LBoissy d’Anglas ne fait pas partie des plus grands acteurs
de la Révolution, mais il est au premier rang des seconds rôles
représentatifs et significatifs et il a survécu en maintenant
la fidélité à ses principes jusqu’en plein
cœur de la Restauration. Socialement, un grand bourgeois, grande
propriété terrienne en Vivarais, profession libérale
(avocat, fils de médecin), des relations à Paris avant
même 1789. Idéologiquement, une famille protestante rescapée
de la persécution et par conséquent attachée
à la Liberté et aux Lumières. Donc membre actif
de toutes les assemblées révolutionnaires, libéral
sans être extrémiste, un peu thermidorien, fructidorisé,
rallié à l’Empire, et à nouveau opposant
libéral aux rois restaurés.
Ce sont le conditionnement et la trajectoire d’un bourgeois
chimiquement pur, ou – on l’a dit aussi – de «
notable libéral » (1). Mais si son nom survit, ce n’est
pas pour cette représentativité mais pour un épisode
particulier, la journée d’émeute du 1er prairial
an III (20 mai 1795). Présidant ce jour à la Convention,
il sauva la séance en s’accrochant courageusement au
fauteuil dont les émeutiers venus du faubourg Saint-Antoine,
à la fois affamés et en armes, voulaient s’emparer.
Il salua la tête de Féraud, conventionnel assassiné
et décapité par l’émeute, et qu’on
brandissait devant lui, sans craindre le même sort et sans céder
la place.
Cela suffit pour que la monarchie libérale revenue quatre ans
après sa mort en 1830, avec Louis-Philippe, fasse officiellement
du Boissy d’Anglas du 1er prairial l’équivalent
du Mirabeau de Juin 1789 repoussant de la voix l’émissaire
de Louis XVI (« Nous ne sortirons que par la force des baïonnettes
»).
Équivalent par symétrie. La liberté politique
s’exerçant dans le respect des assemblées élues,
l’Assemblée doit se défendre contre toute violation,
qu’elle vienne du pouvoir exécutif (Mirabeau contre Louis
XVI) ou qu’elle vienne de la rue (Boissy d’Anglas contre
le faubourg). Quoi que l’on pense de cette éthique en
termes de sensibilité actuelle, l’histoire ne peut nier
qu’elle ait constitué le principal fil conducteur d’un
siècle et demi de notre histoire politique. Un
« centrisme » avant la lettre.
1. -Christine Le Bozec, Boissy d’Anglas, un grand
notable libéral, Privas, FOL de l’Ardèche, 1995.