« En avril, le Conservatoire a emmené douze élèves au Brésil pour une série de rencontres et de concerts avec les musiciens de l’orchestre de jeunes de Sao Paulo. Ce voyage, qui n’aurait jamais pu voir le jour sans un important apport du secteur privé, a été une réussite totale : nous avons découvert de jeunes élèves à l’enthousiasme débordant avec une conception rythmique très différente de la nôtre et nous avons joué dans des endroits atypiques, notamment des favelas », se félicite Bruno Mantovani, directeur du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, hôte de ce premier jeudi du mécénat organisé hors les murs. Un Jeudi du mécénat décidément pas comme les autres : le directeur du Conservatoire a invité plusieurs élèves à venir le rejoindre sur scène où, ensemble, ils ont interprété Octandre d’Edgard Varèse, une pièce jouée précisément au Brésil. Difficile d’imaginer plus belle entrée en matière.
Aujourd’hui, le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, c’est « 30 millions de budget annuel, 400 enseignants et 1200 élèves », rappelle Robert Fohr, chef de la mission mécénat du ministère de la Culture. « Dans ce contexte, quel est le rôle du directeur en matière de mécénat ? » interroge-t-il. « Il ne faut ni changer ce qui fonctionne, ni brider les initiatives. Au Conservatoire, il n’y a pas un seul élève qui suive le même cursus qu’un autre. Je demande aux mécènes de m’aider à vivre l’enthousiasme pour cette maison dont les enseignants incarnent si magnifiquement l’identité. La valorisation de la transmission est selon moi la chose la plus importante », répond Bruno Mantovani, qui annonce le recrutement prochain d’un responsable du mécénat et la création d’un cercle des amis du Conservatoire.
Je demande aux mécènes de m’aider à vivre l’enthousiasme pour cette maison dont les enseignants incarnent si magnifiquement l’identité (Bruno Mantovani)
Ni changer ce qui fonctionne, ni brider les initiatives… S’il est un mécène qui a très tôt été séduit par cette philosophie, c’est la Fondation pour le développement culturel et artistique. Elle apporte en effet son soutien au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris depuis 1995. « À l’origine, l’aide consistait en l’octroi de bourses pour les étudiants étrangers inscrits au Conservatoire. À présent, elle s’étend à l’achat d’instruments, aux projets musicaux et à l’édition », précise Vincent Meyer, son président, qui ne cache pas que le plus grand défi aujourd’hui est d’aider les élèves « à passer du statut d’étudiant à celui de professionnel ». Le succès est tel parmi les étudiants que tous veulent « enregistrer un CD Meyer », glisse Bruno Mantovani.
Même intervention à plusieurs niveaux pour Patrick Petit, tout à la fois mécène du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et du Centre de musique de chambre de Paris. Il finance des enregistrements, joue les tourneurs pour les élèves et a mis en place un programme d’achat d’instruments à corde. Dans le cas du Centre de musique de chambre de Paris, il arrive que des petits concerts soient organisés à l’occasion d’assemblées générales de donateurs. « L’ambition est de partager la musique classique avec un public qui n’a pas l’habitude d’aller au concert », précise le mécène.
Notre plus grand défi est d’aider les élèves à passer du statut d’étudiant à celui de professionnel (Vincent Meyer)
Claire Hébert, directrice adjointe du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, pointe pour sa part une particularité propre à son institution. « L’intégralité des financements publics du Conservatoire de Lyon viennent de l’Etat. C’est une donnée qu’il nous faut souvent expliquer aux mécènes. Spontanément, ceux-ci souhaitent en effet s’insérer dans des structures aidées par la ville ». La jeune femme fonde par ailleurs beaucoup d’espoirs sur les logiques de regroupement Etat/entreprises, très prisées des grandes villes et particulièrement en vogue à Lyon : « C’est un nouveau mode dans lequel se mêlent financements publics et privés. Le Conservatoire de Lyon souhaite pleinement s’inscrire dans ce mouvement ».
En matière de mécénat musical, une banque, la Société Générale, joue depuis longtemps un rôle inégalé. « Notre stratégie est la même depuis trente ans. S’agissant des bourses aux projets par exemple, les dossiers sont expertisés par des musiciens auxquels appartient seuls la décision d’attribuer l’aide », précise Ulrich Möhrle, responsable du secteur. Autre principe : faire en sorte que l’intervention fasse sens non seulement auprès des étudiants mais également auprès des salariés du groupe. « Nous organisons une quinzaine de concerts par an dans notre auditorium au siège de la Défense. Et tout est fait pour donner envie à nos collaborateurs, au nombre de 15 000 environ sur le site de la Défense, d’assister à des concerts au Conservatoire ou à la Philharmonie ». Ce dispositif, là encore, est complété par des commandes d’instruments prêtés aux étudiants. Un concours précieux pour des étudiants qui « partent avec le handicap de devoir acheter des instruments particulièrement coûteux », précise Bruno Mantovani.
La musique est appréhendée comme un écosystème avec des initiatives allant de l’initiation musicale au soutien aux jeunes artistes, en passant par l’aide à la création (Anastassia Makridou-Bretonneau)
Avec son programme « Innover avec la musique » lancé en 2016, la fondation Daniel et Nina Carasso, est une nouvelle venue parmi les mécènes du secteur musical. « Notre démarche est placée sous le signe de l’humilité. Nous souhaitons faire le lien entre ceux qui interprètent la musique et ceux qui en sont destinataires. La musique est appréhendée comme un écosystème avec des initiatives allant de l’initiation musicale au soutien aux jeunes artistes en passant par l’aide à la création », assure Anastassia Makridou-Bretonneau, responsable du programme Art Citoyen de la fondation.
Après Bruno Mantovani et Claire Hébert, Jean-Luc Portelli, directeur du Conservatoire à rayonnement régional de Bordeaux, prend à son tour la parole pour les établissements d’enseignement supérieur. « Notre politique de mécénat est au plus près de notre projet d’établissement qui promeut l’accessibilité, l’innovation et la création. Aujourd’hui, nos élèves sont encore trop peu nombreux à vivre de leur passion une fois leur diplôme en poche. Nous souhaitons les amener le plus loin possible dans leur projet. Le mécénat, multiple dans ses formes, nous permet d’imaginer différents types d’actions. Récemment, nous avons organisé une soirée musicale parrainée par le Quatuor Danel dédiée au soutien de notre projet de formation artistique ». Gageons que la création prochaine d’un poste de responsable du mécénat et d’un cercle des mécènes, ainsi que le lancement, sous réserve de son adoption, d’un ambitieux programme de transition numérique, devraient faire décoller la démarche. « Nous veillons à individualiser les relations entre les mécènes et les établissements. Ce qui est important, c’est qu’il n’y ait pas de doublons dans l’intervention des mécènes », conclut Bruno Mantovani.
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