C’est un tournant dans la délicate question des disparus de la guerre d’Algérie. En ouvrant au public par arrêté du 9 avril 2020 des dossiers auparavant classés secret-défense, le gouvernement a rendu accessibles à tous les fonds d'archives sur les disparitions survenues pendant la guerre d'Algérie. Pour faciliter les enquêtes qui peuvent désormais être menées à partir des fonds nouvellement mis à disposition, un guide a été édité par le service interministériel des archives. Son ambition ? "Accompagner tous les publics intéressés, qu'ils soient chercheurs ou non", nous expliquent Brigitte Guigueno, conservateur en chef chargé de la politique des publics et Jean-Charles Bedague, sous-directeur de la communication et de la valorisation des archives au Service interministériel des archives de France, dans l'entretien qu'ils nous ont accordé.
Cette démarche va faire l'objet, le 4 décembre 2020, d'une rencontre organisée par le Service interministériel des archives de France du ministère de la Culture. « Je salue la tenue de cette rencontre autour du Guide numérique sur les disparus de la guerre d’Algérie, qui, pour la première fois, réunit historiens et archivistes autour des sources de cette période douloureuse de notre histoire commune avec l’Algérie. À sa manière, elle contribue à la volonté de réconciliation des mémoires et des peuples français et algériens, portée par le Président de la République », a souligné la ministre de la Culture.
L'arrêté du 9 avril 2020 permet la consultation des fonds d'archives concernant les disparus de la guerre d'Algérie. Quelle est la genèse de cette décision gouvernementale ?
Dans sa déclaration du 13 septembre 2018, le Président de la République a reconnu, au nom de la République française, qu’en 1957 Maurice Audin, alors jeune militant du Parti communiste algérien, avait « été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile ». A travers cette reconnaissance, il a souhaité également encourager le travail historique sur « tous les disparus de la guerre d’Algérie, français et algériens, civils et militaires » et a annoncé l’ouverture, par dérogation générale, des fonds d’archives sur ce sujet. C’est ainsi que deux arrêtés de dérogation ont été publiés, l’un le 9 septembre 2019, portant ouverture des archives relatives à la disparition de Maurice Audin, l’autre le 9 avril 2020, portant sur les fonds de la Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels.
Un outil de médiation en faveur des publics qui cherchent des réponses rapide et précises à leurs interrogations
En quoi cette démarche est-elle novatrice ?
Certes, depuis la loi sur les archives de 2008, qui a abaissé les délais de communicabilité, beaucoup de documents avaient été rendus librement consultables ; certains d’entre eux pourtant, relatifs notamment aux affaires portées devant les juridictions ou aux enquêtes de police judiciaire, couverts par un délai de 75 ans, font néanmoins encore exception. Ces documents, auxquels les historiens avaient déjà eu accès par le biais de dérogations individuelles, sont désormais accessibles à quiconque en fait la demande, sans justificatif particulier à apporter.
Pour l’administration des archives, cette décision a été un vrai défi. En effet, jusqu’à présent, les quelque vingt dérogations générales signées depuis la fin des années 1970 portaient soit sur des fonds, soit sur des typologies documentaires, soit sur des périodes. Cette fois, la dérogation porte sur des preuves, qui plus est des preuves de l’absence, éparpillées en de multiples fonds. Elle touche à l’intime, elle interroge les mémoires de la guerre, des mémoires contrariées, parfois contraires.
Pour accompagner cette ouverture, le service interministériel des archives de France a édité un guide numérique. Quelles sont les missions que vous lui avez assignées ?
La réponse apportée à l’ouverture des archives ne pouvait être que juridique. Le Service interministériel des Archives de France s’est donc proposé de l’accompagner sur le plan scientifique et pédagogique avec la création d’un outil de médiation, d’aide à la recherche, notamment en faveur des publics pour lesquels les archives peuvent paraître un dédale, et qui cherchent des réponses rapides et précises à leurs interrogations.
Le but du Guide numérique sur les disparus de la guerre d’Algérie est d’offrir un panorama d’ensemble sur les archives relatives à ce sujet, quel que soit le lieu en France où elles sont conservées, et de diriger vers les principaux fonds susceptibles d’apporter des éléments de réponse à une recherche.
Vous avez pris soin dans l'introduction de préciser que même si un tel guide a vocation à faciliter les recherches, celles-ci demeureront difficiles voire infructueuses. Pourquoi une telle mise en garde vous semblait-elle nécessaire ?
Nous avons essayé d’être le plus pédagogique possible ; aussi, pour faciliter la recherche, les archives sont présentées par catégories de disparus, et non par lieux de conservation. Cela dit, la recherche demeure difficile et sans garantie de succès car :
- certains documents sont aujourd’hui perdus ;
- il n’existe pas de liste nominative complète des disparus de la guerre d’Algérie, l’administration de l’époque n’en a jamais produite ;
- la qualité des informations données par les documents impose la prudence : des renseignements concernant une même personne peuvent diverger, selon le document consulté ;
- les noms qui figurent dans les archives peuvent comporter des erreurs ou des variantes pour une même personne.
L'ouverture de ces archives était très attendue. En quoi ce guide renouvelle-t-il la transmission au public ?
Ce guide diffère beaucoup des instruments de recherche qui ont pu être élaborés jusqu’à présent. Avant tout, il s’agit du premier outil d’orientation sur le sujet des disparus de la guerre d’Algérie. Son élaboration s’est faite en un temps record (huit mois) et a réuni l’ensemble des institutions publiques françaises qui conservent des fonds pouvant documenter les disparitions. Il se veut accessible : conçu pour s’adresser à un public à la fois de chercheurs, mais aussi – et surtout – de particuliers peu au fait de l’organisation et du fonctionnement des archives, il a été traduit en anglais et en arabe. Enfin, puisqu’il s’agit d’un guide numérique, il pourra être mis à jour au fur et à mesure du classement de fonds qui pourraient encore apporter des éclairages sur le sujet.
Guide numérique sur les disparus de la guerre d’Algérie : un travail collectif
Le guide est le résultat d’un travail interministériel qui a intégré les institutions conservant les principaux fonds relatifs aux disparus de la guerre d’Algérie. Piloté par le Service interministériel des archives de France, il a été co-rédigé avec les Archives nationales, les Archives nationales d'outre-mer, les Archives de Paris et la Préfecture de Police de Paris ainsi qu'avec le ministère des Armées (Direction des patrimoines, de la mémoire et des archives, et Service historique de la Défense) et le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (Archives diplomatiques). « Le guide a nécessité huit mois de travail interministériel, mais s’appuie sur des classements qui ont été réalisés depuis des années par les différentes institutions détentrices des fonds », souligne Jean-Charles Bedague, sous-directeur de la communication et de la valorisation des archives au Service interministériel des archives de France
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