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programme des manifestations
Que se passe-t-il en 1704 ? Oh, presque rien : un livre qui paraît,
parmi d’autres. Celui-là pourtant va d’emblée
s’imposer comme un formidable et constant « best-seller
» de la littérature universelle. Et plus encore : comme
une source inépuisable d’imaginaire, de rêves,
de fantasmes et même de modes ou de slogans. Mille et un :
le chiffre en soi, déjà, exalte ; et quand on y ajoute
nuit…
C’est à Antoine Galland que nous devons cette découverte.
Il la tient d’un manuscrit reçu de Syrie, il se met
à l’œuvre, et l’aventure des Mille et une
Nuits commence : le premier volume de la traduction, en 1704, est
suivi de six autres jusqu’en 1709. Est-ce la fin ? Non pas.
À ce manuscrit incomplet, Galland ajoute en recueillant de
la bouche d’un Maronite d’Alep, Hanna, d’autres
contes, et la publication repart de plus belle : quatre volumes
entre 1712 et 1717, cette dernière date suivant, de deux
ans, la mort de Galland.
On a peine à imaginer le succès de cette découverte.
Les premières traductions apparaissent chez un libraire londonien
dès les années 1705-1706, puis à Dublin, Manchester,
Édimbourg, Liverpool, Glasgow. Les Mille et une Nuits sont
en Amérique et en Australie dès la fin du siècle.
Sous la traduction de Galland ou d’autres, elles touchent
aussi l’Allemagne, l’Espagne, la Pologne, l’Italie,
le Danemark, la Russie… L’aventure est sans fin, jusqu’à
nos jours, dans tous les pays du monde ou presque.
On connaît l’histoire, celle de la petite princesse
Shahrâzâd, qui prend le pari, en dévidant de
nuit en nuit une foule de contes, de faire oublier à un roi
pervers et son infortune conjugale et sa décision, prise
dans la colère, de coucher chaque nuit avec une femme qu’il
fera tuer au matin. Mais que sait-on de -l’histoire même
de ce texte ? D’origine indo-persane sans doute, il est connu,
dans une version arabe, au IXe siècle de notre ère,
attesté par des témoins confirmés au siècle
suivant, et puis il disparaît de l’horizon officiel
des lettres arabes tout en continuant de se transformer, par suppressions
ou adjonctions continues, jusqu’au XVIe siècle. Phénomène
fascinant que celui d’un texte tenu en lisière dans
les cercles de l’érudition ou de la littérature
savante, sérieuse, ou du moins estampillée comme telle,
et qui n’en continue pas moins, comme en une vie parallèle,
de foisonner, de se chercher toujours d’autres champs de rêve,
le tout pour ne rien dire de l’éminente disponibilité
à ce franc parler qui trop -souvent échappe, justement,
aux littératures officielles.
Ce serait, à tout prendre, comme une emblématique
de nos temps, du nécessaire dialogue entre civilisations,
que la résurrection d’un texte arabe à la voix
de l’Europe. Et l’occasion de rendre justice à
un homme d’exception et trop mal connu. Galland, si l’on
y regarde bien, est un peu à l’image de cette œuvre
qu’il nous fit découvrir ; modeste il fut, ô
combien, et le resta : né dans une famille de petits paysans
de la Somme, il en garda, toute sa vie, une extraordinaire humilité.
Spécialiste d’histoire, de manuscrits anciens, de langues
orientales et de monnaies, habitué de la Bibliothèque
royale, Antiquaire du roi, Académicien et, pour finir, lecteur
au Collège royal (nous dirions aujourd’hui : professeur
au Collège de France), Galland eut beau être chargé
de mission en Orient, côtoyer quelques-unes des plus hautes
personnalités de la politique, des lettres ou de la science,
il n’en resta pas moins jusqu’au bout fidèle
à cette humilité foncière qui lui tenait lieu
de vie, presque aux limites parfois, de la pauvreté.
Son Journal témoigne de sa passion
du savoir et de la vérité. La seule ? Pas si sûr.
On se plaît à rêver pour lui, trois cents ans
après, d’une joie suprême qui eût confondu
celles de la recherche et du plaisir, tout simplement. N’en
doutons pas : ces Mille et une Nuits dont nous lui sommes redevables
auront illuminé sa dernière présence au monde.
Même si, modeste comme il le fut toujours, il ne savait pas
qu’avec sa trouvaille, il se parait pour nous d’un des
noms les plus beaux : celui d’inventeur.
André Miquel
professeur honoraire au Collège de France
Double page du manuscrit arabe
(XIVe siècle, env.) d’après lequel
A. Galland a fait la traduction française
des Mille et une nuits
Bibliothèque nationale de France
département des manuscrits (manuscrits orientaux)
© cliché Bibliothèque nationale de France