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programme des manifestations
À quels titres célébrer René Waldeck
Rousseau ? Il n’est ni fils de ses œuvres à la
façon de Gambetta, ni, comme Jaurès, boursier génial
de la République. Son éloquence serrée, un
peu froide, atteste son appartenance au barreau plus qu’au
Parlement, ce temple de la parole où pourtant, député
d’abord, sénateur ensuite, il siégea, quasi
sans dis-continuer, depuis 1879. Ce que la tradition républicaine
honore en lui, outre sa probité personnelle, c’est
l’élu républicain de haut vol qui ne fut que
trois fois ministre, c’est le père de la loi de mars
1884 et du
1er juillet 1901, c’est l’homme de la « défense
républicaine ».
Le cabinet qu’il dirige depuis juin 1899 quand nul n’en
voulait (ni Raymond Poincaré, ni Léon Bourgeois) mérite
cet intitulé. Accusé par la droite d’avoir constitué
un « ministère Dreyfus », regroupant toutes les
couleurs du dreyfusisme, de Millerand à Galliffet, Waldeck-Rousseau,
pendant l’été 1899, obtient la grâce de
Dreyfus et lui sauve la vie après le verdict de Rennes. Il
ramène en même temps, par Galliffet interposé,
la « Haute Armée » dans l’obéissance
à la République, et ouvre la voie à une nouvelle
formation des cadres militaires.
Ce n’est pas le seul domaine où une vraie continuité
se dessine dans sa vision politique. Un bon exemple : sa volonté
militante de promouvoir le droit d’association. Dès
1882-1883 (il vient à peine de quitter le « grand ministère
» de Gambetta), il le déclare hautement : tous ceux
qui se proposent « un but autre que celui de partager des
bénéfices » doivent pouvoir s’associer
légalement ; liberté pour tous ! Il échoue,
tout ministre de l’Intérieur qu’il soit. Quoi,
les membres des congrégations seraient eux aussi couverts
par la loi ! Difficile à accepter à l’heure
des lois Ferry.
Les amis de Barberet, les partisans d’un
syndicalisme où les intérêts professionnels
l’emportent sur les intérêts de classe, lui offrent
une porte de sortie. Donnons enfin (il l’accepte) à
l’économique le pas sur le politique. Ou plutôt
édifions une barrière étanche imposée
par la loi aux syndicats, entre le mouvement ouvrier et son éventuelle
expression politique. Waldeck-Rousseau, qui ne fut jamais indifférent
aux grèves, se rallie à cette règle : on plaide
toujours aux prudhommes, on défile encore dans nos rues,
quels que soient les coups portés par les luttes réelles,
au nom de la loi du 21 mars 1884…
Obstiné, Waldeck-Rousseau revient à la charge en novembre
1899. Il n’a pas changé d’objectif. À
la liberté de s’associer, il ne souhaite pas d’exceptions,
en tout cas aucune exception nommément désignée.
Les congrégations ne sont donc pas nommées dans son
projet ou plutôt on ne les retrouve que dans la grande tradition
du droit : « aucune convention d’association ne pourra
être -formée que pour un temps déterminé
», ce qui exclut les vœux éternels. Las ! la discussion,
véhémente dans le pays (la ligue de l’enseignement
y joue un grand rôle) modifie ce projet libéral. La
société impose sa voix, par journaux, par franc-maçonnerie,
par délibérations municipales.
Aucune « congrégation religieuse
ne peut se former (article 13) sans l’autorisation donnée
par une loi ». Davantage : « nul n’est admis à
diriger un établissement religieux s’il appartient
à une congrégation religieuse non autorisée
» (art. 14). Le 21 janvier 1901, -Waldeck-Rousseau défend
ces amendements et quelques autres (les nouveaux articles 2 et 5)
devant la Chambre. Ils passent avec son aval : la loi du 1er juillet
1901, ce n’était pas tout à fait la sienne ;
elle l’est devenue.
Ainsi va Waldeck-Rousseau, l’homme dont la première
partie du nom fut donnée en prénom, peu après
sa mort, à maints enfants de familles républicaines
: Waldeck Rochet par exemple, ouvrier agricole de Saône-et-Loire
qui devint secrétaire général du P.C.F. Ainsi
va l’histoire.
Madeleine Rebérioux
professeur émérite à Paris VIII
présidente d’honneur de la Ligue française
pour la défense des droits de l’homme et du citoyen
Photographie de 1883
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