Ingénieur, journaliste, économiste, conseiller de Napoléon
III, professeur au Collège de France, membre de l’Institut,
député, sénateur, Michel Chevalier fut un infatigable
homme d’action et de réflexion.
Reçu major à Polytechnique en 1823, élève
à l’École des mines, il est nommé ingénieur
en 1830 ; mais ces fonctions d’ingénieur, écrit-il,
« me -répugnaient ». Abandonnant cette carrière,
il rejoint le mouvement saint-simonien à l’été
1830. Peu après, il répond à l’appel du
Père Enfantin – « À nous Michel, vieux voltairien,
arrive !… Tu es de la pâte dont sont pétris les
prophètes » – et devient chef de service du journal
Le Globe que les saint-simoniens viennent de reprendre. Quand, un
an plus tard, surgit le « Schisme » entre les deux Pères,
Bazard et Enfantin, Chevalier prend parti pour ce -dernier et le suit
dans sa retraite à Ménilmontant.
Poursuivi pour ses publications dans Le Globe, il est condamné
et, en décembre 1832, entre à la prison de Sainte-Pélagie.
Trois mois plus tard, il rompt avec Enfantin, concrétisant
ainsi son éloignement de la doctrine. Sa contribution au saint-simonisme
est donc de courte durée, mais cette expérience marque
toute sa vie. Il est devenu « l’économiste saint-simonien
», selon le mot de Jean Walch.
En effet, ses quatre articles sur Le Système de la Méditerranée,
publiés en février 1832 dans Le Globe, constituent le
véritable programme industriel de -l’École. «
La Méditerranée, écrit-il, a été
une arène, un champ clos où, durant trente siècles,
l’Orient et l’Occident se sont livré des batailles.
Désormais la Méditerranée doit être comme
un vaste forum sur tous les points duquel communieront les peuples-jusqu’ici
divisés. » Pour ce faire, il faut multiplier les voies
de communication et favoriser le commerce et les échanges.
En 1833, Chevalier passe deux ans aux États-Unis, pour étudier
les réseaux de communication. Il se transforme en véritable
reporter, et ramène de cette mission plusieurs ouvrages dont
les Lettres sur l’Amérique du Nord et une Description
des voies de communication aux États-Unis et des travaux d’art
qui en dépendent. Dès son retour, il milite pour le
développement des chemins de fer et le percement de l’isthme
de Panama : il devient conseiller technique de la Compagnie de chemins
de fer des frères Péreire. En 1838, il publie un nouvel
ouvrage-manifeste, Des Intérêts matériels en France.
Travaux Publics ; routes, canaux, chemins de fer.
Il court de succès en succès : il obtient un poste au
Conseil d’État et, fin 1840, il est nommé titulaire
de la chaire d’économie politique au Collège de
France. Il publie un Cours d’économie politique en trois
volumes dans lequel il professe un saint-simonisme libéral,
réaliste et industrialiste, et développe la thèse
de « l’industrialisme mixte », mélange d’interventionnisme
et de libéralisme. À partir de 1845-46, il privilégie
les politiques de libre-échange et se lance dans la carrière
politique ; il est élu à la Chambre en 1845.
La révolution de 1848 permet à plusieurs saint-simoniens
de gauche – Raynaud, Charton et Carnot – d’accéder
au gouvernement, mais ils voient en lui un adversaire libre-échangiste
et sa chaire au Collège de France est supprimée durant
six mois. Après le coup d’État du 2 décembre
qu’il a soutenu, Chevalier devient le conseiller économique
très écouté de Napoléon III dont il guide
la politique industrielle. Qualifié de « vieux Berthier
du nouveau Napoléon » par Enfantin avec lequel il renoue,
il est élu membre de l’Institut, puis nommé conseiller
d’État et, en 1860, sénateur. Pacifiste convaincu,
il est l’inspirateur avec Richard Cobden, du traité de
libre-échange entre la France et la Grande-Bretagne ; il favorise
les grandes expositions universelles et, en 1870, il est le seul sénateur
à voter contre la guerre. Après la chute du second Empire,
il -poursuit son cours au Collège de France, s’intéresse
encore à l’isthme de Panama et crée en 1875 la
« Société du Chemin de fer sous-marin entre la
France et l’Angleterre » pour étudier le percement
du tunnel sous la Manche.
Saint-simonien libéral et conservateur, Michel Chevalier a
gardé toute sa vie foi dans le progrès industriel et
a poursuivi son rêve de jeunesse visant à l’encerclement
pacifique de la planète par les réseaux de communication.
Pierre Musso
professeur à l’université de Rennes II