Germaine Krull (Wilda, 1897- Wetzlar, 1985)
Germaine Krull est née à Wilda-Poznan en Pologne actuelle. À partir de 1915, elle étudie la photographie au Lehr und Versuchsanstalt für Photographie, Chemiegrafie, Lichtdruck und Gravure à Munich, institut qui dispense un enseignement aux femmes depuis 1905. Son caractère intrépide et sa chevelure lui valent le surnom de « Chien fou », titre choisi plus tard pour son autobiographie romancée. Diplômée en 1917, elle ouvre un premier studio de portraits à Munich, ville intellectuellement et artistiquement riche en ce début de siècle. Elle participe l’année suivante à la publication d’un recueil d’héliogravure – Le Nu. Vingt photographies du corps féminin d’après nature – avec deux autres photographes. Entre 1918 et 1920, elle est prise dans le tourbillon de la Révolution allemande, aux côtés de la République des Conseils de Bavière et à Berlin avec les Spartakistes. Entre 1921 et 1922, elle entreprend un voyage à travers l’URSS pour prendre part, avec son compagnon Samuel Levit, dirigeant du KPD (Parti communiste allemand), à la préparation de la IIIe Internationale. Ils assistent à l’écrasement de la révolte de Kronstadt par l’Armée rouge, avant d’être incarcérés à Moscou. Libérée, affaiblie puis à nouveau emprisonnée, elle subit un simulacre d’exécution tandis que Levit, qui l’a trahie, s’apprête à retourner en Allemagne sans se soucier d’elle.
De retour à Berlin, désabusée et malade du typhus, Germaine Kull reprend peu à peu sa pratique photographique délaissée lors des sursauts révolutionnaires qu’elle n’a pas songé à photographier. Elle fréquente l'avant-garde littéraire et artistique et poursuit ses études de nus, qu’elle complète de scènes érotiques et lesbiennes. En 1924, lors d'un séjour aux Pays-Bas avec son futur époux, le cinéaste Joris Ivens, elle commence une série de photographies de structures métalliques, « cette immensité de fers sans vie » - installations portuaires, silos, grues - qui sera déterminante pour la suite de son travail. Séduite par Paris où elle a vécu enfant, elle y réside en 1926 et y ouvre un studio de mode. Proche du couple Sonia et Robert Delaunay, elle photographie les modèles de Sonia tandis que Robert s’intéresse à ses vues de « fer ». Ses clichés déjà fréquemment publiés dans la presse française et étrangère apparaissent dans le nouveau magazine VU qui, lancé en 1928, ambitionne de renouveler le regard par la profusion de photographies modernistes et grâce à une mise en page soignée mises au service d’une « narration photographique ». Organe de diffusion massive, le journal accorde aux photographes le statut d’auteur, en faisant systématiquement figuré leur nom près du cliché. Ainsi, en même temps que des parutions dans des revues plus luxueuses et confidentielles – comme Art et médecine ou Arts et métiers graphiques – elle publie plus de deux cent quatre-vingt clichés dans VU, aux côtés de ceux de son nouveau compagnon, le photographe Eli Lotar avec qui elle participe à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR). Elle contribue à de nombreuses expositions, dont le Premier salon indépendant de la photographie en mars 1928, dit Salon de l’escalier, dont ce sera l’unique édition. La publication de son portfolio Métal à la fin de l’année interpelle par son originalité et ses compositions hardies au point de rester trois ans sous les feux de la critique : « Germaine Krull braquant son appareil vers le ciel, a photographié la tour Eiffel de bas en haut, et la tour Eiffel s’est cassée la gueule. Elle a été restituée comme un pont suspendu à la renverse, comme un poignard enfoncé dans les nuages. Depuis ce jour-là, les photographes sont partis à la découverte du monde » (René Zuber). Peu après, parait 100 X Paris, ouvrage trilingue de ces vues de la capitale, soigneusement imprimé. Dans les années 1930, décennie fructueuse pour Krull qui multiplie les projets d’édition, les commandes publicitaires, de mode ou de reportage, sa réputation est déjà solidement installée : « Germaine Krull est une artiste intelligente. Cela peut vous semblez un compliment bien fade, une de ces épithètes banalisées par l’usage qui s’amuse parfois à vider les mots de leur sens. (…) Germaine Krull est photographe comme Jean Cocteau est poète. Tout l’intéresse, mais elle rapporte tout à elle, c’est-à-dire à la photographie. » Le premier à écrire un essai sur son travail est Pierre Mac Orlan en 1931 qui inaugure chez Gallimard, la nouvelle série « Photographes nouveaux ». Cette série fait suite aux « Peintres nouveaux » et « Sculpteurs nouveaux », dont elle sera finalement la seule bénéficiaire. Walter Benjamin quant à lui publie deux images d'elle dans sa Petite histoire de la photographie.
Son goût pour les voyages l’incite à acheter une voiture pour sillonner la France. Elle tire ensuite de ses pérégrinations plusieurs livres : La Route de Paris-Biarritz introduit par un texte de Claude Farrère, La route de Paris à la Méditerranée ou encore Marseille (1935) comportant le célèbre pont transbordeur. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle se rend au Brésil, puis à Brazzaville au Congo, où elle est nommée responsable du service photographique de la France libre. Elle occupe peu après les mêmes fonctions à Alger avant de rentrer en France pour couvrir le débarquement de Provence et la bataille d’Alsace. En 1945, elle photographie la libération du camp de Vaihingen. En 1946, elle se rend en Indochine comme correspondante de guerre avant de s’installer à Bangkok
où elle est cogérante d’un hôtel. Depuis Bangkok, elle sillonne pendant vingt ans l’Asie du Sud-Est réalisant un inventaire photographique de la statuaire et des monuments tibétains. En 1966, elle vend ses parts de l’hôtel et retourne en France. Un an plus tard, la Cinémathèque française – musée du cinéma – organise, avec le soutien d’André Malraux, une exposition aux allures de rétrospective de cette figure centrale de la Nouvelle vision qui manie habillement plongées, contre-plongées et points de vues surprenants et réalise d’audacieuses surimpressions. Germaine Krull a abordé dans sa pratique de multiples registres : le nu, le portrait, les études de mains, la publicité, la mode, l’architecture industrielle et bouddhique, le reportage social ou de guerre. En 1968, elle s’installe dans la région de l’Uttar Pradesh en Inde dans une communauté de tibétains en exil. À la fin des années 1970, elle dicte ses mémoires qui seront publiées sous le titre Click entre deux guerres, et rédige ensuite La Vie mène la danse. Elle meurt en 1985 à Wetzlar en République fédérale d’Allemagne.
Angelina Meslem
Bibliographie
Jean Laurent, Germaine Krull, La Rampe : revue des théâtres, music-halls, concerts, cinématographes, 15 avril 1931
Michel Frizot, Germaine Krull, catalogue d'exposition, Paris, Jeu de Paume, 2 juin - 27 septembre 2015, Berlin, Martin-Gropius-Bau, 15 octobre 2015 - 31 janvier 2016, Paris, Jeu de Paume, 2015
Damarice Amao, Florian Ebner, Christian Joschke, Photographie, arme de classe. La photographie sociale et documentaire en France 1928-1936, catalogue d'exposition, Paris, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, 7 novembre 2018 - 4 février 2019, Paris, Centre Pompidou, 2018
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