Chaque année, la DRAC accompagne des plasticiens et plasticiennes via l’allocation d’installation d’atelier et achat de matériel (AIA). Les parcours des artistes femmes étant globalement plus difficiles que ceux des hommes, cette aide peut être un des leviers de l’égalité.
Frédérique CHARRY-PETIT
Dans votre parcours d’artiste, en tant que femme, avez-vous rencontré des difficultés, des obstacles particuliers ?
J’ai commencé mon activité dans les années 70, en autodidacte. Et ayant eu une enfant très jeune, à 20 ans, j’étais obligée de faire des petits jobs en parallèle, malgré mon désir très grand de m’exprimer par mon art. J’ai quand même pu exposer assez vite, dans les années 80. Et ça, c’était formidable. Sauf que vu ma situation familiale et financière, j’ai dû continuer de me débrouiller à faire mon activité artistique par intermittence. Donc disons que… Je ne peux pas dire qu’on m’ait empêchée, mais malgré tout, le fait d’avoir un enfant, ça m’a freinée. Mais en même temps je n’ai jamais perdu le fil, c’est le cas de le dire puisque je travaille beaucoup avec le fil. Et j’ai toujours travaillé tant bien que mal.
Vous avez bénéficié deux fois de l’AIA. Qu’est-ce qui vous a amenée à déposer ces demandes ?
J’avais déjà un atelier, mais j’avais le désir de développer des projets plus importants, des projets de sculpture. Et là, l’espace n’était pas suffisant : j’ai donc fait cette tentative. Et c’est génial parce que j’ai pu avoir cet atelier qui me permet vraiment de travailler dans des conditions idéales. Le fait d’avoir l’aide, c’est formidable, c’est un soutien matériel. Mais il y a aussi le fait d’avoir un regard, d’avoir l’attention portée à son travail. Surtout quand on n’a pas de galerie, quand on se sent parfois un peu en marge, isolée. Donc, en plus de cette aide matérielle, il y a aussi ce soutien moral qui est très important.
Lien : http://www.frederiquepetit.com/index.html
Manon TRICOIRE
Comment votre genre impacte-il votre travail ?
J’ai pris conscience de l’impact que ça peut avoir d’être une femme pendant mes études. Il n’y avait presque que des enseignants hommes, et on était beaucoup plus d’étudiantes que d’étudiants. Les allusions sexuelles, les gestes déplacés étaient fréquents. J’ai aussi entendu régulièrement que mon travail était « trop féminin », alors que l’on reproche rarement à un homme de faire un travail trop masculin… De manière générale, l’expérience d’être une femme dans la société, ça impacte aussi notre parcours d’artiste femme. Parce que moi, je n’avais pas été éduquée à la compétition, ni à l’ambition. Et puis, je suis mère de deux enfants. Et la maternité là-dedans, c’est un choix difficile : à cause de la précarité, du fait qu’il faut pouvoir être ultra mobile et disponible. Les conditions sociales et économiques qui nous sont imposées sont grandes, mais la fragilité psychique dans nos métiers n’est pas vraiment reconnue. J’ai pris conscience aussi, que les hommes, on les assigne à réussir professionnellement, à être performants. Et à l’inverse, on autorise les femmes à penser qu’elles doivent se sacrifier pour leur famille, qu’elles peuvent faire le sacrifice de leur carrière.
Afin de développer votre travail artistique, vous avez sollicité l’aide de la DRAC pour l’achat d’un four dédié à la cuisson des céramiques. Où en est ce projet ?
Depuis la naissance de mon fils, je n’ai plus d’atelier : la pièce que j’occupais a été transformée en chambre. On devait faire des travaux dans une dépendance pour créer un espace de travail, mais on a eu des problèmes avec le permis de construire, et le coût de la rénovation a été multiplié. Mais ce qui est positif, c’est que les travaux viennent de commencer. Je vais enfin avoir un espace de travail à moi dans lequel je vais pouvoir installer mon four.
Liens : https://www.reseaux-artistes.fr/dossiers/manon-tricoire
Elisabeth WADECKI
En tant qu’artiste femme, y a-t-il des difficultés spécifiques auxquelles vous avez été confrontée ?
Dans le fait même de créer, je ne me suis jamais sentie reléguée par rapport aux hommes. Par contre, je trouve que les facilités et le regard de la société n’est vraiment pas le même que si j’étais un homme. Les hommes artistes, on leur ménage du temps à leur convenance pour qu’ils travaillent comme ils l’entendent. Et moi, je trouve qu’en tant qu’artiste femme, je n’ai jamais ce regard-là, de se dire « elle a besoin de tout son temps pour travailler, c’est une nécessité ». C’est plutôt « non, mais de toute façon, tu aimes ce que tu fais ». Donc, il faut tout gérer et je trouve ça particulièrement injuste.
Vous avez bénéficié d’une AIA en 2020. Que vous a-t-elle apporté ?
J’étais trop coincée par la petitesse de l’espace que j’avais et mon travail s’en ressentait. J’avais besoin d’élargir mon geste, d’avoir de la place pour faire des grands formats. Et puis, ras le bol de travailler sous la pluie, dans le vent. Ce n’était plus possible.
J’ai perdu ma maman l’année dernière, et j’ai eu des sous pour aménager une dépendance. Mais pas assez pour les travaux : il me fallait une petite aide. Ça a été l’occasion de réaliser ce rêve entièrement seule. Je voulais que ce soit MON projet en tant qu’artiste femme, ce que j’ai défendu dans le dossier que j’ai envoyé à la DRAC. Je suis dans mon atelier depuis janvier, et c’est absolument fabuleux. C’est l’aboutissement d’une vie professionnelle. Mais c’est un aboutissement qui ouvre, ce n’est pas un point final. C’est l’ouverture vers une autre pratique : un souffle, une respiration, de la liberté, de l’aisance.
Lien : www.elisabeth-wadecki.com
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