Odile Decq est architecte, designer, artiste et fondatrice de l’école d’architecture Confluence Institute. Elle à la tête d'une agence : le Studio Odile Decq.
Votre talent et votre engagement font de vous une personnalité emblématique du monde de la culture. Quelles sont les principales étapes de votre parcours ?
J’ai ouvert mon agence d’architecture immédiatement après mes études d’architecture de sorte que je n’ai jamais travaillé pour un architecte de toute ma carrière. L’émergence des concours en architecture pour les projets publics a été une chance pour ma génération. J’ai remporté le concours pour deux bâtiments d’une banque à Rennes en 1988, dix ans après avoir ouvert mon agence et ce projet a été, dès sa réalisation en 1990, salué à l’international où il a été couronné d’une dizaine de prix.
Cela m’a donné une visibilité internationale très tôt et j’ai compris alors que « nul n’est prophète en son pays ». En 1996, le Lion d’Or à la Biennale de Venise, où je présentais deux projets, est venu amplifier cette situation. En 2000, j’ai gagné le concours pour l’extension du Musée d’Art Contemporain de Rome et 10 ans plus tard son inauguration a été un nouvel événement pour ma carrière pour laquelle l’international a été si déterminant.
Parallèlement à la réalisation de mes projets, j’ai commencé une carrière d’enseignante en 1992 lorsque le philosophe Paul Virilio m’a demandé de venir enseigner à l’Ecole Spéciale d’architecture. J’y suis restée 15 ans et ensuite je l’ai dirigée pendant 5 ans. A partir de 1995, j’ai parcouru le monde en donnant des conférences, parfois jusque 4 par mois, dans tous les pays. Cela a été l’opportunité, non seulement de faire connaître mon travail mais aussi et surtout de construire, élaborer et transmettre mes idées en architecture. De plus, j’ai été peu à peu confrontée à la question qui devenait de plus en plus singulière : « être une femme en architecture ».
Dans le domaine culturel, l'égalité entre les femmes et les hommes connaît aujourd'hui encore une situation contrastée. Quelle place les femmes occupent-elles dans votre secteur ?
Hélas, depuis le début de mon activité au début des années 1980, cela ne change pas beaucoup ou trop lentement. Lorsque je me suis inscrite à l’Ordre des Architectes en 1978 nous étions 11%. A présent nous sommes autour de 30% ! Ce n’est pas normal, et la distorsion entre le nombre des étudiants en école d’architecture, dont 60% sont des jeunes femmes, et le nombre des architectes praticiens, dont 70% sont des hommes, s’est accentuée au fil des années.
De nombreuses raisons expliquent cette situation, où les critères éducatifs, culturels et sociaux jouent un rôle prépondérant. La question relationnelle entre les hommes et les femmes dans l'exercice professionnel vient, à mon avis, souvent des hommes quand on est à un niveau d’égalité, Quand on est une femme architecte on parle d’égal à égal avec des hommes, qu’ils soient confrères, clients ou entrepreneurs. Or, parfois, je me retrouve devant des personnes qui ne sont pas capables de me penser comme leur égale et malheureusement souvent sans le savoir car ils peuvent tenir un discours très « pro-femmes », ils jouent d'étranges jeux de séduction ou d’autorité.
J’ai pu constater aussi que les portfolios des femmes architectes, se concentrent principalement sur les projets éducatifs, de santé ou du logement. Il semble qu’il soit difficile, pour une femme, surtout lorsqu’elle est jeune – en architecture cela peut être jusqu’à 45 ans ! – il n’y a que très peu de grands projets, d’équipement d’envergure, etc. Hélas, il n’y a pas qu’en France que je constate ce phénomène. Sur l’ensemble des architectes qui sont à la tête de leurs agences dans le monde, 10% seulement sont des femmes.
Votre personnalité est reconnue dans la lutte pour l’égalité femmes-hommes. À quoi attribuez-vous cette visibilité ?
Très tôt, lorsque je me suis retrouvée seule à la tête de l’agence que j’avais moi-même créée et à laquelle a été associé mon partenaire pendant quinze ans, j’ai constaté que on ne me considérait plus de la même manière. Un exemple : lorsque je posais la question de savoir pourquoi je n’avais été retenue dans un concours, on me répondait : « On avait déjà sélectionné une femme, on n’allait pas en prendre deux (sic) ». Par ailleurs, des journalistes attribuaient mes projets à mon partenariat antérieur sans penser qu’ils pouvaient être les miens propres… Peu à peu, j’ai réalisé que le problème était vraiment important. Lors de la Biennale d’architecture à Venise en 2018, j’ai initié, à la suite d’une jeune Américaine qui m’avait contactée ainsi qu’une quinzaine d’autres architectes femmes, un stand up pour poser le problème publiquement. La presse anglo-saxonne a relayé largement notre démarche, en revanche, nous avons eu très peu d’échos en France.
J’ai participé depuis le début des années 2010 à, plusieurs jurys et prix à l’international pour la reconnaissance des femmes en architecture. Ainsi, peu à peu, la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes dans mon domaine – mais aussi dans l’ensemble du monde de la culture – est devenue l’un des sujets pour lesquels je me mobilise.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes femmes qui voudraient entreprendre une carrière dans le domaine culturel ?
N’ayez pas peur ! Allez-y ! Et, quoiqu’il vous en coûte, vous gagnerez votre liberté de faire et de penser. Aujourd’hui je leur conseillerai de lire le livre que Gisèle Halimi a écrit avec Annick Cojean : Une farouche liberté (Grasset). C’est une ode à l’indépendance et l’autonomie des femmes. Et enfin, je leur dirai que rien ne doit arrêter la possibilité de vivre sa passion, quelle qu’elle soit.
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