Monsieur le président, cher Raphaël,[1]

Madame la déléguée générale, chère Françoise Chambre,

Mesdames et messieurs,

 

Merci pour votre invitation à penser, à vos côtés, l’écosystème des médias de demain.

C’est un honneur d’ouvrir ces Rencontres.

Elles arrivent, je dois le dire, à point nommé.

Lundi et mardi, j’ai reçu rue de Valois l’ensemble des parties prenantes concernées par la réforme de la loi audiovisuelle, y compris les acteurs de la publicité, pour une ultime phase de concertation autour du projet de texte à venir.

Ce projet de loi vise à moderniser la réglementation audiovisuelle.

Ce texte est fondamental en ce qu’il doit nous permettre de recouvrer, de retrouver, de réaffirmer notre souveraineté culturelle.

Et de la réinventer, pour longtemps.

Comme l’a parfaitement exprimé le Président de la République lorsqu’il nous a fait l’honneur de venir célébrer, avec l’ensemble des équipes, les 60 ans du ministère de la culture dans les jardins du Palais-Royal, l’enjeu n’est pas de « s’adapter » à des contraintes extérieures.

Il s’agit d’inventer un nouveau modèle, à même d’assimiler harmonieusement l’ensemble des parties prenantes.

Oui, cher Raphaël, « nous vivons un moment important ». Et nous devons en être à la hauteur.

Le constat, aujourd’hui, est largement partagé : la loi de 1986 relative à la liberté de communication – et certains des textes réglementaires qui l’accompagnent - sont datés. Inadaptés. Dépassés.

Le numérique a tout bousculé sur son passage, vous êtes les premiers à le savoir.

La croissance du marché de la communication est aujourd’hui intégralement tirée par la croissance des investissements dans les médias numériques.

En l’espace de quelques années, le paysage a changé du tout au tout.

Les contenus ont abondé, les modes de consommation se sont diversifiés, les écrans se sont démultipliés. La loi, quant à elle, n’a été révisée qu’à la marge.

Il en résulte de fortes asymétries de régulation entre acteurs. Elles affaiblissent le potentiel de développement des uns, et laissent d’autres prospérer en passagers clandestins.

La réforme que nous nous apprêtons à lancer va nous permettre d’y remédier.

Plus que cela : elle va nous permettre d’inventer un nouveau modèle de régulation.

C’est un enjeu d’équité.

C’est un enjeu de neutralité technologique et économique.

C’est un enjeu de simplification.

Mais surtout, je le disais, c’est un enjeu de souveraineté.

Parce que la loi audiovisuelle à venir tord le cou à cette idée qui voudrait que, face aux supposément tout-puissants acteurs d’Internet, nous serions impuissants.

Non : nous pouvons agir.

Nous devons agir.

Pour protéger nos acteurs nationaux, qui font notre fierté.

Pour protéger nos agences média, notre création, nos données, notre pluralisme des courants de pensée – qui passe, immanquablement, par le pluralisme des médias.

Pour protéger nos valeurs, notre modèle de diversité culturelle, notre exception culturelle et par là, nos auteurs, nos artistes et nos créateurs.

 

Rétablir notre souveraineté culturelle, cela passe par l’intégration, dans notre système de financement de la création et de protection des publics, des acteurs qui en sont pour l’instant tenus à l’écart.  

Intégrer les acteurs numériques à notre modèle, c’était d’abord l’objectif de plusieurs combats, que nous avons menés à l’échelle européenne. Des combats que nous avons menés, pendant de longs mois de négociations, avec le Président de la République, le Premier ministre et l’ensemble du Gouvernement, qui se sont pleinement mobilisés.

Des combats que nous avons remportés.

Je pense à la directive « services de médias audiovisuels ».

Elle impose aux plateformes des obligations de diffusion et de financement de la création, au même titre que n’importe quel diffuseur français.

Ceux qui diffusent les œuvres financent ceux qui les créent : ce principe, sur lequel repose notre modèle vertueux, s’appliquera désormais aux acteurs du numérique, même installés à l’étranger.

D’autre part, les œuvres européennes devront constituer au moins 30% de leur catalogue.

Je pense aussi à la directive droit d’auteur.

Le texte européen reflète la conception française du droit d’auteur, la place particulière que nous lui accordons, que nous défendons, car elle est inscrite dans notre ADN.

Il permet de sécuriser et de valoriser les auteurs, de leur assurer une rémunération juste et proportionnelle.

L’adoption de ces directives par le Parlement européen a été une immense victoire pour l’Europe.

Ces votes sont la preuve que l’Europe est notre meilleure protection.

Que, face aux géants numériques, elle est notre seule protection efficace et crédible.

Que, face à eux, nous ne ferons le poids que si nous faisons front commun.

Après avoir tenu un rôle important dans les négociations, nous avons une grande responsabilité.

La responsabilité de les transposer rapidement, et efficacement.

La responsabilité de montrer la voie.

Et nous avons montré la voie, en adoptant, fin juillet 2019, la loi qui instaure un droit voisin pour les éditeurs et agences de presse.

Aujourd’hui, la valeur qu’ils créent est accaparée par les plateformes et les moteurs de recherche, qui réutilisent leurs contenus sans les rémunérer, alors même qu’ils génèrent d’importants revenus publicitaires.

L’objectif du droit voisin, c’est, encore une fois, d’intégrer les nouveaux acteurs à notre modèle.

C’est de garantir un juste partage de la valeur.

De le rééquilibrer au profit des entreprises et agences de presse, mais également des journalistes. De leur permettre de percevoir une rémunération pour chaque réutilisation de leurs contenus. De leur donner les moyens de nous informer – tout simplement. De protéger leur indépendance. De défendre le pluralisme.

Un pluralisme que j’ai également défendu avec le projet de loi sur la distribution de la presse, qui devrait être adopté très prochainement.

La loi instaurera notamment une obligation de distribution de la presse d’information politique et générale par les kiosques numériques.

Et elle imposera des obligations de transparence pour les agrégateurs de contenus.

Kiosques numériques, agrégateurs de contenus : là encore, ce sont des nouveaux acteurs qui n’étaient pas concernés par la loi jusqu’alors. L’objectif, là encore, est de les intégrer à notre modèle.

En créant le droit voisin, la France a été le premier pays européen à transposer cette partie de la directive « droit d’auteur ». 

C’est un symbole fort.

C’est le signe que nous sommes aussi mobilisés pour transposer que nous l’étions, hier, pour négocier.

C’est la preuve que notre pays n’a pas une seconde à perdre pour protéger sa souveraineté culturelle.

En adoptant, demain, la loi audiovisuelle, qui permettra de transposer la directive SMA et le reste des dispositions de la directive droit d’auteur, nous enverrons un signal plus fort encore.

Réaffirmer notre souveraineté culturelle, cela passe également par des acteurs nationaux, qu’ils soient privés ou publics, renforcés et soumis aux mêmes « règles du jeu » que les acteurs du numérique.

Dans le nouveau modèle que nous érigeons, les acteurs traditionnels et les acteurs numériques seront soumis à des règles de concurrence plus équitables.

Cela ne veut pas dire que nous allons casser ce qui marche.

Cela ne veut pas dire que nous allons mettre en danger les acteurs du monde des médias qui ont fondé leur modèle économique – souvent fragile – sur le cadre de régulation actuel.

Mais cela implique de revoir un certain nombre de règles.

Des règles obsolètes, archaïques, désuètes.

Des règles qui ne bénéficient pas au public, ou qui ne permettent pas de préparer efficacement l’avenir des acteurs traditionnels, au regard de la concurrence internationale qui fait rage aujourd’hui.

A la télévision, par exemple, vous ne pouvez pas faire de publicité pour un film qui sort au cinéma ; alors que, pour le même contenu, sur internet, vous le pouvez.

Ces règles d’un autre temps, nous les changerons.

Je pense à certaines interdictions en matière de publicité, ou aux jours interdits.

Nous devons les changer parce qu’elles sont inéquitables, pour le public et pour les professionnels.

Parce qu’elles défavorisent certains acteurs, et permettent à d’autres de capter une part excessive de la valeur.

Je veux être très clair : il n’y aura pas d’augmentation du temps de publicité à la télévision, contrairement à ce que je peux lire ici ou là.

Ce sont les règles définissant sa répartition et ses cibles qui seront assouplies. *

Ces évolutions passent également par un audiovisuel public fort, qui devienne une référence en Europe. J’aurai l’occasion de revenir dans les prochains jours sur les ambitions que nous portons pour notre audiovisuel public.

 

Retrouver notre souveraineté culturelle, cela passe, enfin, par une évolution de notre conception de la régulation.

Nous devons élargir le champ de la régulation audiovisuelle aux nouveaux acteurs ; l’assouplir, la rendre plus agile, la moderniser.

Elle doit être pleinement à même de saisir l’ensemble de l’environnement numérique.  Cette évolution a déjà commencé.

La loi contre la manipulation de l’information est venue donner un nouveau rôle au CSA dans la lutte contre les « infox ».

La proposition de loi « Avia », adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, prévoit des obligations importantes imposées aux réseaux sociaux dans la lutte contre les discours de haine, sous le contrôle du CSA.

La loi audiovisuelle, en transposant la directive SMA, qui fixe des obligations aux plateformes de partage de vidéo pour la protection des mineurs, la déontologie de la publicité et la lutte contre les discours haineux, apportera une pierre supplémentaire à cet édifice de meilleure responsabilisation des plateformes.

Nous allons également faire en sorte de mettre fin à « l’impunité » des sites pirates, en particulier de streaming, notamment à travers des listes noires, la généralisation des technologies de reconnaissance de contenus et un nouveau dispositif judiciaire permettant de lutter contre la réapparition des « sites miroirs ».

L’extension du champ de la régulation à de nouveaux acteurs pose nécessairement la question du rapprochement entre les régulateurs, ainsi que celle des méthodes de régulation.

Au regard de la proximité de plus en plus grande de leurs missions, il est très légitime que le CSA et la Hadopi fusionnent, pour former une nouvelle autorité.

Cette nouvelle autorité et l’ARCEP doivent quant-à-elles mieux coopérer : cela peut passer par un membre commun, comme par un service commun de règlement des différends.

Enfin, ce sont les pouvoirs du régulateur qui doivent également évoluer.

Il doit pouvoir disposer des compétences suffisantes pour recueillir toutes les informations nécessaires à l’exercice de ses nouvelles missions, en particulier vis-à-vis des acteurs du numérique.

Il doit également développer de nouveaux modes de régulation, laissant plus de place par exemple à la médiation ou à la régulation par la donnée. 

Il faudra aussi une coopération beaucoup plus intense entre les différents régulateurs en charge des sujets numériques.

Avec l’ensemble de ces mesures, je veux mettre fin à l’idée qu’internet serait encore un espace de non-droit.

Ce qui est en jeu, c’est la protection de nos artistes, de nos créateurs, et de la propriété intellectuelle.

C’est la protection des publics.

Et c’est la protection de nos démocraties.

Monsieur le président, cher Raphaël,

Mesdames et messieurs,

Chers amis,

La France a cette chance d’être le berceau d’acteurs puissants de la communication, reconnus mondialement.

Je ne vous apprends rien…

Si notre pays est une référence en la matière, c’est un peu grâce à chacune et chacun d’entre vous.

C’est une fierté, un honneur, et une responsabilité.

Celle de protéger la diversité des acteurs, la diversité de pensées, de créativités dont vous êtes, chacune et chacun, les représentants.

Parce que oui, cher Raphaël, cette diversité, c’est notre chance.

Parce que, oui, cher Raphaël, « c’est de la diversité que naît la différenciation ».

Notre responsabilité, c’est de garantir que, face à une concurrence parfois redoutable, face à une concurrence qui n’a pas de frontières, vous ne soyez pas laissés sur le côté.

C’est de redéfinir les règles du jeu, le terrain, et le rôle de l’arbitre.

Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre plus longtemps.

Vous le savez mieux que moi.

C’est l’avenir de notre modèle tout entier qui est en jeu.

Alors, le Gouvernement est déterminé à aller vite. Le texte passera en Conseil des ministres début novembre, en vue d’un premier examen à l’Assemblée nationale en janvier 2020.

Cette transformation tant attendue, cette transformation indispensable, cette transformation, mesdames et messieurs, est enfin prête.

Elle est juste.

Elle est protectrice.

Et elle va nous permettre, j’en suis convaincu, de reconquérir, pour longtemps, notre souveraineté culturelle.

[1] Raphaël de Andréis, Président de l’UDECAM