Tous les jours en France, chacun d’entre nous traverse des rues bordées d’immeubles, d’établissements scolaires, de gymnase ou de stade, croise une statue dans l’espace public, une fontaine ou un élément de mobilier urbain, des chemins de fer, admire un port fluvial, des vignobles, des vallées… Ce sont autant d’éléments du patrimoine, culturel, historique et scientifique, mais aussi paysagers, qui participent à notre vie au quotidien. Pour mieux le comprendre, mieux le transmettre, il est nécessaire de le recenser et de l’étudier avant de le faire connaître. C’est le rôle de l’Inventaire général du patrimoine culturel, créé en 1964 pour établir un répertoire scientifique s’intéressant à tout objet allant « de la cathédrale à la petite cuillère ».
Une mémoire du patrimoine
Cette vaste entreprise est née de la volonté d’André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, de préserver le patrimoine historique, à l’image de la restauration du château de Versailles et du vote de la loi Malraux du 4 août 1962, qui a complété et renforcé la législation en la matière. « Il partait du constat d’une France en pleine mutation, explique Alain Beschi, chef de la mission de l’Inventaire général du patrimoine culturel du ministère de la Culture. On est dans les Trente Glorieuses, dans une France qui se transforme profondément et où des pans entiers du patrimoine sont en train de disparaître. Malraux a souhaité mettre en œuvre un projet de collecte d’une mémoire de l’art en France, confié à deux autres figures tutélaires : André Chastel, historien de l’art, et Jean-Marie Pérouse de Montclos, historien de l’architecture. »
L’Inventaire, en effet, s’il entend produire des éléments précis sur des édifices protégés, en vue par exemple de les restaurer, vise également à « réunir une documentation sérieuse sur les innombrables édifices, fragments d'édifices, ou ensembles d'édifices qui n'ont jamais fait et ne feront jamais l'objet d'une mesure administrative, qui sont d'ailleurs plus ou moins légitimement voués à disparaître, et dont il est inadmissible qu'on ne constitue pas le dossier, quand il en est temps encore », peut-on lire dans le document de 1964 adopté par la commission nationale chargée de préparer l’établissement de l’Inventaire, sur la base d’un rapport présenté par André Chastel.
Être au plus près des territoires
Ce travail de mémoire s’avère indispensable dans les projets d’aménagement du territoire mais aussi dans tous les pans de la gestion du patrimoine. Et dès l’origine, l’Inventaire s’est donné une triple mission : repérer, étudier et faire connaître les richesses existant dans toute la France. L’objectif est alors de permettre une analyse directement sur le terrain, « in situ », par une approche concrète du patrimoine. Avec le transfert de la compétence aux Régions dans le cadre de la décentralisation de 2004, l’Inventaire noue des partenariats très forts avec les acteurs locaux, de manière à révéler toutes les réalités des territoires. Selon Marcelline Brunet, cheffe du service patrimoine, tradition et Inventaire au Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur, le champ d'intervention des Régions concerne le « patrimoine monumental et mobilier, mais également tout le secteur des musées, donc toutes les politiques musées, la construction, la réhabilitation, les mises aux normes, les expositions, tout ce qui concerne les F.R.A.M (Fonds régionaux pour les acquisitions des musées), tout ce qui concerne la construction et l’aménagement des CIAP (centre d'interprétation de l’architecture et du patrimoine) mais également tout ce que nous appelons maintenant le PCI (Patrimoine culturel immatériel) mais qui pourrait beaucoup plus simplement être appelé la valorisation des cultures, des langues… »
Dès lors, au niveau territorial, l’Inventaire s’intéresse à toutes les formes de patrimoine, qu’il soit protégé ou non : religieux, industriel, rural, urbain, hospitalier… L’enjeu est notamment de mettre en valeur le lien qui se crée avec le vivant, avec les habitants, avec les traditions et de valoriser ainsi des éléments du patrimoine en vue de contribuer à la connaissance du territoire et à favoriser son attractivité touristique, c’est-à-dire à son identité. « Promenez-vous dans les villages en France et vous verrez des quantités assez importantes de lavoirs et de fours à pain, explique Marcelline Brunet. Avec le four à pain, une fois qu’il est restauré, on fait la fête du four, on fait cuire des pizzas, des tartes ; tout le village se réunit, c’est un lieu et un moment de convivialité. Mais le lavoir, tout le monde veut le restaurer, y remettre l’eau et qu’il soit entretenu. Pour autant, aucune personne dans les villages n’aurait l’idée saugrenue d’aller y laver ses draps : on voit bien à quel point ce rapport est uniquement de l’ordre de l’affectif intime. »
Du sport à la petite cuillère : diffuser un patrimoine vivant
De la petite cuillère à la cathédrale, en passant par le lavoir, c’est bien là la force de l’Inventaire général : il ne s’impose aucune barrière quant aux éléments du patrimoine à recenser. A l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, le patrimoine du sport a été mis en lumière à travers la Grande Collecte des archives du sport pilotée par le Service interministériel des Archives de France au ministère de la culture. Pour l’Inventaire, « les Jeux Olympiques, explique Alain Beschi, ont été l’occasion de faire un focus sur tout le travail qui avait été mené et diffusé dans les bases de données de l’Inventaire et de faire remonter à la surface un certain nombre d’enquêtes, par exemple en Île-de-France, mais également en Bretagne, notamment à travers la photographie ». Car la photographie constitue l’un des multiples supports de travail de l’Inventaire. Outil de mémoire, elle est l’une des étapes clés de ces études qui mêlent les disciplines et les compétences : chercheurs et documentalistes y côtoient des dessinateurs et cartographes, des gestionnaires de bases de données, des chargés de valorisation et d’autres métiers qui permettent de constituer une documentation précise et scientifique.
Témoin du passé et du présent, au plus proche des territoires, l’Inventaire ne cesse de se questionner, de s’adapter au regard des évolutions sociétales, technologiques et climatiques, cherchant à mieux impliquer les citoyens dans cet acte de mémoire, à comprendre l’évolution du patrimoine : selon Alain Beschi, « il doit faire la preuve de sa capacité à se réinventer, comme il l’a toujours fait depuis soixante ans, et donc de se diriger peut-être aussi vers de nouveaux patrimoines ».
Retrouvez la vidéo du Midi de la Culture organisé par le ministère de la Culture sur le thème « L’Inventaire général du patrimoine culturel : 60 ans d’une aventure collective »
60 ans d’Inventaire général… et demain ?
Le soixantenaire de l’Inventaire général donne l'occasion de porter un regard toujours neuf sur le patrimoine culturel. Le 4 décembre, une journée d’étude, qui se déroulera à l'Institut national d’histoire de l’art (INHA) à Paris, fera l'état des lieux de ce dispositif porté à la fois par les régions et l’État. L'accélération du rythme des innovations ou encore l'apparition de l’intelligence artificielle pose la question de l'adaptation de la méthodologie de l'Inventaire et de sa place dans les politiques publiques en faveur du patrimoine culturel : la journée d'études portera donc également un regard plus prospectif sur ses possibles évolutions pour la prochaine décennie.
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