A travers cinq dates clés, Michel Netzer, directeur du département sciences et techniques à la Bibliothèque nationale de France, nous entraîne dans une petite promenade à travers le patrimoine historique de la science d’expression française.

Le français est depuis longtemps l'une des langues majeures de la pensée scientifique, comme en témoigne la place éminente dans l'histoire des sciences de personnalités comme Ambroise Paré, Descartes, Pascal, Fontenelle, Lavoisier, Buffon ou Pierre et Marie Curie. A l’occasion du colloque « Pour des sciences en français et en d’autres langues », Michel Netzer, directeur du département sciences et techniques à la Bibliothèque nationale de France est revenu sur 5 dates emblématiques de la pensée scientifique.

1665 / le premier numéro du «Journal des savants» sort des presses

 

Fondé en 1665 en France, le Journal des savants est considéré comme la plus ancienne revue scientifique au monde, sa naissance ayant précédé de quelques mois celle de la revue Philosophical Transactions of the Royal Society, qui était la grande publication concurrente en Grande-Bretagne. Dans son premier numéro en date du 5 janvier 1665, le Journal des savants affiche son ambition : « Faire savoir ce qui se passe de nouveau dans la république des lettres », à travers des comptes rendus de livres, des nécrologies détaillées sur les hommes célèbres, des présentations des dernières découvertes et expériences scientifiques ». Pour ses rédacteurs, il s'agissait « de faire en sorte qu'il ne se passe rien dans l'Europe, digne de la curiosité des gens de lettres, qu'on ne puisse apprendre dans ce journal », précisait un avertissement au lecteur.

1690 / Huygens termine la rédaction de son «Traité de la lumière»

Bien que d'origine néerlandaise, Christian Huygens (1629-1695), à qui nous devons la théorie des ondes lumineuses, a entièrement rédigé son Traité de la lumière en français. Au contraire de Huygens, Isaac Newton, inventeur de la théorie de la gravitation universelle, défendait une approche corpusculaire de la lumière. Il faudra attendre Louis de Broglie, qui publie ses Recherches sur la théorie des quanta en 1924, pour donner raison à la fois aux deux grands savants puisque de Broglie montre la nature double de la lumière.

1749 / Buffon publie « L’Histoire naturelle »

L’Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roi est une collection encyclopédique d'ouvrages rédigés par Buffon pendant près de cinquante ans, qui embrassent tout le savoir de l’époque dans le domaine des sciences naturelles : trente-six volumes parus de 1749 à 1789, et huit autres après sa mort édités par Lacépède. S’il ne fallait citer qu’un nom pour le XVIIIe siècle, ce serait bien évidemment celui de Buffon. Les références à l’œuvre de Buffon sont partout présentes dans la littérature du XVIIIe siècle. Je ne résiste pas à la tentation de vous lire la première phrase de son Histoire naturelle : « L’histoire naturelle prise dans toute son étendue est une histoire immense, elle embrasse tous les objets que nous présente l’univers ». Buffon est - à juste titre - célébré pour son style. Rivarol lui-même écrivait dans son célèbre Discours sur l’universalité de la langue française publié en 1784 : « Pour écrire l’histoire grande et calme de la nature, Buffon emprunta ses couleurs et sa majesté ».  

1789 / Lavoisier présente son « Traité élémentaire de chimie »

Souvent considéré comme le créateur de la chimie moderne, Antoine Lavoisier (1743-1794) insiste sur l’importance de la langue dans la fabrication du raisonnement scientifique. Pour lui, « les faits, les idées, et les mots » forment une sorte de boucle rétroactive.  « Toute science physique est nécessairement formée de trois choses : la série des faits qui constituent la science ; les idées qui les rappellent ; les mots qui les expriment. Le mot doit faire naître l'idée ; l'idée doit peindre le fait : ce sont trois empreintes d'un même cachet », écrit-il dans son Traité élémentaire de chimie, paru en 1789.

1903 / Pierre et Marie Curie obtiennent le prix Nobel de physique

La science d’expression française compte d’illustres représentants au XXe siècle, tels Henri Poincaré (1854-1912), immense savant, Henri Becquerel (1852-1908) qui partagea en 1903 avec Pierre et Marie Curie le prix Nobel de physique, et surtout naturellement Marie Curie (1867-1934) dont les carnets sont conservés à la Bibliothèque nationale de France. Je voudrais pour terminer mentionner Louis de Broglie dont la thèse de doctorat a ouvert une nouvelle ère dans l’histoire de la physique. Einstein, après en avoir lu le manuscrit, a dit à son sujet : « Il a soulevé un coin du grand voile ».