Alors que la Biennale de Venise ouvre ses portes samedi 26 mai, les architectes de l'agence Encore Heureux ont choisi de présenter, au sein du Pavillon français, dix projets innovants et audacieux, qui innervent le territoire hexagonal. Entretien avec l'un d'entre eux, Julien Choppin.

Raconter dix lieux pionniers où architecture et expérimentations sociales se mêlent : telle est l’ambition de l’exposition Lieux Infinis qui sera présentée cette année par le Pavillon Français lors de la 16e exposition internationale d’architecture de Venise. Le Centquatre, établissement public culturel municipal (Paris), la Friche la Belle de Mai, projet culturel (Marseille) ou encore le Tri Postal, cité associative et lieu d’accueil des plus démunis (Avignon) font partie de ces « espaces de liberté » que Nicola Delon, Julien Choppin et Sébastien Eymard ont choisi de présenter au public. Tous trois sont membres de l’agence Encore Heureux, fondée en 2001 et lauréate, en 2015, du concept d’aménagement scénographique du site de Paris – Le Bourget pour la COP21. Entretien avec Julien Choppin.

"Freespace", le thème général de la prochaine biennale de Venise, mettra en valeur l'inventivité architecturale. Comment votre proposition, "Lieux infinis", répond-elle à cette problématique ?

Nous avons pris au pied de la lettre la formulation d’Yvonne Farrell et Shelley McNamara, les commissaires générales de la Biennale, en traduisant « Freespace » par « espace et liberté ». De là découle notre volonté d’étudier et de faire connaître des lieux qui se situent au carrefour de ces deux notions. Pour cela, nous nous sommes posés deux questions simples : existe-il, aujourd’hui encore, des espaces de liberté ? Sous quelles formes se présentent-ils ?

Ce thème nous donne également l’occasion de parler de la façon dont on envisage et construit des lieux aujourd’hui. La question qui sous-titre l’exposition - « Construire des bâtiments ou des lieux » ? – renvoie d’ailleurs à la distinction que nous faisons entre le bâtiment et le lieu. Pour nous, un lieu est bien plus qu’un simple bâtiment ou qu’une architecture, aussi belle soit-elle.

Pour concevoir le Pavillon français, vous avez justement sélectionné dix lieux représentatifs, selon vous, d'une certaine idée de l'expérimentation architecturale, tournée vers l'échange et l'appropriation citoyenne. Comment allez-vous les exposer, les mettre en scène ?

Tous ces sites sont difficiles à synthétiser car ils sont souvent très riches ! Nous avons donc cherché à les raconter de plusieurs manières différentes. Pour commencer, chacun d’entre eux sera présenté avec une grande maquette augmentée de vidéos permettant au visiteur de visualiser ce qui se passe à l’intérieur : le contenant sera ainsi exposé avec le contenu. Il y aura également des chronologies dessinées par Jochen Gerner, qui montreront les différentes étapes de fabrication de ces Lieux infinis – la situation de départ, les différents acteurs qui se mobilisent, les risques, les succès… Il s’agit de raconter les processus plutôt que les seuls résultats. Enfin un cabinet de curiosités rassemblera des objets – preuves destinés à raconter et transmettre l’énergie de ces lieux.

Des objets – preuves ?

Nous en avons collectionné plus de 500 ! Le cabinet de curiosités joue sur l’accumulation, il ne s’agit pas forcément de montrer des objets emblématiques - même si certains d’entre eux peuvent l’être. Nous exposerons la clef de l’Hôtel Pasteur de Rennes, par exemple. Ce lieu, ouvert aux initiatives citoyennes, ne fonctionne qu’avec une seule clef, donnée depuis cinq ans aux personnes qui viennent s’y investir. Cette clef résume à elle seule tout l’idéal de gouvernance collective qui sous-tend l’Hôtel Pasteur.

Le cabinet de curiosités comprend en outre des objets communs. Pour le Centquatre, qui a ouvert ses portes aux pratiques spontanées et amateurs, nous montrons des instruments de jonglage ou de danse. La Ferme du Bonheur sera, elle, illustrée par un jambon, un lustre, un violon… Des objets du quotidien. Et c’est précisément grâce à cette juxtaposition d’objets hétérogènes, tantôt communs, tantôt emblématiques, que l’on espère montrer l’intensité des différents usages d’un site.

Les lieux que vous avez choisis sont répartis sur l'ensemble du territoire français. S'insèrent-ils, ensemble, dans des problématiques plus globales ?

Il est intéressant, selon nous, de regarder ces lieux car ils proposent des alternatives aux crises que notre société traverse aujourd’hui. Certains des lieux que nous exposons ont ainsi développé des projets d’accueil autour des migrants ou de populations en grande précarité. D’autres se sont saisis de questions écologiques : la Ferme du Bonheur, entre autres, développe à sa manière une forme d’agriculture urbaine.

Nous avons choisi dix lieux – rencontrés, pour la plupart, au cours de nos vies professionnelles respectives – mais il en existe une petite centaine en France et bien plus à l’étranger. Nous souhaitons profiter de la Biennale pour dresser, avec l’aide des visiteurs, un atlas collaboratif de ces Lieux infinis à travers le monde.

L’émergence de telles initiatives marque également un renouveau du rôle de l’architecte, dépassant la seule maîtrise d’œuvre.  Cette vision « alternative » de la profession sera-t-elle mise en avant dans l’exposition ?

Une salle sera consacrée aux répercussions de ces pratiques sur les architectes et la discipline architecturale en général. La question sera également abordée dans le catalogue de l’exposition, qui prend la forme d’un ouvrage collectif. Selon nous, l’intervention de l’architecte est étendue et élargie, en amont comme en aval de la maîtrise d’œuvre « classique » où il a actuellement tendance à être cantonné. Dans certains cas, les architectes eux-mêmes sont à l’initiative des lieux, dans d’autres ils continuent – bien après que le bâtiment aura été livré – à accompagner le site dans sa transformation pour en faire un véritable espace de vie. Et de liberté.

 

Pavillon français : les 10 lieux présentés

« Nous avons choisi ces dix lieux parce que nous avons l’intuition que de véritables alternatives constructives y sont à l’œuvre et méritent d’être partagées et débattues. Parce qu’ils mélangent les notions de public, de privé, d’associatif, de vaste, de réduit, d’ancien, de futur, de confirmé, de fragile, de très urbain, de périphérique ou de rural. Parce que nous souhaitons les interroger, les comprendre et les raconter. Cet ensemble est un espace de confrontation où chaque lieu questionne les autres en révélant ses richesses, ses problématiques et ses singularités. » Nicola Delon, Julien Choppin et Sébastien Eymard

-          Le Centquatre (Paris)

-          La Grande Halle (Colombelles)

-          L’Hôtel Pasteur (Rennes)

-          Les Ateliers Médicis (Clichy-sous-Bois-Montfermeil)

-          La Friche Belle de Mai (Marseille)

-          Le Tri Postal (Avignon)

-          Les Grands Voisins (Paris)

-          Le GB (Saint-Denis)

-          La Convention (Auch)

-          La Ferme du Bonheur (Nanterre)