Célébrations nationales
2004
Préface
D’année en année se poursuit
la mission confiée en 1998 à la direction des archives
de France et au Haut comité des célébrations nationales
par le ministre de la culture, sous la présidence de Jean Leclant,
secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions
et belles-lettres. Avec le temps, le Haut comité précise,
codifie son travail et en même temps se libère, en sachant
être sensible à ce signe qu’est une date, comme l’écrivait
Jean Favier. Il est conscient de ses missions, il sait qu’il ne
peut être neutre : rassembler et non diviser ; éduquer
à la citoyenneté par la mémoire ; être attentif
à la diversité des repères d’une histoire,
nationale et européenne, repères politiques, scientifiques
et -techniques, artistiques et littéraires ; savoir qu’il
est des faits qui ne méritent pas d’être célébrés,
mais qu’il est nécessaire de rappeler parce qu’ils
structurent la conscience que l’on a de son temps …
Le Haut comité sait qu’il se limite à une histoire
courte, celle de la -constitution de la nation française, dans
un espace européen, à partir duquel se découvrent
d’autres espaces et d’autres temps, d’autres rationalités.
Il sait également, parfois amèrement, après coup,
qu’il est des silences qui peuvent paraître des oublis,
mais qui ne sont que des limites à l’inventaire. Par exemple,
dans la brochure 2003, nous n’avons pas signalé la naissance
de Jean Cavaillès (1903-1944) alors que celle d’autres
philosophes l’était. Jean Cavaillès, -normalien,
mathématicien, logicien, novateur comme Albert Lautman et, comme
lui, résistant, exécuté par les nazis au début
de 1944. Cette présentation m’est l’occasion, qui
peut être jugée abusive, de réparer cet oubli :
notre règle du -cinquantenaire et du centenaire interdirait en
effet de marquer ce que la date de 1944, soixante ans après,
évoque dans la mémoire citoyenne vécue, pour peu
de temps encore sans doute, l’ultime rappel des résistances,
du pouvoir de dire non.
Chaque année donc, le Haut comité retient des dates. Ces
dates sont mises en formes et mises en pages, simplement mentionnées
ou accompagnées de textes demandés à ceux et à
celles qui aiment partager leur savoir. Autant de signes proposés,
repères factuels, occasions de rêveries, de savoirs réinvestis
qu’accompagne une iconographie exigeante et que complètent
les orientations bibliographiques.
2004 : nous voici vraiment entrés dans le XXIe siècle,
et chacune de nos références habituelles recule d’un
cran, comme les aiguilles d’une montre que l’on retarde
pour la remettre à l’heure. Le XIXe siècle n’est
plus le siècle d’avant, le XXe siècle n’est
plus tout à fait le nôtre. Membre du Haut comité,
je me sens libre de rêver sur la naissance de Pétrarque
(1304) qui fut au Mont Ventoux, sur le Traité du triangle arithmétique
de Pascal (1654), sur le travail d’Antoine Galland entreprenant
en 1704 la traduction des Mille et une nuits, sur la cession au gouvernement
indien de Chandernagor, Karikal, Mahé, Pondichéry en 1954,
l’année même où Pierre Boulez créait
le domaine musical, et sur tant d’autres dates …
Mais il n’est pas question d’oublier en rêvant la
« pédagogie civique » ni de commémorer sans
comprendre. La célébration de deux bicentenaires peut
en être l’illustration. 1804, le 1er juillet, naissance
d’Aurore Dupin, future George Sand ; 1804, le 2 décembre,
sacre de Napoléon, Empereur des Français, à Notre-Dame
de Paris. Le rapprochement des dates peut prêter à sourire.
D’un côté, l’homme qui a « changé
le monde », entre génie militaire et paternité du
Code civil, entre autres institutions, despote sans doute, mais aussi
père des nations européennes et des nations hors d’Europe.
De l’autre, la romancière infatigable, la femme libre aux
passions fortes, aux amitiés viriles, au militantisme -républicain.
Rien d’autre que le hasard d’une date ne les réunit
ici. Napoléon en finit avec la Révolution, pour parler
comme Tocqueville, et fonde notre modernité. Lorsqu’il
meurt à Sainte-Hélène, Aurore Dupin a quinze ans
et sa conscience politique sera forgée par les trois dates qui
ponctueront le XIXe siècle français et européen,
1830, 1848, 1870.
Dans cette brochure, donc, une même date et deux types de commémoration
:
– un cahier spécial, inséré dans le volume
2004, reprend tous les grands événements intervenus dans
la période où Napoléon a exercé le pouvoir.
Des articles déjà publiés rappellent les réformes
décidées à partir du 18 brumaire, la relative pérennité
de nombre d’institutions, les images impériales et l’évolution
de la mythologie napoléonienne depuis deux siècles. La
date ponctuelle est l’occasion du rappel de la durée, qui
est le temps de l’histoire comme du politique.
– un texte de Michelle Perrot consacré à George
Sand, morceau d’anthologie, hommage d’une femme à
une femme qui a fondé le féminisme
à la française, dans la reconnaissance
de l’autre sexe, dans l’indépendance et l’égalité
obtenues, revendiquées par le travail et le militantisme. George
Sand, héritière de la liberté des Lumières,
mais aussi figure de la modernité jusque dans son attachement
à la terre berrichonne et à ses habitants, de Nohant à
Gargilesse… Une année George Sand se prépare, comme
il y eut une année Victor Hugo et Alexandre Dumas.
Il y a plusieurs manières de comprendre, mais aussi de rêver
autour des dates, des noms, des mots. Autant d’itinéraires
qui parfois se dessinent au fil des pages, dans la contrainte du nombre
quatre. En 1904, c’est la cassation du -procès de Rennes
; c’est aussi d’Émile Guillaumin La
vie d’un simple, un des livres de référence
de Daniel Halévy : nous voici entraînés en Bourbonnais,
près des sabotiers de la Forêt de Tronçais et du
Berry proche que George Sand évoquait dans Les
Maîtres sonneurs.
Mais ceci est une autre histoire…
Claire Salomon-Bayet
professeur émérite
université Paris I, Panthéon-Sorbonne