« Dans l’île de Samothrace, j’avais été initié aux Mystères des Cabires, antiques et obscènes, sacrés comme la chair et le sang ; les serpents gorgés de lait de l’antre de Trophonios frottèrent à mes chevilles ; les fêtes thraces d’Orphée donnèrent lieu à de sauvages rites de fraternité. L’homme d’Etat qui avait interdit sous les peines les plus sévères toutes les formes de mutilation consentit à assister aux orgies de la Déesse Syrienne : j’ai vu l’affreux tourbillonnement des danses ensanglantées ; fasciné comme un chevreau en présence d’un reptile, mon jeune compagnon contemplait avec terreur ces hommes qui choisissaient de faire aux exigences de l’âge et du sexe une réponse aussi définitive que celle de la mort, et peut-être plus atroce».
Evidemment, il est difficile d’imaginer, devant la majesté de l’escalier Daru, ces scènes que le génie de Marguerite Yourcenar nous livre, en faisant décrire à Hadrien les cérémonies dont l’un des chefs-d’œuvre les plus célèbres de la statuaire antique aura sans doute été le témoin, dans un passé désormais oublié.
Je voudrais profiter de l’occasion de cette cérémonie pour rendre tout d’abord un hommage plus que mérité à Henri Loyrette et à la façon dont il parvient avec ses équipes, avec un talent remarquable, à donner au Louvre la dynamique exceptionnelle qu’on lui connaît aujourd’hui. Dans l’excellente relation que j’entretiens, depuis la rue de Valois, avec ces grands vaisseaux amiraux que son nos principaux établissements publics, je dois dire que le Louvre occupe une place à part, au vu des métamorphoses majeures, cher Henri, que vous y entreprenez.
Je pense à l’inauguration prochaine du Louvre-Lens ; à celle tant attendue du pavillon des arts islamiques ; à la qualité remarquable des expositions que vous programmez ; ou encore aux artistes contemporains, que vous conviez pour soumettre des espaces sacralisés par l’histoire à des mises en regards inédites, comme François Morellet avec ses vitraux , ou le regretté Cy Twombly et ses plafonds, ont pu le faire de manière si magistrale.
Dans cette dynamique que vous donnez au premier musée du monde, votre ouverture au mécénat occupe une place remarquable. On se souvient notamment du succès de l’opération Cranach, avec l’acquisition des Trois Grâces.
Aujourd’hui, nous nous retrouvons sous la victoire de Samothrace, devant ces marches mythiques que parcourent au quotidien des millions de visiteurs en passant, au carrefour de cette ville-Palais qu’est le Grand Louvre, devant la plus célèbre proue de navire au monde. Un jour peut-être, en Libye, le monument naval qui se trouve sur l’agora de Cyrène parviendra peut-être à la même notoriété.
Parmi les vestiges prestigieux que la Méditerranée ancienne aura légué à l’humanité, la Victoire de Samothrace fait en effet partie des stars incontestées, dont la familiarité fait souvent oublier le passé complexe fait de batailles hellénistiques oubliées et de découvertes romanesques, comme c’est aussi souvent le cas pour les chefs-d’œuvre qui peuplent le département des arts grecs, étrusques et romains, évoluant au rythme lent des restaurations, des nouvelles acquisitions et des modernisations nécessaire de leur muséographie. Sous les marbres martiaux exhumés sous le Second Empire dans une île alors ottomane, on retrouve l’histoire d’une reconstitution qui prit des années, entre l’analyse des monnaies hellénistiques qui pouvaient donner une idée du monument original, et les allers-retours des missions archéologiques françaises et autrichiennes dans ce nord de mer Egée. Dans la mobilité de ces marbres qui vont bientôt faire peau neuve, on lit toujours la force du vent plaquant la tunique sur la poitrine d’une Victoire à qui l’on rendait hommage pour conjurer le sort des tempêtes et des batailles.
Une Victoire qui sera donc rénovée à partir de 2013, avec l’aide de Marc Ladreit de Lacharrière. C’est en effet à ce cœur de Louvre, dont Henri Loyrette prévoit le redéploiement ambitieux, que FIMALAC a choisi de s’associer.
J’évoquais récemment, à l’université du MEDEF, la part d’affectif et d’irrationnel qui se joue dans le mécénat. On décrit souvent le mécénat sous son angle fiscal, et en termes de stratégie de communication ; mais il y a aussi l’attachement profond de certains chefs d’entreprise à des projets dans lesquels ils sont prêts à s’investir personnellement et dans la durée. Dans votre cas, chez Marc Ladreit de Lacharrière, ce sont toutes les actions novatrices qui peuvent être menées par exemple pour favoriser la représentation des français issus de l’immigration à la télévision et au cinéma, via votre Fondation Agir Contre l’Exclusion ; c’est la lutte contre les discriminations, c’est aussi l’éducation pour tous. Sur tous ces sujets, vous avez été nommé il y a deux ans Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO. Ces valeurs, je les partage pleinement avec vous. Elles rejoignent des priorités à mes yeux essentielles pour mon ministère.
Avec la Fondation Culture & Diversité, vous vous êtes donné pour objectif de favoriser l’accès des jeunes issus de l’éducation prioritaire à la culture : c’est ainsi que l’Ecole du Louvre, parmi vos premiers partenaires, s’est ouverte à de nouveaux publics. Le lien étroit de FIMALAC et du Louvre a d’ailleurs déjà une histoire riche, si on ajoute notamment vos fonctions, aux côtés d’Henri Loyrette, de Président du Conseil d’administration de l’Agence France-Muséums, en charge du musée universel du Louvre Abou Dabi ; sans parler de votre appui aux restaurations et aux expositions prestigieuses au sein de ce Département du Louvre, qu’Henri Loyrette a très justement rappelées.
Le mécénat, c’est l’attachement, c’est aussi la fidélité. Aujourd’hui, c’est à cette fidélité depuis 1995 que l’on rend hommage. La rénovation et la mise en valeur de ce cœur de Louvre vous doit tant.
Dans la peinture bourguignonne et flamande du XVème siècle, les grands donateurs de l’Eglise se faisaient représenter dans les scènes religieuses de rigueur. Pour ces lieux où règnent le marbre et le porphyre, c’est la sobriété qui a été choisie, celle de la pierre et de l’écrit. Une plaque d’exception pour un engagement d’exception.