus participative avec les visiteurs et enfin la troisième de développer des actions par le numérique », résume Frédéric Bigo, commissaire de l’exposition et responsable du service des publics.
La RMM est née en 2016 de la réunion de huit musées – onze depuis 2021 - du territoire normand, avec désormais un patrimoine de plus d’un million d’objets. Dès la troisième édition, les équipes ont décidé de choisir un thème suffisamment universel pour collecter des biens de toutes les époques, tous les mediums et, bien sûr, tous les musées. « Ce thème permet de faire une présélection avec les équipes de conservation de chaque musée et de faciliter l’implication des visiteurs. »
Après cette étape, entre 80 et 100 œuvres sont proposées au vote sur un site dédié pour les internautes. « Nous essayons de trouver des œuvres qui suscitent la curiosité, reprend Frédéric Bigo. Nous faisons aussi en sorte de ne pas mettre d’informations techniques sur la plate-forme mais plutôt des anecdotes vérifiées et un discours décalé afin que le votant ne soit pas guidé par la notoriété de l’artiste et qu’il choisisse selon son goût. » Au départ prévu également sur place dans les musées, le vote se fait désormais uniquement en ligne pour « construire une communauté plus large que nos visiteurs ».
Entre 4 000 et 8 000 personnes prennent chaque année part à un scrutin qui réserve tout le temps son lot de surprises et ses revirements de situation. Au terme des deux mois de vote – qui débute généralement à partir des Journées européennes du patrimoine - la vingtaine d’œuvres qui ont remporté le plus de suffrages sont exposées dans l’un des onze musées. Cette année, c’est une exposition sur le thème du poil qui a ouvert le 14 mai dernier au musée de la Céramique à l’occasion de la Nuit européenne des musées et qui sera visible jusqu’en septembre. « Il y a un engouement certain autour de cette exposition, constate Frédéric Bigo. Certains visiteurs ne viennent que pour cela. » De quoi poursuivre avec une septième édition qui a déjà son thème trouvé : « À table ! ».
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