La brochure des Célébrations nationales
a désormais sa place parmi les publications officielles du
ministère de la culture et de la communication. Le Haut comité
peut s’estimer satisfait : à la richesse des articles
se joint la diversité du ton. Et à sa tête une
direction ferme et lucide sait éviter jusqu’à
l’ombre des désaccords.
C’est pourtant lorsqu’on arrive à ce point d’équilibre
qu’il faut s’interroger. L’outil est-il bien adapté
? Ce livret de l’an 2006 vaut-il celui de 1999 ? Avons-nous
embrassé trop de choses et négligé l’essentiel
? gagné en équilibre ou perdu en intérêt
? Feuilletons au hasard : ici la Chanson du
Mal-aimé d’Apollinaire (2003), là
La vie d’un simple d’Émile Guillaumin (2004).
Ces choix suffiraient pour montrer la pertinence de la quête
et l’habileté, le cas échéant, à
se dégager des contraintes très fortes imposées
par le jeu des dates…
Voilà qui rassure sur l’exploitation du domaine français.
Mais très vite il avait été décidé
que les célébrations « nationales » ne pouvaient
et ne devaient pas exclure les personnes ou les faits relevant de
l’étranger. Voie courageuse, mais périlleuse.
Ainsi la musique est un langage international : selon la mode, le
jeu de l’actualité, la célébrité
des interprètes, toutes les musiques de la terre pourraient
intervenir, à n’importe quel moment. N’en va-t-il
pas de même pour l’architecture, pour la sculpture, pour
la -peinture ? Ici, la nationalité revient en force pour commander
le choix. Donnera-t-on la priorité à tel peintre polonais
de la fin du XIXe siècle, à tel Finlandais
du début du XXe siècle formés en France
et y ayant fait une partie de leur carrière ? Ou fera-t-on
jouer les scrupules ?
Cette question est peut-être la plus importante qui se pose
aujourd’hui au Haut comité. Car elle concerne aussi les
écrivains étrangers. Les noms de Pétrarque ou
de l’Arioste ont déjà donné lieu à
des articles au titre des célé-brations nationales.
Après quoi un Andersen ou un Edgar Poë, si familiers aux
Français – fût-ce grâce aux traductions –
auraient-ils à justifier leur présence ? On n’en
a pas éprouvé le besoin pour Pouchkine (1999). Faut-il
craindre les excès ? Nous ne le croyons pas.
Allons même plus loin. Dans l’équilibre attentif
établi entre les notices, une place a été souvent
réservée à des savants français, notamment
à des médecins. Est-elle -suffisante pour les savants
étrangers ? Qu’on nous permette encore un exemple. L’année
2005 a vu célébrer le centenaire de la première
publication d’Albert Einstein concernant la relativité
restreinte (par un article prudemment confié à un journaliste…).
Dans la suite, pour la seconde grande révolution scientifique
du XXe siècle, celle qui remplaça le déterminisme
par l’incertitude de la mécanique quantique, figure toute
une succession de savants illustres : Bohr, Planck, de Broglie, Heisenberg,
Schrödinger. Le jour venu, aura-t-on le courage de présenter
l’apport précis de ces grands érudits, dont un
seul était français, mais qui ont souvent donné
leur nom à des mesures ou à des lois acceptées
dans le monde entier, et cela pour familiariser le public avec d’autres
noms que celui du grand Einstein ?
Peut-être commettrions-nous une faute contre l’esprit
en cherchant, non pas à diffuser, mais à faire frôler
des vérités que presque tous nous sommes incapables
d’approcher. Mais prenons bien conscience que depuis quelques
années le monde -évolue rapidement. La science garde
une part de son prestige, mais sous nos yeux disparaissent quantité
de connaissances qui naguère allaient de soi : celles qui concernaient
le monde politique du XIXe et même du XXe siècle, celles
qui touchaient à l’histoire de l’Europe depuis
la Renaissance. Si la -publication des livrets annuels des Célébrations
Nationales nous paraît importante, c’est précisément
qu’elle peut s’efforcer de limiter cette -disparition
d’un passé proche ou lointain si souvent remplacé
dans les esprits par les -illusions du cinéma, du théâtre
« moderne » ou des jeux « informatiques ».
Jacques Thuillier
professeur au Collège de France
membre du Haut comité des célébrations nationales