Je suis particulièrement heureux d’honorer ce soir l’une des grandes dames jardinières de notre pays. Une jardinière, c’est quelqu’un qui sait à la fois se faire géologue, botaniste, architecte, paysagiste.
Chère Barbara Wirth, votre environnement familial explique d’abord votre vocation. Certes, ce n’est pas la médecine, illustrée par votre père, le professeur Cauchois, président de la société internationale de chirurgie de la colonne vertébrale, membre de l’Académie de Médecine, récemment disparu. Ce goût, vous le tenez plutôt de votre mère, Huguette Alavoine, l’une des fondatrices, avec Philippe Gérard et Charles Favier, de l’Association des parcs botaniques de France (APBF), dont vous devenez vous-même membre, dès vos 18 ans. Votre enfance se passe dans le grand jardin de votre propriété de Beauvais et dans la proximité culturelle de la Manufacture de la tapisserie qu’a dirigée l’un de vos proches ascendants. Une amitié de jeunesse vous lie à Hubert de Givenchy, ici présent, avant que celui-ci n’entre très jeune dans la société Schiaparelli, entamant une carrière connue de tous.
Ce sont aussi vos vacances dans le jardin du Tech, sur l’île aux Moines, dans le golfe du Morbihan, où vous développez votre goût pour le jardinage. Vous ne négligez pas vos études : après les cours du Collège du Sacré-Cœur dans le VIIe arrondissement - un bâtiment appartenant aujourd’hui à l’Assemblée nationale -, vous vous inscrivez à la Manor School de Salisbury, en Angleterre. La légende familiale veut que vous y ayez rencontré le Prince Charles ! En tout cas, c’est une première découverte des jardins anglais, si importante dans l’histoire des jardins. Puis, vous partez pour les Etats-Unis, à Los Angeles, où vous étudiez les lettres, pendant un an, à la célèbre université d’UCLA.
A votre retour en France vous travaillez dans une grande agence de publicité (la SODICO), et vous fondez par la suite, en 1969, la société David Hicks France, avec votre cousin, Christian Badin, société spécialisée dans la décoration intérieure et aussi extérieure : vous êtes alors créatrice de mobiliers de jardin, dans un style moderne, s’intégrant parfaitement dans l’ancien.
En 1964, après vous être rencontrés dans un lieu que j’imagine être nécessairement un jardin, vous épousez Didier Wirth, brillant polytechnicien, chercheur dans la société pharmaceutique créée par son père – qui deviendra ISOCHEM, spécialisée notamment dans la fabrication de produits destinés à la protection des cultures et des jardins, qui a été rachetée par la société nationale des poudres.
Votre mari n’est pas seulement un grand scientifique et un excellent gestionnaire ; il a, depuis longtemps, la passion des arbres et des forêts. Il deviendra par ailleurs le vice-président pour la France de la Société internationale de dendrologie. Vos deux passions sont ainsi parfaitement à l’unisson.
Vous êtes tous les deux à la recherche d’une propriété pour y concrétiser votre amour des jardins et des plantations, et où accueillir votre fils, Timothée, et vos deux filles, Héloïse et Jessica. Les attaches bourguignonnes de votre époux, du côté de la famille de Pierre-Etienne Flandin, son grand-père, ancien président du Conseil de la IIIe République, ont failli faire pencher votre choix du côté du Château de Maulnes, lieu mythique et mystérieux de l’Yonne, hélas abandonné depuis longtemps, et que Didier était prêt à racheter. Mais, sur le conseil d’Hubert de Givenchy, ce sera le domaine de Brécy, dans le Calvados, propriété ayant successivement appartenue à la comédienne Rachel Boyer puis à Jacques et Yolande de Lacretelle.
Commencent alors de grands travaux à Brécy, véritables travaux d’Hercule. Pendant quatre ans se succèdent opérations de terrassement, travaux hydrauliques, plantations pour redonner une nouvelle vie à ce jardin, classé monument historique dès 1903 (avant même le parc de Versailles, lui-même protégé en 1905), et sa demeure, classée plus tardivement en 1920.
Votre époux, Didier, s’occupe de l’aspect technique : canalisations, assiettes des quatre superbes terrasses, s’élevant vers un horizon heureusement redécouvert ; sous votre impulsion commune la campagne alentour aura retrouvé ses haies et ses vergers.
Vous avez la charge de toutes les plantations du jardin : l’ornementation, le choix des plantes - buis et ifs pour les pourtours, charmes pour les palissades -, la sélection des fleurs, avec une prédilection pour les couleurs bleue et blanche, « couleur insomniaque » dites-vous, tels l’iris, le lys, la tulipe, la clématite, ou encore les rosiers grimpants, la plantation d’arbres fruitiers parmi lesquels, les pommiers et les poiriers… On trouve aussi des roses Madame Alfred Carrière, mouchetées de nacre, dans ce décor somptueux avec des balustrades à feuille d’acanthe, des « fontaines-artichauts », et pour point d’orgue une perspective à travers la grille en fer forgé, ciselée par Isaac Geslin, qui se poursuit sur un tapis vers en direction de l’infini. Un nouveau mobilier de jardin est installé dans des endroits choisis avec goût, où l’on peut écouter à loisir le bruit des jets d’eau dans les bassins et goûter, oisifs, aux expériences esthétiques que vous avez façonnées dans ce « jardin savant ».
Pour la réalisation de ce vaste projet, œuvre aussi bien personnelle que collective, vous êtes l’un et l’autre aidés par les conseils de vos amis Pascal Cribier, Louis Benech, Pascale Perroné, entre autres. Aujourd’hui, Brécy tel que j’ai pu le visiter en mai dernier à l’occasion des Rendez-vous aux jardins organisés sur le thème « Le jardinier et ses outils » proposé par le Conseil national des parcs et jardins, revit pleinement sa splendeur, grâce à vos merveilleuses restaurations et aménagements. C’est un paradis retrouvé, harmonieux dans ses compositions, tracé ou non par Mansart, qui reçut le label de « jardin remarquable ». C’est un lieu ouvert aux visiteurs, animé par diverses manifestations, un lieu dédié à la création contemporaine, comme en atteste le mouton de Claude Lalanne dans la cour d’entrée. Il recèle également la plus belle bibliothèque privée de France consacrée à l’art des jardins.
Mais être jardinière à Brécy ne vous suffit pas. Vous êtes membre de l’association des parcs botaniques de France, de la société internationale de dendrologie, membre de la Royal Horticultural Society et administratrice de la société des Amis des jardins. Vous avez suivi et encouragé, dès leur début, les activités de vos amis Patrice et Hélène Fustier, Olivier et Patricia de Nervaux, à Courson, dont les « Journées des Plantes » fêtent en 2012 leur 30e anniversaire. Vous y présidez le jury « Autour du jardin », qui choisit les sociétés présentes à cette manifestation bisannuelle, et connaît un grand succès, en veillant à la qualité de leurs présentations.
Avec votre compétence perfectionniste et le sens de l’amitié, le goût et le sens de l’accueil, l’écoute des autres, en particulier des jeunes étudiants et des jeunes professionnels, vous formez avec votre mari, comme vous l’un des acteurs majeurs de la politique des parcs et jardins que je développe rue de Valois, un couple remarquable, aimant et aimé de tous.
Chère Barbara Wirth, au nom de la République française, nous vous faisons Officier de l’ordre des Arts et des Lettres.