Monsieur le Maire de Cannes, Cher David Lisnard
Mesdames et Messieurs
Chers amis,
Je ne voulais pas manquer cet anniversaire des cinquante ans du MIDEM.
A ce titre permettez-moi tout d’abord de saluer les fondateurs de cette aventure, dont certains sont présents avec nous :
M. Paul ZILK, le président de REED MIDEM,
M. Bernard CHEVRY, fondateur du MIDEM,
et d’autres qui sont autant de figures emblématiques :
MM. Bernard de BOSSON, Charles IBGUI, les frères Jean et Roland KLUGER, Gérard DAVOUST et Henri BELOLO… pour n’en nommer que quelques-uns.
A chacun de vous je veux rendre hommage pour l’immense travail accompli.
Depuis sa création, le MIDEM est devenu le premier rassemblement de la production et de l’édition musicale.
Il est aujourd’hui plus largement celui de l’ensemble des acteurs du secteur de la musique.
Des acteurs nouveaux sont apparus, je pense en particulier à ceux du numérique, dont la présence toujours plus importante témoigne des liens nécessaires qui doivent se nouer entre le monde de la création et celui de l’innovation numérique.
A chaque étape, lorsque ce secteur s’est transformé ou s’est renouvelé, le MIDEM a été la scène de l’expression de ces changements, des difficultés, et aussi des solutions qu’il était possible d’imaginer – collectivement – pour y remédier.
Quelques mots sur le contexte de cette édition du MIDEM.
Aujourd’hui, si le chiffre d’affaires de la musique enregistrée affiche encore une baisse de 4 % en 2015 par rapport à l’année précédente, les signes avant-coureurs d’une embellie semblent se dessiner. Il nous appartient d’en apprécier la portée.
Le développement remarquable du marché de l’écoute en flux - streaming - en est un.
Ce marché a été multiplié par cinq en cinq ans.
Si sa croissance constitue une promesse et laisse entrevoir des jours meilleurs pour l’ensemble des acteurs de la musique, d’autres défis nous attendent.
Le premier réside à mon sens dans l’évolution des usages, et en particulier dans la conversion des utilisateurs aux formules payantes.
Je pense aussi aux distorsions de concurrence entre les services de musique en ligne et certaines grandes plateformes de vidéo, ou encore au partage de la valeur entre plateformes, producteurs et artistes, qui reste source de tensions - j’y reviendrai.
En 14 ans le marché de la musique enregistrée a perdu environ 65% de sa valeur.
Dans ce contexte difficile, notre rôle de soutien, d’accompagnement et de régulation, est plus que jamais nécessaire.
Ce gouvernement a travaillé dans trois directions structurantes pour la filière musicale dans son ensemble.
Il a œuvré pour :
- le renforcement du soutien à la création et à la diffusion de la diversité(I) ;
- l’amélioration du partage de la valeur dans l’univers du numérique et le renforcement de la transparence dans les relations entre les acteurs (II) ;
- la défense de la création aux niveaux international et européen et le renforcement du rayonnement de la musique française dans le monde (III).
Je voudrais maintenant avec vous tenter d’éclairer ces directions et préciser le cap de notre action.
Le renforcement du soutien à la création et à la diffusion de la diversité.
[Il y a 4 ans, l’Etat était contraint de mettre fin au projet de Centre National de la Musique, faute de ressources.
Pour autant nous avons besoin de structurer le dialogue au sein de la filière et d’appréhender la musique dans sa globalité.]
Tout d’abord, je rappellerai les efforts constants du Gouvernement pour la mise en œuvre, en urgence parfois, de plans de soutien à destination des entreprises du secteur de la musique enregistrée.
Pour la seule année 2015, l’Etat a ainsi apporté son soutien à une centaine d'entreprises.
De façon complémentaire, à ces moyens se sont ajoutées des aides plus structurelles portées par les fonds d’avances et de garanties d’emprunt gérés par l’Institut pour le financement des industries culturelles et du cinéma (IFCIC).
En complément, il était nécessaire d’encourager la prise de risque des producteurs sans qui les œuvres ne pourraient rencontrer leur public.
Le crédit d’impôt en faveur de la musique enregistrée – qui fête son dixième anniversaire cette année – a non seulement été prolongé jusqu’en 2018 mais aussi renforcé afin de soutenir mieux encore les entreprises, en particulier les plus petites.
Dans une approche globale de la musique il était nécessaire de soutenir les producteurs de spectacle vivant qui eux aussi prennent de plus en plus de risques, dès lors qu’ils s’engagent dans le développement de carrière d’artistes émergents.
C’est ce que nous avons fait par la création fin 2015 d’un crédit d’impôt spécifique à ce secteur qui joue, aux côtés des producteurs de phonogrammes, un rôle essentiel dans l’écosystème de la musique.
La publication du décret d’application de cette mesure est prévue dans quelques semaines.
Un nouveau fonds de soutien à l’innovation et à la transition numérique du secteur de la musique enregistrée va être créé cette année. Il sera doté de 2 M€ pour aider les entreprises de production indépendante, de distribution physique et numérique, ainsi que les intermédiaires qui concourent au développement de l’offre légale.
La consultation sur le projet de décret sera lancée dès la semaine prochaine. Il sera donc rapidement publié, ce qui nous permettra de réunir à la rentrée le premier comité d’experts chargé de donner un avis sur l’attribution des aides. Je m’en félicite.
Un autre volet concerne la diversité musicale dans les médias : je veux parler du combat pour le renforcement de l'effectivité des quotas.
J’ai déjà eu l’occasion de rappeler mon attachement plein et entier à la création musicale francophone, dont je veux saluer la vitalité et le rayonnement, et au système des quotas, qui, depuis plus de vingt ans, a fait la preuve de son efficacité, au-delà même du seul secteur de la musique.
Je me suis battue pour assurer une réelle exposition de la musique francophone, dans toute sa diversité, sur les antennes radiophoniques.
Les âpres discussions au sujet des quotas qui nous ont réunis au cours des derniers mois ont permis de construire un dispositif ambitieux, permettant de favoriser la diversité de l’offre musicale tout en poursuivant une ambition forte pour la francophonie.
Grâce au plafonnement des rotations, les quotas seront désormais effectifs et ne pourront plus être concentrés sur un petit nombre de titres. Et à travers la modulation encadrée et limitée que propose le gouvernement, les radios seront incitées à prendre des engagements précis en faveur de la diversité musicale.
Je suis convaincue qu’avec votre soutien, celui de la filière musicale dans toutes ses composantes, ce dispositif peut faire l’objet d’un consensus dans le cadre de la commission mixte paritaire entre députés et sénateurs.
Là encore, votre soutien à tous doit être le ciment de notre action ; sans cela il ne peut y avoir de confiance. Nous devons avancer ensemble ; la filière est une et je crois avoir montré que je la soutenais.
Mais attention, les voix dissonantes, les visions court-termistes affaiblissent notre démarche. Sur ce sujet, comme sur d’autres nous construisons le paysage musical de demain. Mais pour construire des projets ensemble au service de l’intérêt général, chacun doit être prêt à faire un pas vers l’autre et, parfois, à prendre des risques. Si, dans les actes, certains n’y sont pas prêts, il n’y a pas de crédibilité pour construire ces projets qui supposent de tenir des engagements et de démontrer la capacité d’être responsable.
Notamment, cela suppose une capacité à la solidarité des acteurs les plus forts, acteurs majeurs, vers les moins forts, dans une logique bénéfique à la filière à long terme.
C’est pourquoi je suis sensible aux appels vigoureux et convergents à l’unité de la filière qui ont été exprimés lors du déjeuner organisé ce midi par le PRODISS.
Pour ma part, sur ce sujet comme sur les autres, j’ai continuellement agi conformément à ce que j’ai dit à chacun d’entre vous, et je l’ai assumé.
Chers amis,
J’en viens maintenant à l’amélioration de la transparence des relations contractuelles entre les acteurs et l’amélioration de ce qu’on appelle communément le « partage de la valeur » dans le domaine du numérique.
Je saluais il y a deux jours, à l’occasion d’un comité de pilotage, le travail accompli par les professionnels et l’Etat dans le cadre du protocole d’accord « pour un développement équitable de la musique en ligne » et sa traduction, pour ce qui était nécessaire, dans le projet de loi « Liberté de la création, architecture et patrimoine ».
Il est l’illustration d’une régulation adaptée aux nouveaux enjeux du numérique.
Cette régulation est d’autant plus importante que les équilibres économiques du secteur musical ont été profondément bouleversés, sous l’effet notamment de la mutation numérique, qui transforme l’ensemble de la chaîne de la création et de la diffusion et soulève d’importantes tensions autour du « partage de la valeur ».
Comme j’ai eu l’occasion de le dire devant un certain nombre d’entre vous, je suis très attachée à l’idée d’une régulation fondée sur la concertation et la négociation entre les professionnels concernés.
Pour le secteur musical comme pour les autres, je suis convaincue que cette méthode est la meilleure. Il convient de l’entretenir.
Elle ne signifie nullement que l’Etat se désengage.
Au contraire, son implication demeure déterminante, qu’il s’agisse d’impulser les négociations, de les accompagner en tant que médiateur ou tiers de confiance, ou d’en tirer toutes les conséquences, dans la loi et dans la réglementation.
C’est dans cette perspective qu’une mission de médiation a été confiée, avec le succès que l’on connait, à M. Marc SCHWARTZ.
Son objet était de parvenir à un accord indispensable pour assurer « un développement équitable de la musique en ligne », qui profite à l’ensemble des parties prenantes, auteurs-compositeurs, artistes, éditeurs, producteurs et plateformes de musique en ligne.
Après la signature du protocole d’accord, deux des trois majors ont annoncé qu’elles partageraient avec leurs artistes-interprètes les revenus issus du capital qu’elles détiennent dans certaines plateformes d’écoute en flux.
Cette annonce n’est pas sans lien avec l’un des engagements du protocole [le point 5.3]. J’espère que la troisième major s’y engagera elle aussi prochainement.
En ce qui concerne l’amélioration de la rémunération des artistes interprètes :
Au Parlement, j’ai défendu la création d’une Garantie de rémunération minimale en contrepartie des usages numériques de la musique, qui était inscrite dans le protocole d’accord. Elle a ainsi trouvé sa traduction dans l’article 5 du projet de loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine.
Il était dans ce même ordre d’idée essentiel d’avancer sur l’extension de régime de licence légale au webcasting non interactif.
S’agissant de l'amélioration du dialogue et d'une meilleure connaissance des acteurs, je me réjouis sincèrement de l’instauration prochaine par la loi du médiateur de la musique.
Il contribuera à la résolution des conflits au sein de la filière : ces conflits sont inévitables, même structurels, mais je crois à la possibilité de les résoudre par les vertus de la conciliation.
L’amélioration de la transparence dans les relations contractuelles, doit aussi, comme cela a été le cas dans le domaine du livre, faire l’objet d’un travail commun aux auteurs et aux éditeurs de la musique. Je souhaite que chacun reprenne sa place dans la discussion sous l’égide de Serge Kancel et d’Isabelle Maréchal, auxquels je vais confier une mission de médiation. Dans le cadre de cette médiation, je suis convaincue que tous auront à cœur d’aboutir à la signature d’un code des usages, susceptible d’améliorer leurs relations contractuelles.
Enfin, sur le sujet de la transparence, la création d’un observatoire de l’économie de la musique au sein du CNV, qui a été approuvée par les deux assemblées dans le cadre de l’examen du projet de loi « Liberté de création, architecture et patrimoine », dotera la filière d’un outil indispensable. Ce lieu de réflexion et de dialogue entre les acteurs permettra d’appréhender les enjeux de la musique dans sa globalité.
Les contours de cet observatoire seront définis avec vous, dans le cadre d’un comité d’orientation associant l’ensemble des parties prenantes de la filière.
Je peux d’ores et déjà vous confirmer que l’État assumera les engagements financiers nécessaires à la mise en œuvre de cette nouvelle mission.
Ainsi ce sont l’ensemble des préconisations du rapport Schwarz qui ont trouvé ou trouveront prochainement une traduction concrète.
Vous le voyez, c’est l’ensemble de la chaîne des acteurs des industries musicales qui a fait l’objet d’un soutien accru au cours des dernières années.
Ce soutien direct s’est doublé d’un effort en faveur de la modernisation et du renforcement des organismes d’intérêt général de la filière.
Il faut absolument construire des lieux de dialogue et de compromis de l’ensemble de la filière, qui n’en sera que plus forte. C’était l’un des enjeux CNM, il faut rebâtir ces lieux où l’intérêt général de la filière peut se construire, [et vous êtes nombreux, je le sais, à être convaincus que le CNV pourrait devenir cette maison commune].
Avant de conclure, permettez-moi d’aborder un dernier point qui n’est pas le moindre : il s’agit de la défense de la création au niveau européen et du rayonnement de la musique et de nos entreprises dans le monde.
S’agissant de la concurrence déloyale des sites hébergeur, d’abord. L’élan donné par la France porte.
Au-delà de la défense du droit d’auteur et des droits voisins, la France a été porteuse dans le débat qui s’est ouvert sur le partage de la valeur sur la diffusion des œuvres en ligne avec la Commission européenne dans le cadre de son initiative sur le Marché unique numérique.
Nous estimons notamment que le statut d’hébergeur, qui exonère de toute responsabilité certains intermédiaires techniques sur internet, n’est plus adapté aux plateformes dont l’objet même est la diffusion d’œuvres en ligne.
C’est pourquoi la France a fortement œuvré pour la reconnaissance de la nécessité de traiter ce type de plateformes sous un autre angle, au regard du droit d’auteur et des droits voisins.
Comme tout acteur qui diffuse ou distribue des œuvres, ces plateformes doivent rémunérer la création et participer à la diversité culturelle.
De surcroit, les outils techniques leur permettent aujourd'hui d'assurer un retrait des contenus illicites plus efficaces sur la durée.
Nous avons salué les annonces de la Commission européenne du 25 mai dernier sur la régulation des plateformes et nous veillerons à ce que la réforme envisagée de la directive 2001/29 sur le droit d'auteur qui devrait être présentée l'automne prochain, porte des propositions concrètes afin que ces nouveaux intermédiaires rémunèrent pleinement la création.
Dans ce contexte, je défendrai avec détermination les positions de la France, que vous connaissez, comme par exemple la préservation de nos mécanismes de perception et de répartition de la rémunération pour copie privée [qui ont pu être mis en cause, par exemple, par la jurisprudence Reprobel de la CJUE].
Il en est de même de l’action déterminante de la France contre la contrefaçon d’œuvres en ligne par l’engagement d’actions afin d’assécher les ressources financières des sites d’écoute en flux illicite. Sur ce sujet la France a été, encore une fois, précurseur en Europe.
Au sujet de l’exportation enfin, il y a un an, la publication d’un « livre blanc pour l’export de la musique française » signé par le collectif « Tous pour la musique » reflétait le désir de la filière musicale de « relever le défi de l’international ».
Je partage pleinement le constat que la musique est aujourd’hui « une composante essentielle du soft power à la française » et l’export un « enjeu majeur à fort potentiel ».
A ce titre, la musique et les industries musicales sont un facteur majeur de notre diplomatie culturelle et d’influence.
Je partage cette conviction de longue date.
La mise en œuvre d’une politique ambitieuse ne pouvait passer que par la mise en place préalable d’un opérateur fort, aux moyens consolidés.
La fusion du Bureau export et de Francophonie diffusion, a été engagée, en plein accord avec les professionnels qui les cofinançaient avec l’État et dans le respect des équipes.
Nous avons aussi singulièrement renforcé notre aide, afin de démultiplier l’impact du service apporté par le Bureau export aux professionnels : conformément à l’engagement pris ici-même l’an passé, la loi de finances pour 2016 a prévu un accroissement de 500 k€ de notre soutien au Bureau export. En contrepartie de cet effort significatif, la filière s’était engagée à accroître ses contributions dans les mêmes proportions.
Je suis toutefois consciente des difficultés auxquelles les partenaires du Bureau export ont dû faire face cette année. Aussi ai-je décidé de procéder sans attendre au versement de la dotation complémentaire de l’Etat, en prenant acte de l’engagement, pris par l’ensemble des financeurs, de faire leurs meilleurs efforts en 2016 et d’atteindre la parité dès l’an prochain.
J’adresse d’ailleurs mes vœux de réussite à son nouveau directeur, Marc Thonon, à son Président M. Bourdoiseau et à toute l’équipe du Bureau export.
Notre mobilisation se poursuit.
J’ai d’ailleurs sollicité Matthias Fekl, Secrétaire d’Etat en charge du commerce extérieur afin que nos services puissent construire ensemble un projet plus ambitieux encore pour l’export de la musique en s’appuyant aussi sur les dispositifs de droit commun.
Chers amis,
Il ne faut pas s’y tromper : l’avenir d’une filière musicale capable d’assurer le renouvellement de la création, de promouvoir la francophonie et de promouvoir la créativité française, dans toute sa diversité, se joue en grande partie au niveau européen.
Il suffit de constater la variété des artistes accueillis année après année dans nos festivals, l’engouement pour les festivals musicaux européens.
Il suffit de prendre conscience surtout de l’importance de la musique pour la jeunesse : une jeunesse qui grandit, grâce et à travers la musique. Surtout, qui se construit collectivement alors que le reste les sépare.
Et parce que cette pulsation, ce rythme, cette liberté sont menacés, il faut rappeler l’essentiel, à savoir l’affirmation d’une ambition pour l’Europe de la culture, de la diversité.
Vous pouvez compter sur moi pour m’opposer avec force à toute velléité d’affaiblissement du droit des auteurs, qui n’est en rien un frein à l’innovation comme on veut parfois nous le faire croire mais une condition de son renouvellement.
Je suis également déterminée à faire en sorte que tous les acteurs du numérique qui donnent accès aux œuvres culturelles (et notamment musicale) et en tirent un profit, contribuent à leur financement et à la rémunération de leurs créateurs.
Pour conclure, j’en appelle
- à la solidarité de l’ensemble de la filière
- à la nécessité de construire des espaces de dialogue et de concertation qui lui soient spécifiques.
Et nous pouvons nous remettre à l’ouvrage pour construire, grâce aux soutiens publics que nous avons consolidés, grâce à l’émergence de nouveaux modèles économiques solides, une politique ambitieuse au soutien de la filière musicale. De nouvelles opportunités s’ouvrent, jamais la musique n’a été aussi présente, à nous de savoir être présents et ambitieux.
Je vous remercie.