Hier en Afghanistan, en Irak, en Syrie, aujourd’hui en Ukraine, les risques qui pèsent sur le patrimoine culturel n’ont jamais été aussi actuels. La publication des actes d'un colloque qui s'est tenu pendant la Présidence française de l’Union européenne permet de faire le point.

Climatique, numérique, pandémique et, bien sûr, militaire… la liste des risques qui pèsent sur le patrimoine culturel est aussi longue que les réponses innovantes apportées à l’échelle nationale et européenne sont nombreuses. Organisé lors de la Présidence française de l’Union européenne, le colloque « Patrimoine, archives, architecture, musées : quels risques, quelles expériences en Europe ? », qui s’est tenu les 24 et 25 mars, à l’Institut national du patrimoine, à Paris, a constitué un espace très précieux d’échanges et de discussions entre les pays de l’Union européenne et leurs partenaires.

A l’occasion de la publication des actes du colloque, Bruno Favel, chef de la mission du patrimoine mondial à la direction générale des patrimoines du ministère de la Culture, revient sur la portée et la richesse de ce très riche document, qui présente une synthèse inédite - et passionnante - de la question.

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Quel est le contexte qui a présidé à la tenue du colloque « Patrimoine, archives, architecture, musées : quels risques, quelles expériences en Europe » ?

Je tiens en préambule à préciser que lors d’une Présidence du Conseil de l’Union européenne, l’objectif n’est pas tant de faire avancer ses idées que de proposer une thématique afin de susciter l’échange et connaître les positions des différents pays de l’Union sur cette question. Roselyne Bachelot, alors ministre de la Culture, a souhaité que le patrimoine soit l’une des priorités de la Présidence française de l’Union européenne, qui s’est tenue du 1er janvier au 30 juin 2022. La mission du patrimoine mondial a ainsi organisé trois colloques : « Le Label du patrimoine européen : bilan des 10 ans d’existence » (27-28 janvier 2022 en distanciel), « Patrimoine, archives, architecture, musées : quels risques, quelles expériences en Europe ? » (24-25 mars, Institut national du patrimoine) et « Les musées en Europe : quels défis pour l’avenir ? » (3-4 mai 2022, Centre Pompidou).

La thématique des risques est d’une grande actualité. Elle a fait l’objet de nombreuses conférences en France et en Europe, c’était le cas il y a quelques jours encore sous présidence tchèque. Il nous a semblé opportun de l’aborder d’une façon commune à tous les secteurs de compétences de la direction générale des patrimoines et de l’architecture : patrimoine, architecture, archives et musées. Le colloque qui avait pour objectif de proposer un espace d’échange et de partage d’expériences s’en est fait l’écho. Il a connu un grand succès, réunissant 150 représentants de l’ensemble des institutions patrimoniales – États, Union européenne, Conseil de l’Europe, ICCROM, UNESCO, ICOM et ICOMOS – de la société civile, notamment Europa Nostra, ainsi que des experts et personnalités européennes et internationales. Nous avions choisi ce sujet en 2021 mais l’actualité nous a cruellement rattrapés : ce colloque s’est tenu un mois seulement après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Or, comme nous le savons malheureusement tous, le patrimoine ukrainien a été pris pour cible. Devant l’Ambassadeur d’Ukraine en France, la ministre de la Culture et l’ensemble des intervenants ont exprimé leur indignation et leur solidarité avec le peuple et les professionnels ukrainiens.

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Bombardement sur un sanctuaire historique du village de Zelenyi, entre Kherson et Mykhailov.

De quelle façon la notion de risque encouru par le patrimoine est-elle aujourd’hui appréhendée au niveau européen ?

Nous savons que le patrimoine, l’architecture, les archives et les musées sont soumis à de nombreux risques : pandémique, climatique, numérique, perte de connaissances et de savoir-faire, atteintes et destructions, sur-fréquentation, sous-fréquentation, etc. Mais nous savons également qu’ils offrent des solutions, des réponses innovantes et inspirantes pour lutter contre les crises traversées. Des textes européens ont été adoptés pour démontrer le rôle du patrimoine comme ressource économique, stratégique, touristique et durable pour l’Europe. La Commission européenne a fait un travail remarquable, elle finance des projets de recherche, à l’image du programme « Horizon Europe » pour échanger, mutualiser les efforts, s’inspirer de l’existant et imaginer des réponses innovantes. Le Conseil de l’Europe a adopté une Stratégie européenne pour le patrimoine au XXIe siècle qui prend aussi en compte cette thématique des risques.

Nous avons souhaité participer à cette dynamique : offrir un temps de réflexion et d’échange, national et européen, confronter nos perceptions, améliorer nos connaissances, mieux anticiper et lutter contre les types de risques sur lesquels nous avons choisi de travailler, et présenter quelques expériences emblématiques. La Grèce par exemple a développé des plans incendie sophistiqués et performants pour ses monuments historiques, la Finlande a mis en place une stratégie tout à la fois environnementale et patrimoniale de préservation du bâti.

L’État reste souverain en matière de protection du patrimoine mais il est de plus en plus secondé par l’Union européenne.

Absolument et il peut compter sur de précieux relais. Je salue ici la mémoire de Pierre de Lagarde qui vient de disparaître, producteur de l’émission Chefs-d’œuvre en périls qui autrefois a fait date en France. Aux côtés de l’État, l’Union européenne ne cesse de monter en puissance. Indépendamment du partenariat avec la société civile, la présidence belge en 2010 a été un tournant : on a pris conscience que l’Union européenne, qui est une formidable institution pour générer des mécanismes drainant des politiques économiques, sociales, et durables, pouvait aussi avoir ce rôle en matière de patrimoine. Plus personne aujourd’hui ne s’étonne qu’elle aide à ce genre de structuration.

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Comment le colloque a t-il été conçu au sein de la DGPA ?

La DGPA a souhaité capitaliser sur les expériences menées ces dernières années sur le sujet en France et en Europe. Dès 2021, à l’initiative de la Mission du patrimoine mondial et à la demande du directeur général des patrimoines et de l’architecture, tous les services de la DGPA – patrimoine, architecture, musées et archives – ont été associés aux réflexions pour identifier les nombreuses menaces qui pèsent sur nos secteurs. Sous la conduite d’Orane Proisy, une analyse a permis de sélectionner quelques risques choisis pour leur pertinence, leur actualité ou leur transversalité et de définir ainsi six tables rondes. Cinq d’entre elles ont été co-pilotées par des services de la DGPA, la dernière par l’Ambassadrice de France auprès de l’UNESCO pour affiner, décrire et problématiser la réflexion, rechercher les outils, les remèdes existant en France ou en Europe. Des experts européens et internationaux ont été associés à chaque table ronde et ont enrichi la réflexion. Ce travail préparatoire était passionnant.

Les actes du colloque sont aujourd’hui accessibles à tous. Pourquoi cette publication est-elle importante selon vous ?

Il est important de préserver notre patrimoine auquel les citoyens européens sont tant attachés. Je reviens à l’actualité. Il faut hélas se rendre à l’évidence que le patrimoine sera toujours affecté par les conflits : s’il existe de longues phases de prospérité, la violence et la menace sont là en permanence. Hors cette situation exceptionnelle, il y a aussi cette menace qui ne cesse de s’intensifier depuis la tenue du colloque d’individus qui entrent dans les musées et se livrent à des actes de dégradation sur les œuvres. Aussi, même si ce colloque s’adressait plutôt à des professionnels du patrimoine, nous avons souhaité garder une trace de ces échanges compte tenu de la très grande qualité des interventions. Nous devons poursuivre ces actions de coopération, de sensibilisation et d’échanges en Europe afin d’encourager une large mobilisation de la communauté européenne, d’optimiser les chaînes d’intervention et d’améliorer la gouvernance. Il est primordial de réussir à sensibiliser et mobiliser les professionnels du patrimoine, les élus et mais aussi les populations, car nous avons tous un rôle à jouer dans ce contexte, afin de mieux anticiper, gérer et réagir aux situations d’urgence. Jean-François Hébert, le directeur général des patrimoines et de l’architecture, est pleinement à l’écoute de ces enjeux et je tiens à lui exprimer ma gratitude.

Mieux protéger le patrimoine européen contre les risques

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Le colloque « Patrimoine, archives, architecture, musées : quels risques, quelles expériences en Europe ? », qui s’est tenu les 24 et 25 mars 2022, à Paris, dans le cadre de Présidence française du Conseil de l’Union européenne, avait pour objet de permettre aux administrations patrimoniales européennes, aux professionnels et aux représentants de la société civile patrimoniale de partager leurs expériences sur les risques qui menacent les différents secteurs du patrimoine et d’échanger des bonnes pratiques dans une approche transversale.

Ce colloque a réuni des experts, spécialistes et personnalités européens et internationaux, des représentants d’institutions patrimoniales (Commission européenne, Conseil de l'Europe, Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels, UNESCO, Conseil international des musées, Conseil international des monuments et des sites) et des représentants de la société civile.

Plusieurs thématiques ont été abordées, notamment les impacts de la crise sanitaire, le développement durable ou la résilience, les risques naturels ou liés au changement climatique, les risques liés à la gestion quotidienne, aux incendies ou dus à l’Homme, la lutte contre le trafic illicite ou les atteintes au patrimoine, la sur-fréquentation touristique ou la disparition de certains savoir-faire.