A l’occasion des 20 ans de la loi du 4 janvier 2022 relative aux musées de France, une journée d’études qui s’est tenue le 12 décembre dernier au musée d’Orsay, a permis de faire le bilan de ces deux décennies mais aussi d’envisager le « musée de demain » sous l’angle de l’accueil du public, de la valorisation et du partage des collections et sur le projet scientifique et culturel des établissements.
Les collections confrontées à de nouveaux enjeux de partage et de valorisation
La loi du 4 janvier 2002 est née d’une nécessité de changement puisque jusqu’alors, les musées étaient régis par une ordonnance provisoire datant de 1945, « un texte robuste mais qui montrait quelques lacunes, rappelle Francine Mariani-Ducray, directrice des musées de France de 2001 à 2008. Il ne proposait par exemple pas de protection du mot « musée », ne portait que sur les musées des Beaux-Arts et on touchait donc à la limite de ce qu’on pouvait y englober comme les musées de sciences et techniques ou d’histoire naturelle. Il fallait donc trouver un système commun pour tous les musées et seule la loi pouvait le construire. Cette loi a été faite pour être compréhensible par l’ensemble des interlocuteurs, appropriable par les collectivités et se concentrant sur l’appellation musées de France, la définition des musées et de ses missions et la nécessité de concevoir et mettre en œuvre des actions d’éducation ».
La loi votée se basait sur quatre axes. Le premier, celui de la préservation et de l’enrichissement des collections et notamment l’introduction d’un récolement – d’un inventaire – décennal des œuvres. Il est lié au second axe, celui des bâtiments muséaux qui permettent de protéger, de mettre en valeur et de présenter ces collections au public. « La mobilisation a été très forte pour rénover beaucoup de musées en France car ils servent de levier d’attractivité du territoire », poursuit Marie-Christine Labourdette, directrice des musées de France de 2008 à 2018.
Elle a institué des commissions scientifiques régionales auxquelles les musées de France doivent s’adresser en cas de projet d’acquisition ou de restauration. Les DRAC sont les organisatrices de ces commissions. « Ce sont des lieux de partage et de collégialité entre professionnels puisque nous avons dans ces commissions une quinzaine d’experts dans tous les domaines qui représentent toute la diversité des musées de France, poursuit Brigitte Liabeuf, conseillère pour les musées à la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes. Elles donnent un panorama assez exhaustif de la situation des musées en région. » Ces commissions ont évolué, notamment sur le plan de la restauration, pour permettre d’accorder plus de temps aux dossiers plus complexes ou accompagner les professionnels. Un cadrage dont a pu profiter le centre national du costume de scène (CNCS), ouvert en 2006 à Moulins. « Nos acquisitions sont de l’ordre du domaine du spectacle et nous sommes l’un des seuls établissements à conserver ce type d’éléments. Nous avons donc beaucoup de propositions de dons et nous arrivons en commission avec un ensemble complexe que nous essayons de limiter à 30 ou 40 costumes, ce qui constitue tout de même 150 éléments », confie Delphine Pinasa, la directrice.
Cette loi a également permis l’instauration d’un réseau de professionnels et d’une coopération entre institutions. « En temps de covid, la question de cette dimension humaine est devenue centrale, rappelle Anne-Solène Rolland, cheffe du service des musées de France de 2019 à 2022. La loi a permis de dialoguer dans un réseau structuré et entre pairs pour partager nos problématiques et nos solutions. » À Saint-Germain-en-Laye, le musée d’archéologie nationale possède un trésor connu depuis 1893 composé de 325 monnaies et 74 lingots dont une partie avait été dispersée sur le marché. « L’équivalent de 70 monnaies ont été identifiées et nous avons pu co-acquérir avec le musée de l’Aquitaine (à Bordeaux NDLR) 25 monnaies supplémentaires pour nous et onze pour eux. Cela a donné lieu à une programmation croisée et nous a permis de réintroduire différents types monétaires qui n’étaient pas identifiés jusqu’à présent et de renforcer nos collections », explique Rose-Marie Mousseaux, directrice du musée et du Domaine national
Pour une meilleure diffusion des œuvres, les Abattoirs de Toulouse, à la fois musée et FRAC (fonds régional d'art contemporain), a choisi de faire une exposition participative avec le public à l’occasion des vingt ans du musée. « Cela nous a beaucoup obligés à questionner notre rapport aux collections et comment nous les partageons avec le public », explique Annabelle Ténèze, directrice des Abattoirs. Une sélection emblématique a été effectuée et validée par un vote interne. Elle mélange acquisitions récentes et anciennes représentatives de tous les mediums. « Grâce à elle, nous avons pu faire acte de pédagogie car souvent, nous montrons nos collections sans expliquer d’où elles viennent et comment elles sont arrivées ici », poursuit Annabelle Ténèze.
Du côté de Nice, le musée national du sport, le seul en France consacré à ce thème, se prépare aux Jeux olympiques de Paris 2024. Dans l’optique de cet événement, l’établissement va mettre à disposition et faire circuler sa collection riche de 45 000 objets aux musées qui en font la demande en région parisienne. « Nous travaillons aujourd’hui avec une quarantaine de structures et nous aimerions élargir ce réseau avec le ministère, les DRAC mais également le comité d’organisation des Jeux », prévoit Marie Grasse, la directrice générale du musée qui prévoit également une grande collecte d’archives sportives pour valoriser ce patrimoine.
Une nouvelle relation à construire entre les musées et leurs publics
Le troisième axe fort de la loi sur les musées consiste à travailler sur l’accueil des publics, avec notamment la question de la gratuité des lieux, finalement accordée dans la majorité des musées de France aux moins de 18 ans. « Cette décision était importante car elle permettait à des jeunes d’aller dans ces lieux », souligne Marie-Christine Labourdette. Le musée d’Orsay a fait de l’accessibilité financière l’un de ses chevaux de bataille. « Nous avons fait le choix par exemple de baisser le prix de notre nocturne du jeudi, qui est passée de 14 à 10 euros. Nous avons doublé le nombre d’entrées », constate Pierre-Emmanuel Lecerf, administrateur général de l’établissement public du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie - Valéry Giscard d'Estaing. Le Département de l’Isère, lui, a fait le choix de la gratuité pour tous dans ses 11 établissements.
Les établissements mènent également la bataille de l’hospitalité des publics, avec la difficulté de faire franchir au public le « dernier kilomètre » qui le sépare de l’entrée d’un musée. Le Département de l’Isère, se pose la question de l’implantation des musées sur le territoire. « Nous avons besoin de musées en milieu rural pour une question de maillage de territoire », note pour sa part Aymeric Perroy, directeur de la culture, du patrimoine et de la coopération internationale. À Narbonne, le musée Narbo Via tisse un lien patient mais durable avec le quartier dans lequel il est implanté. « L’hospitalité commence à l’intérieur et se poursuit à l’extérieur, résume Anne Lamalle, directrice du pôle médiation et communication. Ce travail permet de proposer une expérience muséale réussie et surtout, qui se répète. » L’établissement est également en co-construction avec des associations d’un programme de visite destiné aux personnes atteintes de handicap pour capter ce public éloigné du monde muséal.
Les jeunes constituent un des publics spécifiques importants pour les musées et ceux-ci multiplient les initiatives pour établir une relation durable avec eux. Le muséum national d’histoire naturelle a mis en place des visites en réalité virtuelle pour créer une nouvelle expérience de visite tandis que le musée d’Orsay travaille sur deux tranches d’âges : les 0-6 ans, peu présents dans les expositions, et les plus de 26 ans qui sortent de la gratuité.
Les musées veulent également répondre aux attentes des visiteurs, notamment sur le volet de la transition écologique. « Nous devons nous interroger sur la manière dont on introduit ces problématiques dans les musées », estime Bruno Girveau, directeur du palais des Beaux-Arts et du musée de l’hospice Comtesse à Lille. Avec au final des expositions militantes, par exemple sur la représentation du vivant ou, comme au muséum national d’histoire naturelle, des podcasts ou des livres. « Nous nous interrogeons sur comment aller vers la société pour parler de biodiversité, sur notre engagement et sur la manière de développer ce que la science peut nous dire sur ces sujets », souligne Agnès Parent, directrice des publics.
Un projet scientifique et culturel à repenser ?
Enfin le dernier axe concerne le projet scientifique et culturel (PSC), un document opérationnel et stratégique obligatoire depuis la loi LCAP de 2016 qui permet de définir l’identité et les orientations d’un musée. Les établissements se sont emparés de ce PSC, comme par exemple le musée de l’Armée qui a décidé d’en faire « une expérience collective structurante », comme le résume Ariane James-Sarazin, directrice adjointe. Dix groupes de travail ont été créés pour élaborer les axes stratégiques et pour faire des équipes des ambassadeurs de ces axes. « Le PSC doit être vu comme un journal de bord, un outil toujours ouvert et collectif. »
La même méthode a été appliquée au musée des Confluences de Lyon, établissement récent ouvert en 2014. L’ensemble de l’équipe a été amenée à travailler sur trois thèmes, celui du musée responsable, du respect des publics et du rayonnement international. Le travail des groupes a permis d’alimenter le PSC, adopté définitivement en 2020. « Il a permis de donner un cap, une ambition, une stratégie et une gouvernance au quotidien », résume Hélène Lafont-Couturier, la directrice.
Au musée des Beaux-arts de Brest, le PSC est allé encore plus loin en faisant appel aux habitants. « Lors de notre réflexion, la question de la méthodologie est apparue, explique Sophie Lessard, la directrice. Le musée souffre d’une faible notoriété au niveau local donc nous avons décidé de mener une concertation avec le public pour réfléchir à son avenir. » Cette collaboration s’est faite lors de conseils consultatifs de quartiers. Le PSC, rédigé suite aux retours des habitants, a été validé et va permettre d’engager un programme de réhabilitation et d’extension des lieux.
Le CAPC-musée d’art contemporain de Bordeaux a, quant à lui, voté son PSC en janvier dernier après deux ans de travail. « Ce document a répondu à plusieurs de nos problématiques et de travailler avec des membres de notre équipe et donc à resouder les liens », se souvient la directrice Sandra Patron.
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