Avec un nouveau projet muséal davantage orienté vers une dimension culturelle, le Mémorial de la catastrophe de 1902 – musée Frank A. Perret rouvre ses portes mercredi 8 mai, date anniversaire de l’éruption meurtrière de la montagne Pelée, en 1902.

Devenir le gardien de la mémoire d’une éruption meurtrière de la montagne Pelée, telle est l’ambition du Mémorial de la catastrophe de 1902 – musée Frank A. Perret , l’un des sept établissements labellisés « musées de France » en Martinique. Pour sa réouverture au public, mercredi 8 mai – le jour anniversaire de la catastrophe de 1902 – le Mémorial présente un nouveau visage, davantage axé sur une approche culturelle et humaine de la catastrophe. Un nouveau projet muséal renforcé par la signature le 4 avril dernier avec Franck Riester d’une convention de dépôt des biens archéologiques, qui « réaffirme l’ambition du ministère de la Culture en matière de conservation et de rayonnement de [ses] trésors archéologiques ». Entretien avec Florent Plasse, chargé du patrimoine à la Fondation Clément, sous l’égide de laquelle a été conduit le chantier de rénovation. 

Quelles ont été les grandes étapes de la vie du musée avant sa rénovation ?

Dédié à l’éruption de la montagne Pelée qui détruisit la ville de Saint-Pierre, et fondé en 1933 par le vulcanologue Frank A. Perret, il s’agit du musée le plus ancien de Martinique. Le scientifique, qui a été témoin d’une deuxième séquence d’éruption en 1929, est en effet parvenu à réunir les fonds nécessaires auprès de Martiniquais et de philanthropes américains pour en faire un lieu de mémoire. L’objectif était double : garder la mémoire de la catastrophe et documenter le phénomène scientifique. Au décès de Frank A. Perret, le musée, construit sur un terrain municipal, est devenu propriété de la ville de Saint-Pierre qui dès lors en a assuré la gestion. Construit dans un style Art Déco, le bâtiment a connu une première modernisation en 1969, comprenant notamment des aménagements facilitant l’accueil de groupes, puis une rénovation en 1988 lorsque la ville de Saint-Pierre a obtenu le label « Ville d’art et d’histoire ».

Le musée rénové privilégie une approche plus culturelle que scientifique de la catastrophe

Pourquoi une nouvelle rénovation est-elle devenue nécessaire ? Quel en est l’objectif ?

Le musée avait vieilli. Il n’accueillait plus que 16 000 visiteurs par an au moment de sa fermeture en décembre 2018. La présentation de la collection et le bâtiment étaient en quelque sorte devenus obsolètes. Par ailleurs, la ville de Saint-Pierre avait des difficultés à en assurer le développement. Pour une ville de 4 000 habitants, disposant de ressources limitées, il s’agissait d’une lourde charge. Il a donc été décidé de confier la rénovation à une structure privée dans le cadre d’une délégation de service public. La fondation Clément, opérateur culturel de premier plan en Martinique, a été immédiatement intéressée par cette proposition globale, comprenant, dans le plein respect des fonctions traditionnelles d’un musée – il est labellisé "musée de France", ce qui a un certain nombre d'implications concrètes – une rénovation complète du bâtiment et une nouvelle approche muséographique. Compte tenu de plusieurs éléments, dont la superficie réduite de ce petit musée de 120 m2, il a été décidé de privilégier une approche culturelle de la catastrophe. La dénomination « Mémorial de la catastrophe de 1902 » vient du reste s’ajouter au nom historique du fondateur du musée pour marquer la nouvelle orientation du lieu.

Une convention a été signée le 5 avril dernier entre l’État et la ville de Saint-Pierre en présence de Franck Riester. Dans quel esprit avez-vous travaillé avec les représentants de la Drac ? 

Dans le cadre de ce chantier de rénovation, nous avions naturellement à cœur de travailler avec un large éventail de partenaires afin de bénéficier de l’ensemble des savoir-faire existants. Un comité scientifique a notamment été constitué autour de la spécificité de la collection. Il s’agit en effet du seul musée consacré à l’archéologie contemporaine. Par ailleurs, les objets issus des fouilles qui ont lieu depuis 30 ans à Saint-Pierre sont conservés au Centre de conservation et d’étude du Service régional de l’archéologie de la direction des affaires culturelles de Martinique. Dans le cadre de la Convention de dépôt signée entre l’État et la Ville de Saint-Pierre, 28 de ces objets vont rejoindre l’exposition permanente du musée. Il s’agit d’objets de la vie quotidienne et de nombreux objets religieux, des chapelets et des médailles notamment, dont la sur-représentation s’explique par la manière dont ils ont été considérés par ceux qui les ont découverts. Parce qu’ils sont un témoignage direct de l’incendie, parce qu’ils ont été altérés par l’éruption, tous ces objets ont une valeur scientifique. Mais on peut également y voir une valeur artistique : certains peuvent faire penser aux montres molles de Dali. Les surréalistes s’y sont intéressés. Enfin, la rénovation participe d’un projet culturel global, à l’échelle de la ville de Saint-Pierre et plus largement de la Martinique, portant haut l’ambition d’un musée répondant aux normes muséographiques internationales.

Autre symbole fort, l’inscription des noms des 7500 victimes identifiées à ce jour.

Cette catastrophe dont on ignore le nombre exact de victimes, mais celui-ci avoisinerait les 28 000, a complètement modifié la société martiniquaise. Fort-de-France, capitale en devenir, s’est trouvée plus tôt que prévu conforté dans ce rôle. En rénovant ce musée, nous redonnons une fierté à la ville de Saint-Pierre. Nous avons souhaité inscrire le nombre des 7 500 victimes connues à ce jour dans la pièce qui, selon nous, incarne le mieux le Mémorial où l’on ne trouve rien d’autre que la cloche déformée à même le sol.

Quelles sont les caractéristiques du projet architectural ?

Le musée est situé sur le site exceptionnel de l’ancienne batterie d’Esnotz qui domine la ville et s’ouvre sur le large panorama de la baie de Saint-Pierre surplombé par la montagne Pelée. Dans le respect de la structure initiale, l’architecte Olivier Compère a fait le choix d’une architecture contemporaine avec un revêtement en bois brûlé, faisant appel à une technique japonaise, qui permet de donner une couleur charbon au bois. Le symbole est très fort. Le bâtiment renaît à travers un bâtiment traité par le feu, ce même feu qui avait dévasté Saint-Pierre à l’époque de l’éruption mais il s’agit ici d’un feu bienveillant. La rénovation, menée en partenariat avec des institutions privées, sera qui plus est complétée par le projet de ravalement des façades du centre-ville retenu par la Fondation du patrimoine.

À la veille de l’ouverture du musée, quelle est votre ambition pour les prochains mois ?

Mon souhait le plus cher est que la population de Saint-Pierre, et plus largement l’ensemble des Martiniquais, s’approprient ce lieu, qu’ils s’y retrouvent et s’y sentent à l’aise. Que ce Mémorial devienne également un lieu de prédilection pour les nombreux visiteurs et touristes. Le musée est une très bonne porte d’entrée pour découvrir la Martinique.

Outre-mers : une offre culturelle en plein renouveau

Mémorial ACTe, centre caribéen d’expressions et de mémoire de la Traite et de l’Esclavage inauguré en 2015 à Point-à-Pitre, en Guadeloupe ; Maison d’Aimé Césaire dans le quartier de La Redoute, à Fort-de-France, en Martinique, qui va être bientôt transformée en musée ; Centre culturel Jean-Marie Tjibaou conçu en 1998 par l’architecte italien Renzo Piano en Nouvelle-Calédonie pour valoriser la culture kanak, candidature de la Yole ronde au patrimoine immatériel de l’Unesco… Ces projets d’envergure, qui font dialoguer histoire, patrimoine et culture, ont signé, ces dernières années, un important renouveau de l’offre culturelle dans les territoires ultra-marins, dont la visite de Franck Riester, en avril dernier, a permis d’entrevoir toute l’étendue. Nul doute que la rénovation du Mémorial de la catastrophe de 1902, qui s’inscrit dans la dynamique de développement culturel et patrimonial de la ville de Saint-Pierre, soit un nouveau – et particulièrement pertinent – témoignage de cette ambition culturelle à l’échelle des Outre-mers.