Innover pour conserver : recherche et développement en conservation-restauration des biens culturels, 2017
7e Journées professionnelles de la « conservation-restauration », organisées par la Direction générale des patrimoines en partenariat avec la Cité de l'architecture et du patrimoine et l'Institut national du patrimoine, Paris, 23 et 24 mars 2017.
Thématique
Les 7e Journées professionnelles ont eu pour objectif de mettre en lumière les principales thématiques de recherche en cours et les innovations récentes dans le domaine de la conservation-restauration.
C’est l’ensemble du paysage de la recherche sur le patrimoine – archéologique, muséographique, archivistique, livresque, monumental, immobilier ou naturel – que ces journées ont ambitionné d’évoquer ainsi que les différents acteurs de cette recherche, qu’ils soient publics ou privés, académiques ou professionnels. Ont ainsi été présentés les projets les plus structurants tant à l’échelle nationale (Fondation des sciences du patrimoine) qu’européenne (E-RIHS, JPI-CH), comme les travaux les plus appliqués.
Les recherches et innovations évoquées se sont organisés autour de trois questions fondamentales auxquelles ils ont apporté de nouvelles réponses : les études préalables et le diagnostic (méthodes, instrumentation), la restauration (techniques, produits, 3D) la documentation et la diffusion de la connaissance (bases de données, imagerie numérique). Les sujets abordés ont été d’une grande variété : outils et dispositifs portables pour les études préalables, nouvel appareil pour la détection de champignons, pinceau électrolytique en kit pour le nettoyage des produits de corrosion, croisement des approches historique et matérielle dans le cadre de la restauration des vitraux de la rose occidentale de la Sainte-Chapelle, apport de l’imagerie et de l’impression 3D, etc.
La table ronde finale, consacrée à la construction de la recherche en conservation-restauration, a été suivie de la projection exceptionnelle d’un film 3D sur la grotte Chauvet-Pont d’Arc, site patrimonial particulièrement fragile et inaccessible.
Une trentaine d’intervenants, restaurateurs, conservateurs, chercheurs en sciences de la nature, en sciences humaines et en sciences de l’information ont fait état de leurs dernières découvertes, de leurs pratiques, de leur expérience et de leur vision du futur. Outre les questions scientifiques et technologiques qui seront au cœur de la réflexion, les aspects humains, budgétaires, déontologiques et éthiques ont aussi été abordés.
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Ouverture des journées
Mot d'accueil de Guy Amsellem, président de la Cité de l'architecture et du patrimoine suivis d'une allocution de Philippe Barbat, directeur de l'Institut national du patrimoine et d'une allocution de Vincent Berjot, directeur général des patrimoines.
Session 1 - Paysages et acteurs publics et privés de la recherche en conservation-restauration, en France et en Europe
Introduction générale
Gaël de Guichen, conseiller du directeur général de l'iCCROM, président de séance.
Intervenant : Gaël de Guichen est ingénieur chimiste de l’École polytechnique de Lausanne. Après avoir été responsable scientifique de la grotte de Lascaux de 1968 à 1969, il a fait tout le reste de sa carrière à l’ICCROM dont il est aujourd’hui conseiller du directeur général. Il a lancé une réflexion et des cours sur la conservation préventive dès 1975. Depuis 1990, il a intégré le rôle du public dans cette réflexion.
Innovations institutionnelles et nouvelles collaborations interdisciplinaires : l'expérience de la Fondation des sciences du patrimoine
Etienne Anheim, directeur d'études, Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Intervenant : Étienne Anheim est directeur d’études à l’EHESS et directeur de la revue Annales. Histoire, Sciences sociales. Ses travaux de recherche portent principalement sur la sociologie historique des formes et des pratiques culturelles à la fin du Moyen Âge (peinture, musique, littérature), avec une attention particulière pour la matérialité des objets culturels. Il travaille également sur l’historiographie et l’épistémologie de l’histoire, en particulier sur la méthodologie de l’interdisciplinarité. Il est vice-président de la Fondation des sciences du patrimoine, issue du Laboratoire d’Excellence « Patrimoines matériels » dont il a été le responsable scientifique. Il est aussi membre du conseil scientifique du musée du Louvre, de celui du Joint Programming Initiative (JPI) on Cultural Heritage et de celui du réseau des Maisons des Sciences de l’Homme.
Le programme des investissements d’avenir a suscité depuis 2010 un renouvellement des formes de collaboration interdisciplinaires et interprofessionnelles dans le domaine des sciences du patrimoine. Le Laboratoire d’Excellence « Patrimoines matériels » et l’Équipement d’Excellence qui lui est lié ont donné lieu à des échanges intenses et à des collaborations nouvelles entre sciences de la nature, sciences historiques et sciences de l’information, mais aussi entre le monde de la recherche universitaire et celui des institutions de conservation et restauration liées au ministère de la Culture. La Fondation des sciences du patrimoine, née de ces rencontres en 2013, mène aujourd’hui une expérience originale dans le domaine de la recherche fondamentale mais aussi appliquée. Cette intervention sera l’occasion d’en présenter les grandes lignes, les premiers résultats et les perspectives.
Partager la recherche: vers une communauté interdisciplinaire renforcée
Isabelle Pallot-Frossard, directrice du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Avec la participation de Loïc Bertrand, directeur de l'unité IPANEMA (Institut photonique d'analyse non-destructuve européen des matériaux anciens), CNRS USR 3461.
Intervenant : Depuis 2015, Isabelle Pallot-Frossard dirige le Centre de recherche et de restauration des musées de France. Avec Loïc Bertrand, directeur d’IPANEMA (USR 3461), elle coordonne la participation française au projet European Research Infrastructure for Heritage Science (E-RIHS). Historienne de l’art, elle a exercé les fonctions d’inspecteur des Monuments historiques pour les régions Picardie, Champagne-Ardenne et Lorraine pendant plus de dix ans. Elle a également été responsable d’études à l’École du patrimoine. De 1992 à 2015, elle est directrice du Laboratoire de recherche des monuments historiques. En 2006, elle est nommée directrice du comité pour la recherche et la technologie du Corpus Vitrearum international et préside aujourd’hui le Comité scientifique international pour la conservation des vitraux (ICOMOS-Corpus Vitrearum). Elle a été membre puis vice-présidente de l’ICCROM. Partenaire de nombreux programmes de recherche européens sur la conservation des matériaux du patrimoine, elle enseigne à l’École du Louvre et à l’École de Chaillot. Elle est l’auteur de nombreux articles sur la conservation du patrimoine et en particulier sur la conservation des vitraux.
Loïc Bertrand est chercheur au synchrotron SOLEIL. Ses travaux portent sur l’étude des propriétés physico-chimiques de matériaux anciens par méthodes avancées d’imagerie. Il dirige depuis 2010 la plateforme IPANEMA du CNRS, du ministère de la Culture et de la Communication et de l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, qu’il a initiée sur le plateau de Saclay. Il coordonne la participation française à l’infrastructure européenne E-RIHS avec Isabelle Pallot-Frossard (C2RMF). Il porte le domaine d’intérêt majeur « Matériaux anciens et patrimoniaux » avec Étienne Anheim (EHESS) et Margareta Tengberg (MNHN), regroupant l’ensemble des laboratoires des thématiques patrimoniales de la région Île-de-France.
L’analyse des matériaux du patrimoine par des méthodes physico-chimiques remonte à la fin du xixe siècle, au temps où Friedrich Rathgen créait un laboratoire lié aux musées de Berlin. Mais c’est au cours des vingt dernières années que l’association des sciences humaines et sociales et des sciences expérimentales au service de la connaissance des biens culturels a favorisé l’émergence d’une discipline nouvelle, celle des sciences de la conservation. En France, les centres de recherche du ministère de la Culture et de la Communication, Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH), des laboratoires du CNRS ou des universités, des structures privées, développent à la fois de l’instrumentation d’analyse et de mesure, toujours plus performante et moins invasive, et des thématiques de recherche sur les matériaux du patrimoine, leur origine, leur datation, leur mise en œuvre, les altérations qu’ils ont subies dans leur environnement. Les grands instruments mettent la puissance du rayonnement synchrotron ou des faisceaux d’ions au service de la caractérisation fine de matériaux complexes, le plus souvent dégradés et transformés par leur exposition à l’environnement au cours du temps. La communauté française des scientifiques du patrimoine a pu se structurer par l’intermédiaire de groupements de recherche et réseaux tels que ChimARC (Chimie des archéomatériaux et des biens culturels) ou CAI-RN (Compétences archéométriques interdisciplinaires-Réseau national) ou encore à travers les LabEx tels que PATRIMA ou MATISSE. Au niveau européen, la structuration s’est aussi progressivement faite à partir de 1999, grâce à quatre projets successifs financés par la Commission européenne : LabsTech, EuArtech, Charisma, et Iperion-CH. Aujourd’hui le projet E-RIHS (European Research Infrastructure for Heritage Science) déposé par l’Italie et soutenu par onze pays d’Europe se propose de pérenniser sur le long terme ces initiatives successives. Ce projet vient d’être inscrit sur la feuille de route européenne des infrastructures de recherche et sur la feuille de route nationale française, ce qui est un signe très fort à l’intention des communautés scientifiques du patrimoine et un encouragement puissant à la construction d’une infrastructure distribuée, pan-européenne, de très haut niveau, au service de la connaissance du patrimoine européen et de sa conservation.
Comment financer la recherche culturelle au niveau européen ? Le cas particulier de la recherche sur la conservation-restauration du patrimoine
Astrid Brandt-Grau, cheffe du département de la Recherche, de l’Enseignement supérieur et de la Technologie, ministère de la Culture et de la Communication.
Intervenant : Astrid Brandt-Grau est docteur en archéologie, ingénieur de recherche au ministère de la Culture et de la Communication. De 1986 à 2012, elle a été successivement chercheur au CNRS, conseillère scientifique chargée de la coordination des programmes de recherche en conservation à la Bibliothèque nationale de France, adjointe au chef de la mission de la Recherche et de la Technologie du ministère de la Culture, directrice des études du département des Restaurateurs de l’Institut national du patrimoine, expert national détaché à la Commission européenne chargée des programmes de recherche pour la préservation du patrimoine. Depuis 2012, Astrid Brandt-Grau est chef du département de la Recherche, de l’Enseignement supérieur et de la Technologie au ministère de la Culture et de la Communication.
La Commission européenne finance des projets de recherche sur le patrimoine culturel depuis 1986, notamment au sein du programme « Environnement » de la direction générale de la Recherche où l’accent a été longtemps mis sur l’impact de la pollution, puis du changement climatique, sur le patrimoine culturel mobilier et immobilier, mais également sur la conservation préventive et les méthodes de conservation1. Le nouveau programme cadre de recherche et d’innovation « Horizon 2020 » (2014-2020) permet de répondre aux appels à projets très variés relatifs aux enjeux scientifiques, industriels et sociétaux : bourses de recherche Marie Sklodowska-Curie, infrastructures de recherche, projets collaboratifs dans le domaine des sciences et de l’ingénierie, sciences de l’information, sciences humaines et sociales. La compétition pour l’obtention des fonds communautaires est cependant très élevée et mieux vaut y être bien préparé avant de déposer un projet. Il importe ainsi de mieux informer et former les acteurs culturels pour leur donner le maximum de chances de voir leur projet sélectionné.
1 Survey and outcomes of cultural heritage research projects supported in the context of EU environmental research programmes – From 5th to 7th Framework Programme. Studies and reports, ISBN 978-92-79-16354-8, Brussels, Chapuis, M., Brandt-Grau, A. (eds). European Commission EUR 24490 EN, OPOCE, 2011.
Saint-Gobain : des solutions innovantes pour le patrimoine
Marie de Laubier, directrice des Relations générales de Saint-Gobain, et Isabelle Wuest, adjointe au directeur de la recherche de Saint-Gobain.
Intervenant : Marie de Laubier rejoint Saint-Gobain en 2012 en tant que directeur des Relations générales, en charge des archives et de l’histoire du groupe, du mécénat et de la coordination des célébrations du 350e anniversaire de Saint-Gobain en 2015. Elle a été auparavant conservateur pendant 15 ans à la Bibliothèque nationale de France où elle a occupé plusieurs postes. De 2007 à 2012 elle a notamment été chef du projet de rénovation du site Richelieu, berceau historique de la BnF en plein cœur de Paris. Marie de Laubier est diplômée de l’École nationale des chartes et de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (ENSSIB).
Diplômée de l’École supérieure de physique et chimie industrielles de la Ville de Paris (ESPCI), Isabelle Wuest est entrée à Saint-Gobain Recherche (Aubervilliers) en 1984. En 1991, elle rejoint l’équipe Marketing Bâtiment de Saint-Gobain Vitrage France, en tant que chef produit. En 1996, elle intègre l’activité Fibre de Renforcement Saint-Gobain Vetrotex pour être chef de projet Recherche et Développement (R&D) puis en 2005 responsable Meilleures Pratiques au sein de la direction technique. Depuis 2007 elle est adjointe au directeur de la Recherche de la Compagnie de Saint-Gobain au siège (La Défense), en charge notamment du suivi des partenariats industriels pour la R&D, du reporting « R&D portfolio Management », et de la liaison avec le Marketing Corporate.
Saint-Gobain, présent dans 66 pays avec plus de 170 000 salariés, conçoit, produit et distribue des matériaux et des solutions pour notre habitat et notre vie quotidienne : bâtiments, transports, infrastructures, ainsi que dans de nombreuses applications industrielles. Pour la sixième année consécutive, Saint-Gobain a été nommé Top 100 Global Innovator par Clarivate Analytics, responsable du classement mondial des entreprises et institutions les plus innovantes en 2016. Le palmarès s’appuie sur le volume de brevets, leur nombre accepté comparé au volume déposé, leur portée internationale et leur notoriété. Au cœur de la stratégie du groupe, la R&D représente 3 700 salariés, 8 centres de recherche transversaux à travers le monde et un investissement de 434 millions d’euros en 2015. Beaucoup de filiales de Saint-Gobain, avec Saint-Gobain Recherche, travaillent à trouver des solutions pour le patrimoine. En matière d’architecture, il s’agit d’allier respect du caractère originel du bâtiment, confort et économies d’énergie. En matière de restauration ou de création d’œuvres, Saint-Gobain fournit des solutions alliant pérennité, réversibilité et respect du caractère propre de l’œuvre. Cette présentation, après un rapide panorama sur ce groupe qui a fêté en 2015 ses 350 ans d’existence, montrera à travers trois exemples, comment Saint-Gobain se met au service du patrimoine. Il s’agit de la restauration du Cyclop de Jean Tinguely à Milly-la-Forêt (Essonne), des travaux de thèse sur les mécanismes de dégradation des stucs anciens (dans le cadre du LabEx MATISSE), de la participation à la création de vitraux d’un genre nouveau (avec impression digitale sur verre) pour la cathédrale de Strasbourg.
Session 2 - Études préalables et diagnostic: nouveaux outils, nouvelles applications
Introduction - La recherche scientifique sur le patrimoine : vers une ouverture multi-domaines
Roland May, directeur du Centre interdisciplinaire de conservation et de restauration du patrimoine (CICRP), président de séance.
Intervenant : Après avoir dirigé plusieurs établissements en région (Langres, Marseille), Roland May a assuré la fonction de conseiller musée au sein de la direction régionale des Affaires culturelles de Rhône-Alpes (1992-2000). En 2000, il rejoint le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) pour mettre en place le département de Conservation préventive, puis en 2005, le Centre interdisciplinaire de conservation et de restauration à Marseille dont il assure la direction depuis 2007. Il participe depuis 2004 aux travaux européens de normalisation et a notamment coordonné les normes « Pôles de conservation » et « vitrine ». Il a publié divers articles sur les enjeux et les politiques en conservation-restauration du patrimoine.
Conservation-restauration des restes organiques invisibles : un champ d’investigation révélé par les analyses biochimiques
Nicolas Garnier, directeur du Laboratoire Nicolas Garnier (LNG) /chercheur associé à l’UMR 8546 AOrOc ENS-Ulm Paris.
Intervenant : Après des études de chimie, d’histoire ancienne et d’archéologie à l’École normale supérieure de Paris et une thèse de spectrochimie et chimie analytique (Paris-VI), Nicolas Garnier a créé son propre laboratoire dédié à l’analyse des matériaux du patrimoine avec une spécialisation pour les matériaux organiques. Auteur de nombreux articles de vulgarisation mais aussi dans des revues internationales, il a participé à différents programmes ANR sur l’artisanat à Pompéi (Artifex), l’étude des résidus huileux dans des céramiques en Étrurie (Perhamo), l’étude des offrandes funéraires en Gaule et Italie pré-romaines (MAGI), le développement de méthodologies analytiques pour les matériaux du patrimoine (ProtéoArt) ou l’histoire de la vigne et du vin en France du néolithique au Moyen Âge (Viticulture). Une grande partie de l’activité du LNG est tournée vers le développement de nouvelles méthodes de caractérisation des matériaux anciens, notamment les huiles, les dérivés résineux, le vin et les boissons fermentées.
Le matériel en céramique, en pierre, en verre ou en métal conserve des informations chimiques qui souvent ne sont pas repérées, connues et encore moins exploitées parce qu’invisibles. La restauration des objets, notamment la consolidation et la protection des surfaces des parois, garantit certes l’esthétique des objets mais engendre une perte définitive des informations contenues dans les résidus invisibles (imprégnations des parois, dépôts en film très fins sur les parois internes). Alors que l’archéologie s’ouvre à une recherche plus large autour de la fonction et de l’utilisation des objets quel que soit leur contexte de découverte, et que la chimie analytique permet des identifications de matériaux biologiques de plus en plus sensibles et précises, il semble indispensable de revoir les méthodes de restauration afin de préserver non seulement l’objet en lui-même mais aussi les informations scientifiques et techniques qu’il contient, en vue de recherches futures. Le dialogue entre chimistes, archéologues, conservateurs et restaurateurs est le seul garant du développement d’une recherche interdisciplinaire et de la conservation d’indices moléculaires invisibles, seuls témoins de la fonction et de l’utilisation des objets. Les résultats déjà obtenus ouvrent de nouvelles voies de recherche sur l’exploitation des ressources biologiques, leur utilisation dans les sphères agricole, artisanale, domestique, cultuelle, religieuse ou funéraire. À terme, l’étude de ces restes nourrira aussi les recherches en anthropologie et ethnographie.
Instrumentation portable et restauration au C2RMF : des outils au service des œuvres (spectrométrie de fluorescence X et microscopie numérique)
Dominique Robcis, chef de travaux d’art minéraux-métaux, département Restauration, Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF).
Intervenant : Dominique Robcis est chef de travaux d’art au département Restauration du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Il est diplômé de l’université Paris-IV-Sorbonne en histoire médiévale. Il a ensuite poursuivi ses études à l’Institut national du patrimoine (INP) en restauration dans la spécialité arts du métal. Il a exercé en tant que restaurateur indépendant pendant plusieurs années auprès des principaux musées de France (musée du Louvre, musée d’Orsay, musée Guimet) et des monuments historiques avant de rejoindre le C2RMF en 2002. Spécialisé dans les études technologiques sur les objets en métaux précieux et les traitements de surface, il est responsable de la microscopie numérique 3D et de la spectrométrie de fluorescence X portable pour le département Restauration. Il intervient dans les enseignements de l’École du Louvre et de l’Institut national du patrimoine et contribue régulièrement à des publications scientifiques dans des colloques internationaux.
Au cours de ces dix dernières années, l’instrumentation portable s’est considérablement développée et s’invite aujourd’hui de plus en plus directement dans les ateliers de restauration au chevet des œuvres. Dans le cadre des études préalables à la restauration, le département Restauration du Centre de recherche et de restauration des musées de France a ainsi privilégié le recours à deux des techniques les plus répandues : la fluorescence X et la microscopie numérique. À l’aide de quelques exemples précis issus des domaines de l’archéologie, de l’ethnographie et des arts décoratifs, cette communication propose de faire le point sur les apports sur le plan de l’identification des matériaux et des techniques en amont des restaurations, mais aussi sur les limites de ces deux techniques d’examen et d’analyse qui sont amenées à se généraliser dans les années à venir.
Molab Patrimex : un laboratoire scientifique de terrain au service des patrimoines
Vincent Detalle, responsable développements laser et spectroscopies optiques, Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF).
Intervenant : Vincent Detalle est titulaire d’un doctorat en science et stratégie analytique de l’université Lyon-I-Claude-Bernard. Spécialiste des techniques d’analyse par laser, après avoir passé cinq ans en tant que chargé de recherche au Conseil national de recherche du Canada (Montréal), il est entré en 2004 au ministère de la Culture et de la Communication. Il a dirigé le pôle Peintures murales et polychromie du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) pendant dix ans et a œuvré au développement des techniques portables dans ce domaine. Il a rejoint le Centre de recherche et de restauration des musées de Franceen 2016 où il est en charge du développement des techniques laser et de spectroscopies optiques. Il est responsable du MOLAB (mobile laboratory) français dans le cadre du projet européen IPERION CH (Integrated platform for the European research infrastructure on cultural heritage) et de l’Equipex Patrimex pour le volet laboratoire mobile.
Le LRMH et le C2RMF ont été à l’initiative en 2012 de l’EquipEx (EQUIPement d’EXcellence) PATRIMEX avec les universités de Cergy-Pontoise et de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, le laboratoire Ipanema, le Centre de recherche sur la conservation. Cet équipement d’excellence bénéficie d’un important soutien financier dans le cadre des investissements d’avenir ainsi que du ministère de la Culture et de la Communication. PATRIMEX est une plateforme multi-site dédiée à la science de la conservation du patrimoine matériel sous toutes ses formes. Cet équipement est étroitement relié au LabEx PATRIMA, constitué d’un réseau croisant les sciences humaines et sociales et les sciences de l’ingénieur, avec, pour triple objectif, de mieux :
- appréhender les caractéristiques à la fois physiques, historiques et culturelles des matériaux composant le patrimoine culturel ;
- comprendre l’influence de l’environnement sur ces objets ;
- connaître les techniques de restauration anciennes et en élaborer de nouvelles, avec des matériaux innovants et des méthodes moins invasives.
Parmi les éléments financés, on retrouve notamment un laboratoire mobile et le développement de systèmes portables non intrusifs d’analyse des matériaux ou le couplage de techniques spectroscopiques tel que le LIBS (laser induced sprectroscopy)/LIF/RAMAN. Une partie de ces éléments a été intégrée dans le laboratoire mobile européen MOLAB, qui opère dans le cadre du projet européen IPERION CH et pourra bénéficier à l’ensemble des acteurs français du patrimoine.
Lumières sur le Codex Borbonicus – Apports de l’imagerie hyperspectrale
Fabien Pottier, post-doctorant, Centre de recherche sur la conservation (CRC)/USR 3224.
Intervenant : Fabien Pottier est post-doctorant au Centre de recherche sur la conservation (CRC), spécialisé en sciences analytiques appliquées aux matériaux du patrimoine culturel. Le travail présenté fait partie de sa thèse de doctorat intitulée « Études des matières picturales du Codex Borbonicus – Apports des spectroscopies non-invasives à la codicologie », réalisée en collaboration au Centre de recherche sur la conservation des collections et au Laboratoire de physicochimie des polymères et des interfaces, université de Cergy (LPPI), entre 2013 et 2016, et cofinancée par l’Assemblée nationale et la Fondation des sciences du patrimoine.
Le contenu et l’état de conservation exceptionnel du Codex Borbonicus, conservé à la bibliothèque de l’Assemblée nationale depuis 1826, en font un témoin précieux de la culture du bassin de Mexico-Tenochtitlan à l’époque de l’arrivée des conquistadors. Pour certains historiens il s’agit d’un manuscrit assurément précolombien, tandis que pour d’autres, une partie de son contenu graphique dénote une influence culturelle européenne. Afin d’explorer les savoir-faire mis en œuvre lors de sa production et d’apporter de nouvelles données à ce débat, la nature et le mode de préparation des constituants du manuscrit ont été étudiés, dans les limites offertes par les instrumentations transportables et non-invasives. Parmi ces techniques, l’imagerie hyperspectrale permet l’acquisition d’images d’un document à l’échelle macroscopique. Chaque pixel d’une telle image contient des informations relatives à la composition matérielle de la surface étudiée. Des traitements spécifiques de ces données permettent d’explorer la composition chimique de la totalité du document, ce qui est très utile pour l’étude de grandes surfaces polychromes. L’application de cette méthode d’imagerie à l’étude du Codex Borbonicus a ainsi permis de révéler différents indices sur la technique de production du document.
Outils d’alerte et de surveillance des moisissures dans les espaces patrimoniaux
Faisl Bousta, responsable du pôle Microbiologie, Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH).
Intervenant : Faisl Bousta est docteur ès sciences en microbiologie (1998, faculté des sciences Henri-Poincaré, université de Nancy-I). Le sujet de sa thèse a été le développement de techniques de conservation du bois contre les attaques fongiques. Depuis 1999, il est membre du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) du ministère de la Culture et de la Communication, à Champs-sur-Marne. Depuis 2013, il assure la responsabilité du pôle Microbiologie du LRMH. Il mène des recherches sur les micro-organismes qui se développent sur les matériaux constitutifs du patrimoine culturel. Il fournit également expertises et conseils scientifiques et techniques dans le domaine de la conservation dans des contextes nationaux et internationaux : le site de Voskopjë en Albanie, le parc national de la Serra da Capivara au Brésil, les Archives nationales de la République des Seychelles par exemple. Les différents projets de recherche dans le domaine patrimonial sont axés sur le développement d’outils d’identification, de détection et d’alerte vis-à-vis des micro-organismes, et dans le domaine de la conservation préventive, de mesures pour empêcher le développement anarchique de micro-organismes. Des études sont également menées pour chercher des solutions alternatives aux traitements chimiques pour lutter contre les micro-organismes.
Pour déterminer la présence de moisissures dans les environnements intérieurs ou sur des objets, les méthodologies usuelles consistent en des examens visuels, en la réalisation de prélèvement et ensemencement sur des milieux de culture pour quantifier et identifier la fraction cultivable des micro-organismes collectés. Actuellement, il n’existe pas de réelle stratégie préventive avec une procédure d’alerte permettant de stopper la contamination avant que des dégâts importants ne soient constatés. Dans ce contexte, l’objectif de la recherche, lancée depuis 2005 par le Laboratoire de recherche des monuments historiques et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), consiste à développer une métrologie adaptée à la surveillance continue des œuvres d’art vis-à-vis des moisissures en mesurant des indicateurs chimiques spécifiques de la croissance fongique. L’étude des différentes phases de croissance des moisissures montre une production continue de métabolites et de produits de dégradation des supports. Des composés organiques volatils (COV) sont émis dès la germination, soit dès le début du développement des moisissures, et durant toutes les phases de croissance. De plus, contrairement aux particules fongiques prélevées dans l’air, les COV diffusent à travers les parois et peuvent être détectés dans l’air même dans le cas de contaminations cachées. Afin d’utiliser ces composés comme traceurs, une méthode, se basant sur la détection de plusieurs COV issus du métabolisme fongique, a été proposée sous la forme d’un indice de contamination fongique. La présence et/ou l’absence de chacun de ces traceurs est prise en compte dans un indice s’incrémentant en fonction de la spécificité de chaque COV vis-à-vis du couple espèce/support. Deux indices spécifiques ont par ailleurs été développés afin de répondre d’une part, à la problématique d’une contamination par Fusarium solani dans la grotte de Lascaux (indice « Lascaux »), et d’autre part, à une contamination par les basidiomycètes sur le bois (Indice « Phellinus megaloporus »). L’interprétation des indices permet de conclure à la présence ou à l’absence d’une contamination. Ces indices ont été validés in situ sur des sites patrimoniaux.
Les rayons gamma au service des archives
Michel Thibault, responsable du département de la Conservation, Archives nationales.
Intervenant : Après une carrière dans les archives départementales (Indre-et-Loire, 1978-1991 ; directeur des archives d’Eure-et-Loir, 1996-2006) et un passage par l’administration centrale (direction des Archives de France, 1993-1996), Michel Thibault a rejoint en 2007 les Archives nationales où il a été successivement responsable des salles de lecture du site de Paris (2007-2010) puis chargé de mission pour la création du référentiel des producteurs (2010-2013), avant de se voir confier la responsabilité du département de la Conservation.
En 2015, les Archives nationales ont été confrontées à un sinistre majeur : 56 000 boîtes d’archives, plusieurs dizaines de milliers de plans se sont trouvés massivement contaminés par des moisissures. La mise en œuvre d’un traitement à l’oxyde d’éthylène, solution bien connue des archivistes comme des bibliothécaires, aurait pour un tel volume d’archives exigé plusieurs années. C’est pourquoi les Archives nationales ont décidé de recourir à un traitement par rayons gamma, solution couramment utilisée dans d’autres pays pour la décontamination des livres ou des archives, mais inédite en France à une telle échelle. Si de nombreux articles ont été publiés sur l’efficacité et les risques de ce traitement, il n’existe pas en revanche véritablement de mode d’emploi disponible : comment constituer les palettes pour l’irradiation des documents, comment calculer les doses de rayonnement applicables, comment évaluer l’efficacité du traitement ? C’est donc une méthodologie qui a dû être mise au point. Cette première en France est aussi l’occasion de tester les conséquences d’une exposition aux rayons gamma de certains supports spécifiques, les supports photographiques et audiovisuels notamment… Pour mener à bien cette opération et les projets de recherche qui lui sont associés, les Archives nationales bénéficient du concours du Centre de recherche sur la conservation des collections (CRCC), du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH), de la BnF et du laboratoire ARC-Nucléart.
Méthodes de diagnostic et décision de gestion des arbres dans les sites patrimoniaux
Denis Mirallié, ingénieur-paysagiste.
Intervenant : Denis Mirallié est ingénieur-paysagiste, diplômé de l’École nationale supérieure d’horticulture de Versailles et titulaire du certificat d’études approfondies en architecture (CEAA) « jardins historiques et paysage » de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles. Établi dans la région parisienne en tant que professionnel libéral, il participe depuis plus de quinze ans à de nombreuses études de restauration de jardins historiques ou portant sur des sites classés ou inscrits, et s’intéresse aux pratiques de gestion des arbres d’ornement en relation. Dans le cadre du laboratoire de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles où il enseigne au sein du master 2 « jardins historiques, patrimoine, paysage », il co-encadre des équipes d’étudiants lors d’études paysagères contribuant à une meilleure connaissance des interventions des paysagistes concepteurs et de l’évolution des formes paysagères en relation avec les pratiques de gestion.
À l’instar de l’amélioration de la connaissance de la biologie de l’arbre et à mesure de la prise en compte de l’arbre hors forêt ou plus couramment d’ornement, les méthodes de diagnostic phytosanitaire ont, depuis quelques années, largement évolué, amenant à évaluer parfois finement l’état sanitaire des arbres. La responsabilité juridique du propriétaire d’arbre en cas d’accident et quelques accidents tragiques (Aix-en-Provence, Strasbourg) ont contribué à développer ces recherches. Néanmoins, aussi fin soit un diagnostic sanitaire, la décision de gestion in fine dépend également de la conjonction de plusieurs autres facteurs qui déterminent un danger :
- la présence d’une cible : meuble ou immeuble, personne ;
- la probabilité de réalisation de l’événement diagnostiqué.
La notion de risque intègre également une dimension culturelle : l’acceptabilité de ce dernier qu’illustre la formule « il n’y a pas de risque 0 » avec des niveaux d’acceptation variables. Les actions préventives peuvent porter sur tout ou partie des facteurs du danger :
- supprimer la cible : mesures temporaires ou définitives de fermeture de parc ;
- agir sur la source du danger, en l’occurrence l’arbre : de l’abattage à la taille spécifique, mesures qui peuvent cependant rencontrer des objections variées ou se heurter à des législations contraignantes sur certaines espèces protégées (chauves-souris, insectes) ;
- accepter le danger ou réévaluer l’acceptation que nous avons d’un événement.
Les techniques de diagnostic de l’état de l’arbre constituent donc un atout pour mieux cerner la probabilité du danger éventuel. Nous envisagerons quelques outils de diagnostic récents en évoquant leurs atouts et limites en s’intéressant à deux méthodes de diagnostic les plus courantes en arboriculture ornementale :
- diagnostic physiologique (ou de vigueur) : il vise à identifier des symptômes affectant le fonctionnement de l’arbre (croissance, circulation de sève, etc.). On distingue couramment les facteurs biotiques, abiotiques ou anthropiques. Les méthodes de biologie moléculaire permettent d’identifier à des stades précoces la présence de champignons ou bactéries potentiellement pathogènes ;
- diagnostic de tenue mécanique. Cette approche plus récente, formalisée à l’origine par le chercheur allemand Claus Mattheck, a fait l’objet de nombreuses avancées depuis une vingtaine d’années. L’analogie posée avec la structure d’un bateau amène à considérer la relation arbre/vent et ce qui peut en affecter la résistance.
Les dernières approches, développées par des chercheurs anglais, intègrent la prise en compte du risque directement lié au site étudié. Ces tendances actuelles prennent souvent en compte l’arbre avec un regard très spécifique, au risque de négliger le système qu’il représente et au-delà, son intégration dans un projet paysager.*
Session 3 - De la recherche opérationnelle à la restauration
Nathalie Palmade-Le Dantec, adjointe au directeur des études du département des Restaurateurs, chargée de la formation permanente, Institut national du patrimoine (INP), est présidente de séance.
Nathalie Palmade‐Le Dantec est conservateur‐restaurateur de peintures, art moderne et contemporain, et consultante en conservation préventive. Soucieuse de faire profiter les professionnels des résultats de recherches menées au niveau international, elle est à l’initiative de la traduction du livre de Richard Wolbers1 en français.
Introduction
La formation permanente du département des Restaurateurs de l’Institut national du patrimoine : une veille scientifique et technologique des travaux effectués en France et à l’étranger
Afin de répondre au mieux aux attentes des professionnels et d’essayer d’apporter des réponses pratiques et concrètes face aux situations souvent très spécifiques et complexes auxquelles ils sont confrontés, la formation permanente s’efforce d’effectuer une veille scientifique et technologique en Europe et partout dans le monde sur des sujets de recherche appliquée dans ce domaine. Ainsi, par exemple, nous avons participé à l’introduction en France des travaux et des techniques de nettoyage aqueuses de Richard Wolbers, professeur associé au département de Conservation des œuvres d’art à l’université du Delaware, en le faisant venir régulièrement et en faisant traduire son livre en français.
Afin d’apporter des éléments de réponse dans des domaines d’application peu avancés, nous avons été les premiers à présenter et organiser une formation à partir de son travail de recherche réalisé dans le cadre du groupe international sur la problématique du nettoyage des peintures à émulsion (peintures acryliques, vinyliques) avec la Tate (Londres) et le Getty Conservation Institute.
Dans la même démarche, nous lui avons présenté nos problématiques très particulières et parisiennes sur la restauration de peintures murales à la cire pour l’inciter à nous aider à définir une procédure de nettoyage adaptée. Pour satisfaire des demandes dans d’autres domaines, nous avons également exposé des travaux concernant les méthodes aqueuses pour le nettoyage du mobilier, des textiles et des métaux ; une première sur la protection et l’enlèvement des tags ; le logiciel de programme modulaire pour la mise en place des systèmes de nettoyage par Chris Stravroudis (Getty conservation Institute) ; les solvants de remplacement pour les solvants toxiques (recherche CNRS et Getty). Cette année seront proposées les nouvelles méthodes de conditionnement et d’encadrement pour les arts graphiques (nouveaux matériaux, recherche National Gallery, Washington D.C.) et, en collaboration avec le LRMH, l’évolution sur les nouveaux lasers appliqués pour la pierre, le plâtre et le métal. De nombreux chantiers présentant des problématiques particulières et non résolues à ce jour de façon satisfaisante bénéficient de l’expertise de Richard Wolbers.
1. Cleaning Painted Surfaces : Aqueous Methods. Londres : Archetype publications, 2000.
La formation permanente du département des Restaurateurs de l’Institut national du patrimoine : une veille scientifique et technologique des travaux effectués en France et à l’étranger
Nathalie Palmade-Le Dantec, adjointe au directeur des études du département des Restaurateurs, chargée de la formation permanente, Institut national du patrimoine (INP), présidente de séance.
Intervenant : Nathalie Palmade‐Le Dantec est conservateur‐restaurateur de peintures, art moderne et contemporain, et consultante en conservation préventive. Soucieuse de faire profiter les professionnels des résultats de recherches menées au niveau international, elle est à l’initiative de la traduction du livre de Richard Wolbers1 en français.
Afin de répondre au mieux aux attentes des professionnels et d’essayer d’apporter des réponses pratiques et concrètes face aux situations souvent très spécifiques et complexes auxquelles ils sont confrontés, la formation permanente s’efforce d’effectuer une veille scientifique et technologique en Europe et partout dans le monde sur des sujets de recherche appliquée dans ce domaine. Ainsi, par exemple, nous avons participé à l’introduction en France des travaux et des techniques de nettoyage aqueuses de Richard Wolbers, professeur associé au département de Conservation des œuvres d’art à l’université du Delaware, en le faisant venir régulièrement et en faisant traduire son livre en français. Afin d’apporter des éléments de réponse dans des domaines d’application peu avancés, nous avons été les premiers à présenter et organiser une formation à partir de son travail de recherche réalisé dans le cadre du groupe international sur la problématique du nettoyage des peintures à émulsion (peintures acryliques, vinyliques) avec la Tate (Londres) et le Getty Conservation Institute. Dans la même démarche, nous lui avons présenté nos problématiques très particulières et parisiennes sur la restauration de peintures murales à la cire pour l’inciter à nous aider à définir une procédure de nettoyage adaptée. Pour satisfaire des demandes dans d’autres domaines, nous avons également exposé des travaux concernant les méthodes aqueuses pour le nettoyage du mobilier, des textiles et des métaux ; une première sur la protection et l’enlèvement des tags ; le logiciel de programme modulaire pour la mise en place des systèmes de nettoyage par Chris Stravroudis (Getty conservation Institute) ; les solvants de remplacement pour les solvants toxiques (recherche CNRS et Getty). Cette année seront proposées les nouvelles méthodes de conditionnement et d’encadrement pour les arts graphiques (nouveaux matériaux, recherche National Gallery, Washington D.C.) et, en collaboration avec le LRMH, l’évolution sur les nouveaux lasers appliqués pour la pierre, le plâtre et le métal. De nombreux chantiers présentant des problématiques particulières et non résolues à ce jour de façon satisfaisante bénéficient de l’expertise de Richard Wolbers.
1 Cleaning Painted Surfaces : Aqueous Methods. Londres : Archetype publications, 2000.
Nouvelles techniques de nettoyage au service de l’art contemporain : le cas de Shining Forth de Barnett Newman au Centre Georges-Pompidou
Véronique Sorano-Stedman, cheffe du service de la Restauration des œuvres, musée national d’Art moderne.
Intervenant : Ancienne élève de l’École du Louvre, Véronique Sorano-Stedman est diplômée de l’IFROA-INP (1980-1984) et de la maîtrise de sciences et techniques conservation-restauration des biens culturels de l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Restauratrice indépendante, elle a travaillé pour le musée du Louvre et les musées de France auprès du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) durant plus de vingt ans. Gérante de l’Atelier Rostain puis de la société Arcanes avec Cinzia Pasquali, elle a dirigé de grands chantiers comme la galerie d’Apollon au Louvre, la galerie des Glaces à Versailles, le pavillon de l’Aurore à Sceaux. Depuis 2010, elle dirige le service de restauration du musée national d’Art moderne au Centre Georges-Pompidou.
Shining Forth est l’un des plus grands chefs-d’œuvre de Barnett Newman1. Ce tableau de format imposant (290 x 442 cm) est une composition épurée de bandes verticales noires peintes sur une toile de coton écru, simplement encollée. En juin 1990, onze ans après son entrée dans les collections, Shining Forth fut accidentellement souillé puis se dégrada visuellement de façon imprévue. Une première phase de recherches approfondies et d’essais se conclut par l’abandon du projet de restauration, faute de techniques adaptées à la résolution d’un problème jugé insoluble. À partir de 2010, les innovations en matière de nettoyage et une collaboration avec le C2RMF et Richard Wolbers permirent d’envisager des hypothèses de traitement puis de les mettre en œuvre. Cette présentation illustre à la fois l’évolution des protocoles à la disposition des restaurateurs et les conditions nécessaires pour traiter les cas complexes : prise de responsabilité, échanges, accès à la recherche.
1 1905-1970, peintre expressionniste abstrait américain.
Décrassage et nettoyage des peintures murales d’Eugène Delacroix à l’église Saint-Sulpice avec les gels et solvants siliconés
Marie Monfort, directrice de la Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles (COARC), Ville de Paris, et
Alina Moskalik-Detalle, restauratrice de peintures murales.
Marie Monfort est conservatrice en chef du patrimoine, responsable de la Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles de la Ville de Paris (COARC) depuis 2013. Ce service est chargé de l’inventaire, de l’étude et de la restauration des décors et œuvres d’art des édifices religieux de la Ville et prépare une exposition sur les peintures religieuses du xviiie siècle dans les églises de Paris. Elle a exercé préalablement à la mission de préfiguration de l’établissement public Paris-Musées, et de 1999 à 2010, comme conservatrice des antiquités et objets d’art du département des Hauts-de-Seine. Elle a publié plusieurs ouvrages et articles sur la peinture murale dans les années Trente, notamment L’école joyeuse et parée avec Isabelle Collet, en 2013, autour des décors des écoles de Paris, à l’occasion d’une exposition au musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Elle est commissaire de l’exposition « Baroque des Lumières. Chefs-d’œuvre des églises parisiennes au xviiie siècle », inaugurée en mars 2017 au Petit Palais.
Alina Moskalik-Detalle est diplômée de l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et de l’Académie des beaux-arts de Varsovie (Pologne), département de Conservation-restauration de peintures. Elle est spécialisée en conservation et restauration de peintures murales. Après avoir travaillé cinq années au Royaume-Uni et aux États-Unis, elle s’installe en France en 1993. Parmi ses chantiers figurent les études et les restaurations de nombreuses peintures murales à travers la France. Depuis 2004, elle est chargée avec son équipe du suivi de la conservation de la grotte de Lascaux. Récemment, elle a dirigé plusieurs chantiers dans les églises parisiennes, notamment la restauration de la fresque de Charles de La Fosse à l’église Notre-Dame-de-l’Assomption, des peintures murales de Georges Lallemant à l’église Saint-Nicolas-des-Champs, des peintures murales d’Eugène Delacroix à l’église Saint-Sulpice.
En 1849, Delacroix reçoit la commande pour la décoration de la chapelle des Saints-Anges à Saint-Sulpice. Pour la toile marouflée, il retient le sujet de saint Michel terrassant le démon, pour les deux peintures murales, il choisit la lutte de Jacob avec l’ange et Héliodore chassé du temple. Le chantier commence en 1854, la chapelle est inaugurée en 1861, deux ans avant la mort de Delacroix. Les peintures monumentales, d’environ 220 m², présentent un aspect de surface hétérogène. Elles ont été réalisées par superposition de plusieurs couches de couleur, jusqu’à quinze, appliquées en glacis ou en empâtement. La couche picturale est composée de pigments minéraux et de colorants mélangés à un liant organique constitué d’huile et de cire. Les peintures ont déjà été restaurées plusieurs fois, la dernière intervention date de 1978. Le chantier, commencé en octobre 2015, a duré un an, dont quatre mois ont été consacrés à l’étude. Chaque étape d’intervention a été validée par le comité scientifique après évaluation des protocoles de traitement par le LRMH. Le nettoyage a été réalisé avec des gels et des solvants siliconés, élaborés et testés in situ avec le professeur Richard Wolbers en fonction des matériaux à éliminer, crasse, repeints, vernis de restauration naturels ou synthétiques. Cette méthode qui consiste à limiter la pénétration du principe actif dans la couche picturale en la protégeant avec un solvant siliconé est particulièrement adaptée à la problématique de nettoyage des peintures complexes et fragiles.
Les enjeux d’une restauration : conserver et étudier. À propos de la rose ouest de la Sainte-Chapelle de Paris
Michel Hérold, conservateur général du patrimoine, Centre André Chastel, et Claudine Loisel, responsable du pôle scientifique Vitrail, Laboratoire de recherche des monuments historiques.
Intervenant : Michel Hérold, docteur habilité à diriger les recherches, est conservateur général du patrimoine mis à disposition du Centre André Chastel, où il est co-responsable du thème de recherche 5 : « Matériaux, techniques, métiers : enquêtes sur les savoir-faire artistiques ». Directeur du Comité français du Corpus vitrearum depuis 2004, Michel Hérold, dans ses recherches qui s’attachent à l’ensemble de la connaissance de l’art du vitrail, concentre particulièrement ses travaux sur l’étude des ateliers de peintres verriers de la fin du Moyen Âge et sur les divers aspects de leurs modes de fonctionnement ; il porte une attention toute spéciale au matériau verre.
Claudine Loisel, docteur en chimie et ingénieure de recherche, est responsable du pôle scientifique Vitrail du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH). Elle est en charge de l’expertise et du diagnostic des projets de conservation et de restauration des vitraux classés et inscrits au titre des monuments historiques (cathédrales de Chartres, Strasbourg et Reims, Sainte-Chapelle de Paris, Vincennes, Riom). Elle a participé à de nombreux projets nationaux et internationaux sur la connaissance et la compréhension des processus d’altération des matériaux vitreux. Elle est également membre expert du Comité pour la recherche.
Les équipes du Centre André Chastel (Paris-IV-CNRS-MCC), de l’Institut de minéralogie et de physique des matériaux et de cosmochimie (Paris-VI-CNRS-MNHN-IRD) et du Centre de recherche sur la conservation (Muséum-CNRS-MCC) se sont alliées pour étudier la rose de la Sainte-Chapelle de Paris, chef-d’œuvre du vitrail de la fin du Moyen Âge. La campagne de restauration de 2014-2015 a offert une opportunité unique d’accéder à cette verrière dans les conditions idéales de l’atelier. Ce projet a proposé de rapprocher les expertises des historiens du vitrail et de la peinture médiévale, des physiciens, chimistes et minéralogistes pour mettre en évidence les informations clefs contenues dans la couleur des vitraux :
- définir et quantifier la palette de couleurs des verres employés ;
- déterminer les compositions chimiques (matrice vitreuse et éléments colorants) ;
- discuter des conditions de fabrication des verres ;
- distinguer les provenances temporelles et géographiques des verres.
L’approche est fondée sur l’observation des verres en atelier et l’expertise en critique d’authenticité des historiens du vitrail du Centre André Chastel, les analyses spectroscopiques réalisées avec un montage développé spécifiquement par l’équipe de l’Institut de minéralogie et de physique des matériaux et de cosmochimie et les analyses élémentaires réalisées par l’équipe du Centre de recherche sur la conservation (CRC). Ces résultats sont confrontés aux questions de l’homogénéité stylistique de l’œuvre et de la cohérence ou non de l’exécution sur verre. La rose de la Sainte-Chapelle de Paris, jalon de premier ordre dans l’histoire de la peinture sur verre en France, permet de relier le regard des historiens de l’art à l’analyse des couleurs de l’œuvre, l’un éclairant l’autre. Cette démarche est depuis longtemps attendue des historiens de l’art, contribuant à confirmer ou à affiner bien des hypothèses de travail. Les recherches fondamentales entreprises par les scientifiques gagneront à se situer désormais dans une stimulante et solide perspective historique.
Traitement localisé des éléments métalliques d’objets composites comportant des matériaux organiques indissociables
Christian Degrigny, enseignant-chercheur, unité de recherche, Haute École Arc de conservation-restauration (Neuchâtel, Suisse).
Intrevenant : Christian Degrigny est chercheur en conservation-restauration. Après l’obtention d’une thèse en chimie minérale sur la stabilisation d’alliages d’aluminium issus de vestiges aéronautiques, il a travaillé en France et surtout à l’étranger pour rendre accessible l’utilisation des techniques électrochimiques en conservation-restauration. Il partage actuellement son temps entre ses activités de chercheur-enseignant à la Haute École Arc Conservation-restauration de Neuchâtel et de co-gestionnaire du château de Germolles (Saône-et-Loire).
La conservation-restauration des objets composites comportant à la fois des éléments métalliques et des matériaux organiques indissociables requiert habituellement d’isoler un des matériaux pour traiter l’autre. Les techniques existantes sont effectivement rarement compatibles pour les deux matériaux considérés et l’isolation étant rarement parfaite, elles restent potentiellement nocives pour le matériau associé à celui qui est traité. Le Pleco est un nouveau pinceau électrolytique permettant de traiter localement les parties métalliques d’un objet composite, sans risque pour le(s) matériau(x) associé(s). Économique et fabriqué en kit à partir d’éléments réalisés par découpe laser et impression 3D, il intègre une cellule électrolytique à 3 électrodes alimentée continûment avec une solution en permanence renouvelée. Cet outil de recherche appliquée, puisqu’il permet de définir les paramètres de traitement, est aussi un outil de traitement non seulement sûr et efficace mais également convivial et d’utilisation facile pour les conservateurs-restaurateurs. Développé initialement pour nettoyer le ternissement des plaques d’argent sur des reliquaires constitués d’une âme en bois, le Pleco a depuis été appliqué avec succès au nettoyage d’objets composites ternis en argent doré ainsi qu’à la stabilisation de la corrosion active de sceaux en plomb toujours attachés aux objets en cuir, textile et papier qu’ils certifient. Le nettoyage de filés métalliques au sein de matériaux textiles pourrait constituer un prochain terrain d’expérimentation.
Recherches sur l’utilisation des aminoalkylalkoxysilanes pour la consolidation de matériaux fragiles : des documents d’archives à l’art contemporain
Véronique Rouchon, directrice adjointe, Centre de recherche sur la conservation des collections (CRCC), et Oulfa Belhadj, assistante-ingénieure, Centre de recherche sur la conservation des collections (CRCC).
Intervenant : Véronique Rouchon a suivi une formation d’ingénieur à l’École polytechnique (X 86), ainsi qu’une formation universitaire à Paris-I (licence d’histoire de l’art) et Paris-VII (doctorat en sciences des matériaux). De 1993 à 2005, elle enseigne à l’université de La Rochelle comme maître de conférences et y mène ses travaux de recherche sur la conservation des manuscrits comportant des encres ferrogalliques. En 2005, elle rejoint, comme ingénieur de recherche du ministère de la Culture et de la Communication, le Centre de recherche sur la conservation des documents graphiques (CRCDG). En 2016, elle devient, en tant que professeur du Muséum national d’histoire naturelle, directrice adjointe du Centre de recherche sur la conservation (CRCC).
Les encres ferrogalliques sont sensibles à l’eau et certains traitements de restauration provoquent, autour des traits, des halos bruns, plus ou moins perceptibles, qui s’accompagnent d’une migration de fer préjudiciable à la conservation du support. Ces migrations sont difficiles à éviter car les tests de solubilité pratiqués par les restaurateurs sont peu fiables. Un test colorimétrique a été récemment proposé pour évaluer les risques de migration au cours d’un renforcement avec une colle à base d’eau. Il consiste à tester la procédure de renforcement elle-même qui doit être appliquée sur un papier portant une inscription d’encre ferrogallique et préalablement imprégné de bathophénanthroline. Ce test fonctionne bien pour évaluer l’impact des colles aqueuses et nous avons cherché à l’utiliser sur d’autres types de traitement, en rapprochant au besoin les résultats obtenus avec l’examen de documents originaux. Ce test s’avère inadapté pour évaluer les traitements par immersion et les traitements à base de solvants organiques. Il permet en revanche une évaluation fiable des traitements aqueux où l’apport d’eau est modéré, sans extraction possible.
Conservation de tracés à l’encre ferrogallique : quand les tests de solubilité ne sont pas fiables
Véronique Rouchon, directrice adjointe, Centre de recherche sur la conservation des collections (CRCC), et Oulfa Belhadj, assistante-ingénieure, Centre de recherche sur la conservation des collections (CRCC).
Intervenant : formation universitaire à Paris-I (licence d’histoire de l’art) et Paris-VII (doctorat en sciences des matériaux). De 1993 à 2005, elle enseigne à l’université de La Rochelle comme maître de conférences et y mène ses travaux de recherche sur la conservation des manuscrits comportant des encres ferrogalliques. En 2005, elle rejoint, comme ingénieur de recherche du ministère de la Culture et de la Communication, le Centre de recherche sur la conservation des documents graphiques (CRCDG). En 2016, elle devient, en tant que professeur du Muséum national d’histoire naturelle, directrice adjointe du Centre de recherche sur la conservation (CRCC).
Les encres ferrogalliques sont sensibles à l’eau et certains traitements de restauration provoquent, autour des traits, des halos bruns, plus ou moins perceptibles, qui s’accompagnent d’une migration de fer préjudiciable à la conservation du support. Ces migrations sont difficiles à éviter car les tests de solubilité pratiqués par les restaurateurs sont peu fiables. Un test colorimétrique a été récemment proposé pour évaluer les risques de migration au cours d’un renforcement avec une colle à base d’eau. Il consiste à tester la procédure de renforcement elle-même qui doit être appliquée sur un papier portant une inscription d’encre ferrogallique et préalablement imprégné de bathophénanthroline. Ce test fonctionne bien pour évaluer l’impact des colles aqueuses et nous avons cherché à l’utiliser sur d’autres types de traitement, en rapprochant au besoin les résultats obtenus avec l’examen de documents originaux. Ce test s’avère inadapté pour évaluer les traitements par immersion et les traitements à base de solvants organiques. Il permet en revanche une évaluation fiable des traitements aqueux où l’apport d’eau est modéré, sans extraction possible.
Comment introduire les technologies 3D dans les ateliers de conservation-restauration ?
Maximiliane Richy, doctorante en conservation-restauration, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne.
Intervenant : Diplômée en 2011 du master 2 professionnel Conservation-Restauration des biens culturels de l’université Paris-I, spécialité céramique et verre, Maximiliane Richy s’installe comme restauratrice indépendante au Puy-en-Velay. Elle s’intéresse aux possibilités que pourraient offrir aux conservateurs-restaurateurs, au quotidien et hors institution, les technologies de numérisation et d’impression 3D, en particulier pour les comblements. En 2016, elle obtient un master 2 recherche Patrimoine et Conservation-Restauration au cours duquel elle a évalué les possibilités d’introduction des technologies 3D dans les ateliers de conservation-restauration. Elle poursuit depuis sa recherche en thèse à l’école doctorale d’histoire de l’art (ED 441) de l’université de Paris-I dans le but d’élargir l’accès à ces technologies pour les professionnels indépendants.
De nos jours, les médias et les spécialistes en informatique nous assènent que les technologies 3D vont « révolutionner » notre quotidien et notre façon de travailler. Ils avancent l’idée que les technologies 3D peuvent être utilisées quotidiennement par tout un chacun. Sont désignées par « technologie 3D » toutes les techniques utilisant le référentiel et les calculs mathématiques tels que définis par la géométrie euclidienne pour fonctionner. Cela regroupe des technologies très variées. En informatique, on peut découper la « 3D » en trois grandes phases : l’acquisition des données à partir d’un objet réel (scan 3D), la modélisation ou manipulation grâce aux logiciels CAO (conception assistée par ordinateur), et enfin l’exploitation des données avec des applications comme la réalité virtuelle, la réalité augmentée et la fabrication soustractive ou additive (impression 3D). Ensemble, elles permettent de réaliser une multitude d’opérations. Du fait de ces capacités, actuellement, de nombreux métiers ont intégré l’emploi de ces technologies dans leur pratique. En conservation-restauration, diverses sources montrent que les professionnels tentent de façon indépendante d’utiliser ces outils. Cependant, il semblerait que la 3D soit majoritairement utilisée dans les seuls projets à gros budget. Qu’en est-il exactement ? Peut-on grâce à une recherche bibliographique faire un bilan de l’utilisation de ces technologies pour des opérations de conservation-restauration ? Est-il possible de rendre ces technologies accessibles à tous les ateliers de conservation-restauration tel que cela est prédit par les spécialistes informatiques et les médias ?
Session 4 - Documenter et diffuser: Nouvelles démarches et nouvelles technologies
Introduction
Mireille Grubert, directrice de l’École de Chaillot, présidente de séance.
Intervenant : Architecte du patrimoine, architecte et urbaniste général de l’État, Mireille Grubert est directrice de l’École de Chaillot, département de la Formation de la Cité de l’architecture et du patrimoine (CAPA) à Paris. Après avoir été maître d’œuvre pour des chantiers de restauration, elle a exercé les fonctions d’architecte des bâtiments de France pendant une quinzaine d’années. Elle a auparavant travaillé un an aux États-Unis pour la Foundation for San Francisco’s Architectural Heritage, ainsi qu’à la Commission européenne à Bruxelles, à la direction générale de la Politique régionale, dans le secteur des politiques urbaines. Actuellement membre de la Commission du Vieux Paris, elle siège aussi à la Commission nationale des secteurs sauvegardés, au conseil d’administration de la section française de l‘ICOMOS ainsi qu’au conseil de l’Académie d’architecture.
Mireille Grubert présentera deux aspects, en matière d’innovation, qui font débat en ce moment dans les domaines de la recherche, de la pratique et de l’enseignement sur le patrimoine et qui interagissent : le numérique dans tous les usages (BIM, relevés numériques, enseignement à distance) d’une part, la place de l’humain et l’évolution du statut des experts d’autre part.
« Sémantiser » et rendre interopérables les données de conservation-restauration : le projet PARCOURS
Élise Leboucher, responsable du pôle Documentation, Laboratoire de recherche des monuments historiques, et Cheikh Niang, ingénieur de recherche, Laboratoire de recherche des monuments historiques.
Intervenant : Élise Leboucher est responsable du centre de documentation du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) depuis 1976. À ce titre, elle a conçu et gère la base de données « Castor » du laboratoire. Depuis 2013, elle pilote le projet PARCOURS, inscrit dans le cadre de Patrima, sous l’égide de la Fondation des sciences du patrimoine et, depuis janvier 2017, du ministère de la Culture et de la Communication.
Cheikh Niang est docteur en informatique. Ingénieur de recherche rattaché au LRMH, il est actuellement responsable du projet PARCOURS. Il mène ses activités de recherche dans les domaines du web sémantique (représentation de connaissances, ontologies, annotation sémantique, raisonnement automatique) et de l’intégration de données (intégration et échange d’informations issues de sources diverses, interrogation de données en présence d’ontologies, réécriture de requêtes).
Il est indiscutable que la protection et la gestion des objets patrimoniaux revêtent aujourd’hui une importance capitale. La notion de patrimoine culturel que nous considérons ici recouvre l’ensemble des entités matérielles et immatérielles présentant un intérêt patrimonial pour les générations présentes et futures1. Quelle que soit leur spécificité, les institutions partenaires de ce projet (LRMH, C2RMF, CRCC, INP, IPANEMA, ETIS, DAVID) emploient des acteurs travaillant essentiellement dans différents domaines liés à la conservation-restauration du patrimoine. Ces professionnels produisent une quantité importante de données telles que des résultats d’analyse ou d’observation mais ont actuellement beaucoup de difficultés à mettre en relation leurs travaux. Ce problème d’interopérabilité est dû au fait que les données produites, même si elles partagent des points communs, sont hétérogènes et isolées les unes des autres. L’objectif du projet PARCOURS (Patrimoine culturel et Restauration-Conservation : Ontologie pour l’usage d’un référentiel commun aux différentes Sources de données) est de fournir un point de référence commun qui faciliterait le partage d’informations entre les différents acteurs de la conservation-restauration. Pour ce faire, ce projet s’appuie sur le web sémantique et l’intégration de données. Lors d’une première phase, une ontologie capable d’offrir un cadre consensuel de représentation formelle des données de conservation-restauration a été construite. Lors d’une deuxième phase, cette ontologie a été mise en œuvre dans un système d’intégration de données, cette infrastructure permettant d’interroger simultanément différentes données de conservation-restauration sans se soucier de la structure des données interrogées, ni de leurs sources de provenance et encore moins de la façon précise dont les requêtes sont construites.
Une plateforme d’annotation sémantique 3D pour la documentation et le suivi de l’état de conservation des objets patrimoniaux
Livio De Luca, directeur de recherche au CNRS, directeur de l’UMR CNRS/MCC MAP _ Modèles et simulations pour l’Architecture et le Patrimoine.
Architecte, docteur des Arts et Métiers-ParisTech, habilité à diriger des recherches en informatique, Livio De Luca est directeur de recherche au CNRS et directeur de l’UMR CNRS/MCC MAP (Modèles et simulations pour l’Architecture et le Patrimoine). Co-président du congrès international UNESCO/IEEE/EG DigitalHeritage (2013 à Marseille et 2015 à Grenade), il coordonne et participe à plusieurs projets de recherche sur la numérisation 3D, la documentation, la conservation et la diffusion du patrimoine culturel à l’échelle nationale (ANR, FUI, CNRS, MCC, …) et internationale (FP7, ICT-PSP, Marie-Curie…). Ses travaux ont été récompensés en 2007 par le Prix Pierre Bézier de la Fondation Arts et Métiers et en 2016 par la Médaille de la recherche et de la technique de l’Académie d’architecture.
Dans le domaine de la conservation, des données variées décrivent les états d’un objet patrimonial (données de relevé et d’imagerie scientifique, cartographies des détériorations, collectes photographiques, archives historiques, documents d’analyse, prélèvements, etc.). Face à la difficulté de collecter, comparer, analyser et valider les données préalables à la restauration, les travaux de recherche du laboratoire MAP visent à mobiliser divers champs disciplinaires (l’architecture, la conservation, la mécanique, l’informatique) afin de définir un prototype de chaîne de traitement de l’information (incluant données métriques, analyses des surfaces, modèles géométriques, sources documentaires hétérogènes, etc.). L’objectif est de concevoir et de développer une plateforme logicielle ouverte et extensible pour la capitalisation et la gestion de connaissances favorisant la compréhension et l’analyse des phénomènes de dégradation. Notre approche présente deux caractères innovants : d’un côté l’idée de relier (et de rapprocher) la phase d’acquisition des données à celle de leur analyse et de leur interprétation ; de l’autre côté, l’ambition d’élaborer des supports d’analyse (morphologie, état des surfaces, comportements) interconnectés par un système de caractérisation sémantique basé sur des mécanismes de distribution/propagation (multi-échelles et multi-projections) de concepts structurés au sein d’une ontologie de domaine.
Constats d’état sur tablettes et smartphones à l’aide de Horus condition report® : avantages et perspectives
Anaïs Gailhbaud, restauratrice du patrimoine, spécialisée en sculptures et objets composites.
Intervenant : Anaïs Gailhbaud est restauratrice du patrimoine, spécialisée en sculptures et objets composites. Diplômée de l’Institut national du patrimoine et de l’École du Louvre, elle est la créatrice de l’application Horus condition report®.
Horus condition report® est une application mobile pour éditer des constats d’état de qualité sur tablettes et smartphones. Cet outil s’adresse aux professionnels de l’art et du patrimoine amenés à faire des constats d’état : restaurateurs, régisseurs, conservateurs, voire experts et transporteurs. Depuis quelques années, avec l’augmentation de la circulation des œuvres, la pratique du constat s’est considérablement développée. L’implication juridique du constat est majeure et engage la responsabilité des signataires. Pourtant, en 2016, les constats présentent souvent de nombreuses lacunes :
- ils contiennent rarement des photos actualisées de l’œuvre ;
- les altérations sont rarement annotées sur les photos ;
- les photos de détails des altérations sont rarement incluses ;
- les champs prescrits par la norme Afnor ne sont pas toujours respectés ;
- les constats faits par différents intervenants sont hétérogènes, même dans une même exposition ;
- le vocabulaire utilisé n’est pas toujours compréhensible par tous ;
- les risques d’incompréhension sont importants quand les deux examinateurs sont de langue différente.
L’application Horus condition report® est conçue pour augmenter la qualité générale des constats et réduire le temps passé à son édition. L’usage d’une application a en effet de nombreux avantages. Il permet :
- de concentrer plusieurs outils en un seul ;
- d’être guidé dans la réalisation du constat ;
- de localiser simplement les altérations- de proposer du vocabulaire ;
- de traduire automatiquement un constat.
Horus est en ligne depuis juillet 2016 avec un souci d’accessibilité pour les indépendants et les institutions. De nouvelles options sont en cours de développement pour lui permettre de couvrir tous les scenarii des collections.
Table ronde: Construire la recherche en conservation-restauration
Modératrice : Aline Magnien, directrice du Laboratoire de recherche des monuments historiques.
Avec Céline Bonnot-Diconne, restauratrice du patrimoine, maître d’art ; Jeanne Cassier, enseignante au sein du cycle conservation-restauration des œuvres sculptées de l’école des Beaux-Arts de TALM-Tours ; Robert Jourdan, conservateur général du patrimoine, conservateur régional des Monuments historiques, direction régionale des Affaires culturelles Provence-Alpes-Côte d’Azur ;Olivier Piffault, directeur du département de la Conservation, Bibliothèque nationale de France et Christian Vernou, conservateur en chef du patrimoine, directeur scientifique et culturel d’ARC-Nucléart.
Intervenant : Aline Magnien, conservateur général du patrimoine, a œuvré au sein de l’Inventaire général des richesses et monuments artistiques de la France de 1994 à 2007 avant de devenir responsable du service des Collections au musée Rodin. Depuis décembre 2016, elle dirige le Laboratoire de recherche des monuments historiques.
Céline Bonnot-Diconne est restauratrice spécialiste des objets en cuir, en peau ou en parchemin. Elle intervient sur les cuirs archéologiques, les objets ethnographiques, le mobilier ou les arts décoratifs, aussi bien en termes de conservation préventive que de traitement ou d’étude des collections. Son expérience est internationalement reconnue sur les cuirs dorés polychromes (dits « cuirs de Cordoue »). En 2005, elle crée et dirige le 2CRC (Centre de conservation et de restauration du cuir), structure unique en France qui se consacre exclusivement à la restauration des objets en cuir et dispose de moyens techniques dédiés. Elle a été coordinatrice du groupe Cuir de l’ICOM-CC (période 2011-2014), pensionnaire à l’Académie de France à Rome (2011-2012). Elle est co-fondatrice de la Gilt Leather Society créée en décembre 2016 à Amsterdam pour favoriser et soutenir la recherche internationale sur les décors en cuir doré. En septembre 2015, elle se voit décerner le titre de maître d’art par le ministère de la Culture et de la Communication.
Diplômée de l’institut national du Patrimoine – département des restaurateurs en 2006, Jeanne Cassier pratique depuis la conservation-restauration de sculptures en tant que professionnelle indépendante. Depuis 2016, elle enseigne et fait la co-coordination au sein du cycle conservation-restauration des œuvres sculptés de l’école des beaux-arts de TALM-Tours, qui forme les futurs restaurateurs. À travers ces différentes activités, elle travaille à une meilleure reconnaissance de la profession et insertion des jeunes diplômés dans le contexte professionnel.
Robert Jourdan est conservateur général du patrimoine, conservateur régional des Monuments historiques, coordonnateur du pôle Patrimoines à la direction régionale des Affaires culturelles Provence-Alpes-Côte d’Azur. De 1981 à 2009, Il a exercé ses fonctions successivement en Champagne-Ardenne, Centre, Pays-de-la-Loire, Languedoc-Roussillon. Il a participé à de nombreuses communications et publications sur des thèmes divers : problématiques de conservation des édifices, méthodologies d’études monumentales, photographie patrimoniale, apports des technologies récentes.
Olivier Piffault, conservateur général, Directeur du département de la Conservation à la Bibliothèque nationale de France depuis 2013, est chargé du pilotage, de la programmation et de la mise en œuvre de la politique de conservation. Auparavant en poste au département des Imprimés, il a participé au chantier d'ouverture de la BnF. Spécialiste du patrimoine du livre pour enfant et de la bande dessinée, il a été adjoint au directeur de la Joie par les Livres.
Archéologue de formation, Christian Vernou a dirigé le Musée archéologique de Dijon de 2002 à 2016. Conservateur en chef du patrimoine, mis à la disposition de l’Atelier régional de conservation ARC-Nucléart à Grenoble par le ministère de la Culture et de laCommunication, il est chargé de la direction scientifique et culturelle du Laboratoire depuis juin 2016. Il est également chercheur associé à l’UMR 6298, ARTéHIS, Archéologie, terre, culture, sociétés.
La recherche dans le domaine de la conservation-restauration se construit à plusieurs car il convient de ne jamais considérer comme normale et évidente la restauration d’une œuvre, non pas seulement dans ses complexités matérielles, ses procédures, ses techniques, mais dans son principe même. Il n’est en aucun cas évident qu’il faille restaurer, et qu’il faille restaurer telle ou telle œuvre (pourquoi celle-là et pas une autre ?) et il suffit de penser à la position de Ruskin ou aux débats qui ont suivi la Première Guerre mondiale sur le fait de laisser certaines ruines telles quelles pour perpétuer le souvenir de la barbarie, pour se rendre compte qu’au fond, cela ne va pas de soi. La restauration, comme nous la concevons globalement, s’inscrit dans un moment historique, relève d’une certaine conception du passé, conception particulière peut-être au monde occidental de ce que doit être la conservation de ce passé. La conservation-restauration est un acte anthropologique et culturel. Par conséquent, la recherche dans ce domaine ne peut que nouer un dialogue, le plus fructueux possible, entre les acteurs de terrain, les conservateurs et historiens de l’art, les restaurateurs et les laboratoires de recherche.
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