Vous vous souvenez sans doute d’un film tout à fait saisissant qui, l’année dernière,
nous a suggéré les horreurs de la Grande Guerre sans nous les montrer, en
s’arrêtant juste au seuil de l’horreur. Le Ruban blanc de Michael HANEKE s’achevait
à la veille du déclenchement de la Première mondiale, côté allemand. Et ce film
produisait un effet assez terrifiant : il ne nous fait quitter la brutalité de l’ancien
monde que pour entrer dans une autre violence, plus grande encore, celle,
industrielle et systématique désormais, qui a marqué le XXe siècle. Celle dont la
Première Guerre mondiale constitue en quelque sorte le premier acte.
Depuis la disparition, il y a deux ans, du dernier poilu français, Lazare PONTICELLI,
à l’âge de 110 ans, nous ne tenons plus la main de cette mémoire. Le fil de la
mémoire directe est brisé et nous disposons désormais exclusivement, pour tenter
de comprendre et de saisir l’événement, du travail des historiens, des peintures des
artistes et des écrivains – nous avons Le Feu d’Henri BARBUSSE, A l’Ouest rien de
nouveau d’Erich Maria REMARQUE, le début de Voyage au bout de la nuit de
CELINE. Nous avons des films comme La Grande Illusion de RENOIR ou Les
Sentiers de la gloire de Stanley KUBRICK. Tous les arts, y compris les bandes
dessinées si évocatrices d’un Jacques TARDI, viennent donc au service de la
mémoire et de l’histoire.
Rien pourtant peut-être ne nous permet de ressaisir le passé comme la présence
des objets qui en ont décliné les formes et la teneur quotidienne, cette « présence »
dont un historien comme l’Allemand Hans Ulrich GUMBRECHT est récemment venu
nous faire « l’éloge » et nous rappeler la valeur irremplaçable, la richesse
inaliénable. C’est un peu le même postulat qui semble avoir présidé à la conception
de ce Grand Musée de la Grande Guerre, dont nous avons aujourd’hui la
responsabilité et l’honneur de poser la première pierre en vue d’une inauguration qui
aura lieu à la date symbolique du 11 novembre 2011.
Car ce musée nous donnera à voir un nombre considérable d’objets du quotidien, du
front et de l’arrière, issus notamment de l’exceptionnelle collection de Jean-Pierre
VERNEY. Uniformes et costumes, matériels militaires, mais aussi journaux,
photographies, affiches, dessins et tableaux, cartes postales, lettres et poèmes… :
pas moins de 50 000 objets et documents rendront présent pour nous quelque
chose de la Grande Guerre, par le biais d’« objets inanimés » qui sont évidemment
chargés de l’âme du passé.
Mais bien sûr, la présence elle-même se construit. Et la scénographie, le
parcours, le choix et l’interprétation des objets qui seront exposés dans ce
musée répondront à cette exigence de « mise en présence » d’un passé
qui ne doit pas passer parce qu’il nous constitue. Je suis convaincu que la
restitution très originale d’atmosphères sonores et même olfactives de
cette époque qui sera proposée par ce musée, tout comme l' architecture
quasi enfouie qu'a conçue Christophe Lab – un peu à l’image d’une
tranchée – obéissent au souci de trouver des chemins pour faire vivre cette
mémoire de la manière la plus concrète voire tangible de l’événement, qui
aide à sa compréhension la plus intime, en lui redonnant tout ce qui
constitue son épaisseur, son grain, sa chair même.
Jalon essentiel du grand réseau qui se tissera autour de la future Maison
de l’Histoire de France voulue par le Président de la République et avec
laquelle il entrera en résonance très profonde, ce musée ne pouvait trouver
meilleur ancrage qu’ici, à MEAUX, dans ce pays marqué par les deux
grandes batailles de la Marne, dans ce pays qui porte non seulement la
mémoire, mais aussi les cicatrices de cette histoire tragique.
Il n’aurait pu voir le jour sans l’intuition et l’engagement de son maire, notre
cher Jean-François COPÉ, qui, le premier, a su prendre pleinement la
mesure de l’enjeu et de l’écho rencontré par cette histoire auprès des
Français, et convaincre tous ses partenaires de l’opportunité et de la
faisabilité de ce projet : l’Etat, mais aussi l'ensemble des collectivités
territoriales, ainsi bien sûr que les mécènes privés que je remercie
chaleureusement.
Cette cérémonie de pose de la première pierre prend, je crois, un sens tout
particulier du fait de la nature même de ce musée. Car après tant de
destructions causées par la Grande Guerre, construire est évidemment un
acte symbolique très fort. Nous pourrions être tentés par l’oubli, par le
refoulement, et considérer que les atrocités dont le XXe siècle n’a été que
trop prodigue font obstacle à cette histoire déjà presque centenaire… Mais
nous avons compris que le présent et l’avenir ne pouvaient se construire
qu’en étant solidement arrimés à une pleine conscience du passé, si
douloureux soit-il, et que la mémoire des guerres est une condition
indispensable à notre identité pacifiée et harmonieuse.
Bâtir ce musée, c’est aussi semer pour l’avenir, notamment chez les plus
jeunes, pour lesquels ce passé a tendance à perdre en lisibilité et à devenir
de plus en plus virtuel, avec la prolifération des images et l’accélération du
flux d’informations. C’est pourquoi je me réjouis que la conception du
musée ait inclus d’emblée une forte dimension pédagogique, en particulier
par l’utilisation des nouvelles technologies. Celles-ci, j’en suis convaincu,
peuvent nous aider à briser les inhibitions ou les préventions qui, trop
souvent, retiennent les jeunes à la porte de ces médiateurs de proximité
que sont nos musées.
Semer pour l’avenir, c’est aussi, bien sûr, renforcer l’attractivité culturelle et
touristique de ce territoire d’Île-de-France, à l’heure de l’élaboration du
Grand Pari(s). En créant ce Musée-référence pour la connaissance de la
Grande Guerre, nous intégrons pleinement la ville de Meaux et son
territoire à la logique des grands pôles régionaux, à l’échelle tant nationale,
qu’européenne et, bien sûr, internationale.
Je tiens donc à remercier l’ensemble des acteurs, publics et privés, qui ont
rendu possible ce trait d’union entre notre passé, notre présent, et notre
avenir. Je suis persuadé que le public trouvera dans ce « lieu de
mémoire », dans cette présence de ces témoins directs et muets, mais plus
éloquents qu’ils en ont l’air, de la Grande Guerre, matière à mémoire, et
l’impulsion pour une compréhension recueillie et approfondie de
l’événement.
Je vous remercie.