Les 12 et 13 juin derniers, un comité d'experts réunissant artistes, responsables de structures culturelles, chercheuses et chercheurs, a produit des avis permettant à la DGCA de désigner les 11 projets lauréats de cette édition.
L’appel à projets Recherche en théâtre et arts associés a été conçu pour soutenir les recherches menées par des acteurs de la création en dehors de tout objectif immédiat de création ou de production de spectacle. Ce programme d’aide répond à des enjeux de trois ordres :
- Favoriser un renouvellement des formes et des esthétiques dans le champ de la création ;
- Encourager la recherche sur les pratiques pédagogiques et sur la transmission ;
- Enrichir les ressources patrimoniales et en faciliter l’accès.
Dans ses critères d’évaluation, le comité d’experts a réaffirmé :
- Les modalités de restitution prévues ainsi que la capacité à diffuser et transmettre les méthodes et résultats du projet à une communauté élargie dans le champ du théâtre et des arts associés, au-delà de la compagnie ou de la structure porteuse ;
- Le positionnement des projets de recherche dans un état de l’art (qualité de la bibliographie) ;
- La pertinence des questions et des hypothèses de recherche ainsi que de la méthodologie choisie pour y répondre ;
- L’inscription des projets dans des enjeux sociétaux actuels (genre et féminisme, crise environnementale, postcolonialisme).
Cette cinquième édition confirme la volonté des équipes artistiques de s’engager dans des démarches de recherche.
Liste des projets retenus
- « L'envers du corps : recherche autour de l'obsolescence du corps performatif », projet porté par la compagnie Toron Blues
L’objectif de cette recherche est de comprendre ce qu'il se passe dans le corps et l'esprit d'une artiste ou d’une sportive passé un certain âge face à une demande/attente sociale. Par le biais de l’analyse sociologique d’interviews et de témoignages d’artistes, un travail de moulage des corps en latex ainsi que l’observation des pratiques de circassiennes d’un âge différencié au sein de laboratoires d’explorations, ce projet vise à déceler les mécanismes interdépendants qui existent dans la pratique du cirque entre la performance physique et le pouvoir créatif. En remettant en question les normes établies, le projet cherche à explorer comment le corps usé, vulnérable et douloureux peut continuer à contribuer à la créativité et au renouvellement esthétique du spectacle vivant.
- « Que peut la nuit », projet porté par le collectif Impatience
Ce projet interroge l’ambivalence de l’imaginaire collectif associé à la nuit, considéré comme un espace-temps à la fois inquiétant et émancipateur, pour l’enfant. Il fait se croiser trois domaines et terrains de réflexions : les artistes dont le processus de création est dit “participatif”, les “nights studies” et la pédagogie active. Ces croisements se déroulent par étapes, alternant temps de réflexions partagées entre artistes et chercheurs ou chercheuses, recherche-action et temps d’immersion avec des groupes d’enfants. Les approches spécifiques de ces derniers d’une part et du temps singulier qu’est la nuit d’autre part peuvent-elles influencer des créations artistiques, participer à modifier des processus créatifs ?
- « Un art dramatique relationnel : recherche autour de nouvelles écritures de la relation », projet porté par la scène conventionnée d’intérêt national Derrière le hublot
Derrière Le Hublot a impulsé en 2022 la création d’un Service d’art à domicile en écho aux services d’aide à domicile sur le territoire du Grand Figeac (départements de l‘Aveyron et du Lot). Ce projet de recherche vise à interroger précisément le geste artistique qui se déroule dans le cadre de la rencontre entre un ou une artiste, médiée par une professionnelle du soin, et un public en situation de fragilité. Comment nommer cet art relationnel ? Pour répondre à cette question, des enquêtes de terrain et des réflexions collectives seront menées, et un kit d’objets (« la mallette de l‘artiste »), dont le contenu sera réinterrogé à chaque étape de la recherche, accompagnera chaque intervention artistique. Ces démarches permettront de rendre compte de ce qui se joue lors des sessions du Service d'art à domicile sur ce territoire co-animées par Derrière Le Hublot et plusieurs structures de soins à domicile (ADMR de Capdenac, Lot Aide à Domicile).
- « Transmettre la recherche : de nouvelles pratiques pour de nouveaux récits », projet porté par La fabrique autonome des acteurs
Ce projet a pour but de rendre publique, partageable et transmissible la recherche fondamentale sur l’art de l’actrice et de l‘acteur menée par la Fabrique autonome des acteurs depuis 2014. Il s’agit de partager, dans une perspective réflexive, aux professionnels comme aux non-spécialistes les outils, pratiques et concepts élaborés autour du jeu théâtral via le dialogue avec les autres disciplines grâce à deux médias : le livre (résidences d’écriture, éditorialisation, masterclass, séminaires et conférences) et le spectacle vivant (formes performatives et spectaculaires : les Précipités).
- « TRANS'ART (Manifeste pour une créolisation des arts) », projet porté par la compagnie La Camara Oscura
Dans une perspective postcoloniale et en considérant les enjeux culturels et esthétiques de la créolisation, ce projet vise à théoriser et développer une pratique scénique transdisciplinaire dont l'esthétique s'appuie sur une rencontre des arts et des cultures. Ce travail de conceptualisation sera mené avec l'institut de Recherche en Etudes Théâtrales de l’Université Sorbonne Nouvelle et consistera en des rencontres entre scientifiques et artistes de disciplines diverses afin de produire une analyse, d'identifier un modèle, d'en définir les principes et de le transmettre.
- « Traces #Matrimoine », projet porté par le Théâtre des Îlets
Ce projet vise à analyser et combler le manque d’archives sur le travail des femmes dans le champ théâtral, l’absence de mémoire les concernant, et, en conséquence, leur invisibilisation dans les récits, les histoires et les répertoires du théâtre. Pourtant, depuis la Renaissance, les femmes ont largement participé à la création théâtrale (plus de 2000 autrices). L’objectif du projet est donc de mettre en lumière cet héritage, ce « matrimoine ». Afin de proposer l’esquisse d’une histoire mixte du théâtre qui intègre les créatrices du passé, les responsables du projet s’appuieront sur des revues spécialisées, des travaux en arts du spectacle réalisés en France et aux Etats-Unis ainsi que sur des entretiens menés au long cours avec des metteuses en scènes. Ces entretiens filmés et enregistrés en partie pourront donner lieu à la production d'articles scientifiques, d'un podcast, d'un documentaire vidéo et d'une exposition itinérante. Deux laboratoires de lecture et d’interprétation d’œuvres d’autrices du passé seront également menés, ainsi que la captation vidéo de la recréation, pour la première fois depuis 1689, de la pièce "Laodamie" de Catherine Bernard.
- « Du spectateur au joueur : la sonographie au service d'un nouvel engagement du public », projet porté par le Théâtre à Spirale
Dans le contexte de la révolution numérique, ce projet cherche à identifier les moyens de transformer le rôle du spectateur au théâtre en favorisant sa participation active. En explorant des formes immersives et interactives, comme, la réalité virtuelle sonore qui permet la coexistence de différents espaces sonores virtuels et spatialisés dans un même espace réel de jeu, ce projet de recherche entend créer une nouvelle dramaturgie et un nouveau type de spectateur, plus joueur que simple observateur.
Dix laboratoires mobiles d’une semaine seront ainsi menés et divisés en trois étapes : immersion sonore du spectateur et création d’un théâtre sonore de sons virtuels et spatialisés ; interaction par et sur le son ; écritures et tests d'éléments pour des jeux théâtraux. A l’issue du projet, une boîte à outils devrait voir le jour pour créer les conditions techniques et artistiques de l'écriture de pièces cohérentes et exigeantes d’un théâtre prêt-à-jouer par le son.
- « Réveil invisible », projet porté par la compagnie Yokaï
En s'appuyant sur l'héritage de Georges Méliès, de Jim Henson et sur des connaissances en mécanique-robotique, l'objectif de ce projet de recherche est de développer des dispositifs technologiques qui visent à valoriser des savoir-faire en animation "invisible" sur les plateaux de théâtre. A l’image de ce qui s’est développé dans le monde du cinéma, le projet vise à revitaliser les arts de la marionnette et la magie en exploitant les possibilités de l'animation autonome et en créant de nouveaux outils de manipulation. A la suite de rencontres avec des figures majeures de l’animation invisible aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, des phases de test et de prototypages seront menées en partenariat avec le Théâtre de la Madeleine de Troyes en France, à New-York et Los Angeles.
- « "Autoportrait à" : performer l'identité relationnelle », projet porté par l’association ICE
Ce projet de recherche vise à examiner les enjeux esthétiques et politiques de l'intitulé "l'autoportrait à" dans le domaine du théâtre. En abordant la présence et la primauté de l'autre comme une donnée oubliée de l'autoreprésentation théâtrale, le présent projet prévoit d’utiliser un dispositif scénique pour donner à voir et à entendre cet autre qui préexiste à toute production de soi, cette altérité qui conditionne toute affirmation performative de l'identité. Le projet interroge également la représentation des figures minoritaires et cherche à créer des espaces de rencontre avec des dialogues respectueux, inclusifs et accessibles sur scène. Quatre périodes de recherche autour de l'exploration de la fonction performative de l'identité relationnelle seront ainsi menées et se décomposeront notamment en journées d’études, workshops, rencontres croisées entre différents professionnels et temps d’échanges non didactiques entre artistes, spectateurs et spectatrices.
- « Le Théâtre nô en mouvement - Imaginaires et représentations des féminités, de l’invisible au visible », projet porté par le Théâtre de l’Éventail
Ce projet entend étudier la féminisation du théâtre traditionnel japonais nô initialement réservé aux hommes. Afin de comprendre l’influence de la présence des femmes sur le jeu des acteurs et la création de nouveaux récits dans cet art théâtral, des discours sur la féminité dans le nô seront analysés, des recherches en immersion au Japon seront menées et des temps d‘expérimentations pratiques sous forme de résidences d’artistes professionnels et de travaux avec des publics amateurs seront organisés. Au-delà de l’approfondissement du savoir scientifique et technique sur ce théâtre japonais, de la diffusion de ce patrimoine culturel, ce projet devrait contribuer à la création de nouvelles formes contemporaines.
- « En bon père de famille - Pour une esthétique féministe du droit », projet porté par le collectif Vaguement Compétitifs
Ce projet souhaite utiliser les outils du théâtre documentaire pour questionner et transformer des normes juridiques et des dispositifs judiciaires en vigueur qui sont ancrés dans une conception patriarcale de la société. Ces derniers, s’ils se veulent neutres, sont marqués par des représentations stéréotypées qui peuvent être lourdes de conséquences, notamment dans la gestion des affaires de violences intrafamiliales (inceste et violences conjugales). Grâce à une équipe dotée d’une double expertise artistique et juridique et d’une session de quatre laboratoires, le projet "En bon père de famille" s'appuiera sur un processus de construction et d'acculturation réciproque par étapes des approches scientifiques et artistiques de matériaux de recherche relatifs aux rapports sociaux de sexe et aux systèmes juridiques et judiciaires.
Composition du comité d’experts de l’édition 2023-2024
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