Nourriture d’exception pour les plus jeunes, le livre joue aujourd’hui un rôle majeur dans l’éducation artistique et culturelle comme en témoignent la 5e édition des Nuits de la lecture.

Le livre, vecteur essentiel de l’éducation artistique ? Sans aucun doute, si l’on en juge par l’impressionnante programmation « jeune public » des Nuits de la lecture et par l’essor de l’édition jeunesse, devenue en dix ans l’un des poids lourds du secteur du livre.

A cet engouement, qui doit beaucoup au remarquable travail de fourmi du salon du livre jeunesse de Montreuil, il faut ajouter l’action publique déterminante jouée par le plan d’éducation artistique et culturelle lancé par les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale, qui favorise les contacts entre l’enfant et la lecture dans les cadres scolaire, périscolaire et extra-scolaire.

Dans ce contexte, les bibliothèques, premier réseau culturel de proximité, jouent, avec les librairies, un rôle majeur dans les politiques d’éducation artistique et de valorisation de la lecture. A l’occasion de la 5e édition des Nuits de la lecture organisée par le ministère de la Culture du 21 au 24 janvier, nous nous penchons sur les raisons qui font du livre une nourriture culturelle d’exception pour les enfants.

Les Petits champions de la lecture, une opération fédératrice

Petits champions de la lecture

L’objectif premier de l’association « Les Petits champions de la lecture » ? Apprendre aux enfants, qui ont déjà acquis la lecture, à découvrir en quoi celle-ci peut être un extraordinaire facteur de liberté et d’émancipation, source de jeux et de rêves. Lancée en 2012, cette opération d’envergure nationale rassemble chaque année des milliers d’enfants en CM2 dans le cadre d’un grand jeu national.  Les règles ? Les enseignants inscrivent leur classe et les élèves choisissent, parmi eux, un lauréat qui participe à une finale départementale puis régionale avant d’atteindre, le cas échéant, la finale nationale. Quel que soit l’échelon concerné, le principe demeure le même : les élèves doivent lire, en 3 minutes maximum et en public, des extraits de textes qu’ils ont choisis.

Pour l’actrice Dominique Blanc, marraine de l’événement de 2016 à 2019, cette « mission lecture » est une véritable aventure à la fois humaine et artistique. « L’apprentissage de la lecture est extrêmement important pour un enfant, parce qu’elle contribue à la formation de sa personnalité, c’est un exercice de concentration, d’attention, de même que l’écoute des autres élèves autour de celui qui lit est essentielle », explique-t-elle sur le site des Petits champions de la lecture.  Un point de vue partagé par Horia Gitton, enseignante à Bourges, qui a pu constater l’élan de solidarité et d’enthousiasme suscité par cet exercice. « C’est une expérience qui a vraiment fédéré la classe, chacun s’est investi, et des enfants qui n’étaient pas bons lecteurs au début se sont pris au jeu. Les moments des lectures en classe sont toujours très émouvants, tous se soutiennent, s’encouragent, s’applaudissent », raconte-t-elle.

Les Petits Champions constituent une expérience inoubliable d’éducation à la lecture – et par la lecture – qui a su marquer durablement les anciens lauréats. Ainsi Wassim, Petit Champion de l’édition 2018, anime désormais des ateliers lecture dans son collège tandis que pour Eve, lauréate en 2015, cette découverte du livre a été une passerelle vers les arts de la scène. « C’était une aventure extraordinaire qui m’a donné confiance en moi et m’a ouverte à l’apprentissage du théâtre », affirme la lycéenne. Selon Timothée de Fombelle, parrain des Petits Champions de la lecture de 2015 à 2019, tous les élèves de CM2 gagneraient à participer à cette opération. « C’est à la portée de tous. Il n’y a pas besoin d’être au premier rang de la classe, studieux, à savoir bien dire pourquoi on aime un texte : il y a simplement à transmettre ce texte par une lecture expressive, drôle, émouvante », déclare-t-il. L’écrivain se souvient notamment une candidate qui, sans avoir le profil d’une première de la classe, avait défendu avec brio l’un de ses textes.  « C’était elle, finalement, qui arrivait le mieux à nous partager son amour et sa connaissance intime du texte – toute sa classe le reconnaissait », déclare-t-il.

La lecture avec les tout-petits, une expérience partagée

EAC et lecture

Si la lecture à voix haute constitue une expérience particulièrement enrichissante pour les élèves de primaire, l’accès à la culture dès le plus jeune âge, de 0 à 3 ans, est également un enjeu crucial. Moment fondateur de l’éveil à soi, aux autres et à l’environnement extérieur, la petite enfance est une période qui se prête d’emblée aux échanges autour du livre. Plus qu’un plaisir, cette « nourriture culturelle » est, selon Sophie Marinopoulos, psychologue spécialisée dans les questions de l’enfance et de la famille, auteur d’un rapport sur l’éveil artistique du jeune enfant une véritable nécessité. « Le bébé a besoin de lait, et il a besoin de mots », affirme-t-elle dans une vidéo du ministère dédiée à l’éveil culturel et artistique, « dès les premières minutes de sa vie, il va être dans une appétence, un désir inextinguible de communiquer avec un autre ».

Pour elle, l’enfant, qui perçoit des voix depuis l’intérieur du ventre de sa mère, s’attend très tôt à ce qu’on lui parle. « Et c’est là où le livre va avoir une place extraordinaire pour un tout-petit et pour son parent. On pourrait se demander ‘mais pourquoi lui lire une histoire ?’ Est-ce qu’il la comprend ? Pas nécessairement, mais il l’éprouve et il la reçoit », insiste Sophie Marinopoulos.

Quand le parent lit à son enfant, très souvent il le prend contre lui, et l’enfant ressent aussi bien l’intention que l’attention du lecteur. Il regarde le livre, mais aussi le visage, le corps, la bouche, et il est pris par la musicalité corporelle du parent qui lit. « Parents et enfants vivent alors, ensemble, un dialogue sensoriel », fait valoir Sophie Marinopoulos. « Quand on offre une lecture à l’enfant on voit bien qu’il participe pleinement, à sa manière, à cette lecture et qu’il en est nourri. D’ailleurs, il finit généralement par en être apaisé », reprend-elle.

La psychologue revendique la notion de « santé culturelle ». « Les arts nourrissent les tout-petits, et nourrissent le lien parent-enfant », explique-t-elle, en précisant que « le livre a une place centrale dans les besoins fondamentaux de l’enfant ». « Et c’est ce que l’enfant reçoit directement, et qu’il va faire comme sien, qui va lui permettre aussi, à son tour de dire, un jour, 'il était une fois’ », conclut-elle.