Venu de la salle de répétition, le son des basses fait résonner tout le bâtiment. Sur la mezzanine, une artiste en résidence travaille sur son ordinateur, casque sur les oreilles. Bienvenue aux Ateliers Médicis, un lieu où toutes les disciplines artistiques convergent, où les périphéries deviennent centrales. Créés en 2015, ces ateliers sont implantés à la limite de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil avec, à la tête du navire, Cathy Bouvard – arrivée en 2019 et renouvelée en juin dernier avec Renan Benyamina, directeur délégué. « C’est un début d’aventure avec des enjeux très importants puisqu’il s’agit d’inventer une nouvelle forme d’institution culturelle sur un territoire très en attente. Cet équipement a été promis aux habitants en 2007 donc il fallait que l’on fasse les choses rapidement et soigneusement. »
Un soutien à la création par des résidences
Les diverses expériences qui ont scandé le parcours de Cathy Bouvard – elle a été tour à tour journaliste, puis secrétaire générale du Théâtre de la Croix-Rousse et directrice des Subsistances, à Lyon – semblent animées et aimantées par un seul et même objectif : partager et transmettre. L’accompagnement est ainsi au cœur de son projet global des Ateliers Médicis où elle entend, avec des artistes accueillis à Clichy-Montfermeil, approfondir leur travail, en relation avec les habitants.
Cet accompagnement, c’est aussi, depuis 2016, Créations en cours, des résidences dans des territoires qui s'adressent aux jeunes professionnels issus de toutes disciplines artistiques. « Notre originalité est d’être transdisciplinaire car on n’accompagne pas de la même manière quelqu’un qui fait du théâtre, de la performance, des arts visuels, de la photographie ou du cinéma. » Sept ans plus tard, plus de mille artistes ont bénéficié de ce soutien. Une véritable « génération Ateliers Médicis », comme l’ont dit certains observateurs ? « C’est une expression qui nous flatte, admet Cathy Bouvard, mais nous n’avons pas encore suffisamment de recul pour nous rendre compte de la véritable portée de ce programme. Une chose est sûre : nous avons aidé de jeunes artistes à s’implanter durablement sur un territoire et à y mener un travail aussi important pour l’artiste que pour le territoire. C’est déjà considérable ». Ce soutien n’est pas que créatif mais également administratif et juridique, afin de faciliter l’insertion professionnelle de ces jeunes artistes.
Avec Transat, un Été culturel qui s’annonce solidaire
De Créations en cours à Transat, il n’y a qu’un pas que de nombreux artistes ont franchi. Ce festival – partie prenante de l’Été culturel organisé par le ministère de la Culture – contribue à faire rayonner cette nouvelle génération d’artistes pour les accompagner dans la durée. « Transat, comme l’Été culturel, fait en sorte que l’art, dans ces temps de vacances – au sens vide du terme – permette de rencontrer des publics nouveaux. » La première édition, en 2020, tenait de la gageure avec une centaine de résidences partout en France avec des structures du champ social : Ehpad, MJC, Esat ou encore des établissements d’hébergement d’urgence. « Ces espaces de copartage sont proposés avec des artistes dans des lieux qui ont peu ou pas l’occasion de les accueillir comme les structures du champ social et médico-social. Ces résidences sont similaires à celles d’aide à la création, de transmission et de recherche que l’on propose déjà in situ aux Ateliers Médicis », explique Lamia Zanna, de l’équipe Transat composée de six personnes. Le festival s’est peu à peu ouvert à de nouveaux artistes et de nouvelles structures culturelles et sociales. Cette année, il permettra par exemple à Nawufal Mohamed, un jeune journaliste habitant Clichy et originaire des Comores, d’exporter son media La chaise pliante à Mayotte le temps d’une résidence sur le thème « Communautés choisies, communautés subies » avec à la clé la réalisation d’un documentaire.
Cette année, 85 ateliers sont prévus partout en France, en métropole comme en outre-mer, sur un modèle très simple : moitié création à travers des résidences, moitié transmission avec le public, le tout entre 4 et 8 semaines jusqu’au 15 septembre. Dans ce dispositif, les Ateliers Médicis jouent le rôle de précieux intermédiaires entre un artiste, un territoire, un public, une institution culturelle et une structure. Le maillage est précis, grâce à quatre chargés de production qui habitent, connaissent leur territoire et assurent une proximité pendant la saison. « Transat pose la question du partage du processus de création et on invite les personnes à rentrer dans ce processus, notamment les équipes et le corps administratif des institutions. Cela crée l’imprévu, à la fois pour l’artiste et la structure », reprend Cathy Bouvard. Le dispositif permet de créer de belles histoires qui se poursuivent sur le long terme, comme cette adaptation d’Antigone de Sophocle par Sébastien Kheroufi mise en place l’an dernier et encore à l’affiche avec les participantes de la résidence.
Clichy-Montfermeil
doit devenir un lieu
d’où l’on parle et non pas
dont on parle
Nouvelles voies, nouvelles voix
À travers ses différentes expériences, Cathy Bouvard a également contribué à créer des réseaux internationaux de coopération artistique, notamment autour de la performance et du cirque contemporain. En 2019, elle arrive à Clichy-sous-Bois avec un projet de « laboratoire international des périphéries ». « Laboratoire parce qu'on essaie et structure beaucoup de choses. La question des résidences de territoire par exemple est centrale puisqu’on en organise 250 par an dans des lieux dit périphériques, urbain et ruraux. Les bords sont partout. » Cathy Bouvard et son équipe ont également développé la dimension internationale avec des partenariats avec des institutions basées à l’étranger. Clichycago, coproduit avec la Villa Albertine, permet de tisser un lien fort avec le South Side de Chicago, les quartiers sud de la ville riches en centre culturels, à travers une plateforme d’échange d’artistes, de pratiques et d’institutions.
Mais les Ateliers Médicis sont avant tout ancrés dans leur territoire et œuvrent au quotidien pour que Clichy-Montfermeil soit « un lieu d’où l’on parle et non pas dont on parle », résume Cathy Bouvard. Le projet veut donc s’insérer dans ce quartier « en tenant compte de ce qui est déjà là, poursuit la directrice. C’est un sujet sensible, à aborder avec soin : comment une institution culturelle d’ambition nationale s’insère dans un quartier populaire. Pour nous c’est une notion importante de prendre en compte. Cela passe par une équipe qui ressemble à la vie de tous les jours avec des horizons différents et par des outils qui permettent de repenser la gouvernance avec le territoire. »
Une autre réponse est aussi de mettre en lumière de nouvelles voies et voix. C’est ainsi qu’en novembre dernier a été créée la Renverse, une école d’art pour des jeunes de 16 à 23 ans résidant en Seine-Saint-Denis ou dans les départements limitrophes. Cette formation d’un an est – là encore - transdisciplinaire, aussi bien dans les domaines de la mode, du numérique, des jeux vidéo ou du design d’objet.
Un futur bâtiment pour mettre en place le projet des Ateliers Médicis
Le projet de Cathy Bouvard prendra toute son ampleur en 2026 avec la sortie de terre d’un nouveau bâtiment de 5 000 m2, cinq fois plus que le bâtiment de préfiguration actuel. Les Ateliers Médicis prendront alors la forme d’un campus qui rassemblera toutes les activités de l’institution. « Ce nouveau bâtiment va nous permettre de pouvoir rassembler les énergies dans un seul bâtiment pour créer les ponts, les mélanges et l’énergie. Aujourd’hui, il est complexe de travailler dans un petit bâtiment comme le nôtre et de cristalliser toutes les activités. » Ainsi, la Renverse, aujourd’hui au conservatoire de Clichy-sous-Bois, et l’école Kourtrajmé intègreront ce campus qui comprendra également un vrai plateau media et dans les étages, des espaces de travail où chacun pourra apprendre, se former et créer. Il sera également situé aux portes de la future gare de Clichy-Montfermeil sur la ligne 16 du Grand Paris Express, dont l’ouverture coïncidera pratiquement avec celle de ce bâtiment.
Ces Ateliers cinq fois plus grands s’ouvriront encore plus vers l’extérieur grâce à 1 000 m2 de jardins, un grand hall vivant et chaleureux, une terrasse perchée à douze mètres de haut accessibles à tous les publics et deux ateliers de couture et de travail sur le bois. Même avant son ouverture, la conception du bâtiment est imaginée en concertation avec les acteurs du quartier avec des permanences architecturales menées par l’architecte clichoise Khadija Barkani qui viennent nourrir la réflexion. Une démarche qui définit bien la mission des Ateliers Médicis et de Cathy Bouvard : une grande ambition dans un bâtiment bien ancré localement.
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