- Comment définiriez-vous la culture et les politiques culturelles mises en œuvre ou soutenues par l’État en Hauts-de-France ? Appellent-elles, selon vous, des manières spécifiques et régionales de faire vivre les politiques culturelles dégagées par le ministère de la Culture ?
Georges-François Leclerc : " La culture participe de l’identité de la région Hauts-de-France et constitue également une opportunité de valorisation des territoires. C’est aussi une politique publique à part entière, un vecteur de développement et d’attractivité.
Marquée par son passé industriel, la région dispose d’un patrimoine hérité du XIXe siècle qu’elle a investi pour en faire un atout. Le Bassin minier du Nord – Pas-de-Calais est inscrit sur la liste du patrimoine culturel et naturel mondial de l’Unesco depuis le 30 juin 2012. L’année passée, nous avons également célébré le dixième anniversaire du Louvre-Lens, qui, implanté au cœur de cet ancien bassin minier sur le site d’une ancienne fosse, accueille une partie des collections du musée du Louvre. N’oublions pas également que la région a été le théâtre de plusieurs batailles au cours des deux conflits mondiaux du XXe siècle. C’est notamment dans l’Oise, en forêt de Compiègne, qu’a été signée la convention d’armistice entre les Alliés et les Allemands le 11 novembre 1918.
Six monuments nationaux sont situés dans les Hauts-de-France. La cathédrale d’Amiens (Somme), fleuron d’art sacré gothique, la cathédrale de Beauvais, au destin tragique, le château Renaissance de Villers-Cotterêts, le château de Pierrefonds dans l’Oise, reconstruit au XIXe siècle par Viollet-Leduc, le château-fort de Coucy dans l’Aisne, la colonne de la Grande Armée à Wimille, monument commémoratif situé à Boulogne-sur-Mer dans le Pas-de-Calais et, enfin, la Villa Cavrois à Croix (59), manifeste de l’architecture moderniste du XXe siècle signé par Mallet-Stevens.
L’État est propriétaire de cinq cathédrales en Hauts-de-France, à Amiens, Arras, Beauvais, Soissons et Cambrai. Toutes sont concernées par le plan sécurité-cathédrale dont l’annonce récente de l’amplification a été faite par la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, à l’occasion d’un déplacement à Amiens.
Enfin, rappelons Jules Verne qui nous a fait rêver enfants, Matisse, Condorcet, Camille et Paul Claudel, Jean de la Fontaine, Marguerite Yourcenar, Alexandre Dumas ! La région a vu naître ou s’installer de nombreuses personnalités qui ont marqué l’histoire des arts et de la culture dont les demeures, préservées et restaurées, bénéficient du label Maison des Illustres.
Avec 5 000 sites, la région rassemble 7 % de l’ensemble des lieux et équipements culturels nationaux. Le Nord est le département le mieux pourvu et rassemble un peu plus d’un tiers (36 %) des équipements régionaux ; le Pas-de-Calais en rassemble le quart, et les trois départements de Picardie se partagent le reste. S’agissant des équipements, j’aime rappeler que plus de 1 200 établissements de lecture publique, les bibliothèques, médiathèques et autres points de lecture représentent près des deux tiers des équipements culturels. Plus de la moitié d’entre eux sont en ruralité. Tous ces lieux maillent le territoire et forment premier réseau culturel de proximité. Ils portent un enjeu particulièrement sensible dans la région : l’accès aux livres et, surtout à la lecture.
Enfin, la culture, c’est également un secteur d’activité, avec en Hauts-de-France un peu moins de 30 000 actifs qui déclarent une profession culturelle au titre de leur activité principale : les professionnels des arts visuels et des métiers d’art rassemblent plus d’un tiers de ces professionnels, les artistes, cadres et techniciens du spectacle près d’un autre tiers (30 %). Avec le Fresnoy à Tourcoing, nous avons dans la région une école exceptionnelle qui est à la fois une institution de formation, de production et de diffusion audiovisuelles, artistiques et numériques.
Je veux rappeler qu’à Cambrai et au Cateau-Cambrésis, nous avons des traces exceptionnelles de l’art baroque ; une rareté en France.
Mais au-delà de ce panorama technique, j’aimerais insister sur un point : il y a dans les Hauts-de-France une manière de « faire » avec les habitants, pour les habitants. Cette manière considère la culture populaire comme la culture savante, la fête comme la contemplation, l’éducation comme le divertissement, les émotions comme les savoirs."
- Quelles sont les priorités fixées en matière culturelle dans la région Hauts-de-France ? Quelle place prend, selon vous, la culture dans la cohérence, l’efficacité et la pertinence de l'action de l'État dans la région ?
Georges-François Leclerc : " En région, l’État œuvre – souvent de manière discrète – pour préserver un patrimoine d’une très grande richesse et qualité dans les Hauts-de-France : les 3000 monuments protégés au titre des monuments historiques qui façonnent nos villes et nos villages. Son action a également pour vocation de stimuler la création dans la région, de mettre en valeur les œuvres de l’art et de l’esprit, en soutenant notamment, celles et ceux qui en sont les auteurs, les artistes.
Le fait qu’1/6ème de la population de la région se trouve sous le seuil de pauvreté influe profondément la conduite des politiques publiques dans les Hauts-de-France. Des zones d’intervention prioritaires ont été circonscrites, auxquelles la DRAC apporte son expertise et son concours, en relation avec les autres services de l’État.
J’en suis convaincu : l’action culturelle est déterminante dans son rôle de cohésion sociale et de lutte contre les inégalités, dans sa capacité à permettre aux habitants, et je pense aux plus jeunes, de s’émanciper. Elle est un vecteur d’épanouissement collectif et subjectif, autant que de citoyenneté. La politique culturelle est un politique d’impact social, éducatif, économique aussi. Cela se vérifie dans notre région : l’effet levier rapide en termes d’investissement public est particulièrement efficient dans les Hauts-de-France, notamment au bénéfice des populations les plus précaires.
En partenariat et en complémentarité avec les collectivités, l’État investit le champ de la culture et veille à son accès à tous les publics mais aussi sur tous les territoires de la région. Aussi menons-nous une politique volontariste territorialisée dans le Bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais avec l’ERBM (Engagement pour le renouveau du Bassin minier) et le territoire de Sambre-Avesnois-Thiérache (SAT), avec des territoires qui ont besoin d’investissements publics très importants. Je suis de plus très attentif au rééquilibrage nécessaire entre la partie septentrionale (ex Nord-Pas-de-Calais) et le Sud Picard. La DRAC y est particulièrement attentive et engagée : l’implantation de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts en 2023 dans un département (l’Aisne) qui connaît un taux d’illettrisme deux fois supérieur à la moyenne nationale, donne un exemple de la responsabilité de l’État culturel à réussir son ancrage territorial. C’est un des « grands chantiers » voulu par le président de la République.
La politique contractuelle très volontariste de la DRAC avec les collectivités territoriales, maintient voire renforce une présence forte au plus près des habitants (contrat Culture-Ruralité, contrats locaux d’éducation artistique, contrats Territoire-Lecture...). J’aimerais également souligner notre effort résolu en faveur des actions culturelles en quartier politique de la ville : environ 300 000 euros y sont consacrés en 2022 par la DRAC.
Enfin, nous avons de grands projets à mener ou à accompagner dans les Hauts-de-France. Le Canal Seine-Nord Europe en est un : s’ils portent des enjeux économiques et commerciaux majeurs, il est également un chantier de fouilles archéologiques totalement hors-norme. L’implantation à Amiens du Conservatoire national de la presse et du centre de conservation des collections de la Bibliothèque nationale de France (BnF) donne un élan renouvelé à cette centralité culturelle rayonnante."
- Pour finir, quel événement, lieu ou moment culturels rencontrés dans les Hauts-de-France vous ont-ils marqué ?
Georges-François Leclerc : " Ce qui me marque le plus, ce sont les formes urbaines du Nord et du Pas-de-Calais. Je suis sans cesse emporté par la qualité du patrimoine de la région, dont je découvre chaque jour un nouveau détail, une nouvelle émotion, une nouvelle perspective. Mes fonctions m’offrent de sillonner nos cinq départements et d’avoir la chance de rencontrer de nouveaux tableaux urbains, ruraux, maritimes, monumentaux ou paysagers. Des attaches familiales à Amiens m’amènent probablement à porter un grand attachement à la ville, à sa poésie propre, à sa cathédrale, à la Tour Perret. Ils constituent ma géographie personnelle ; j’y ajouterai les rivages de la Manche, où, enfant, je passais mes mois de juillet.
L’ébullition culturelle de cette région rythme également avec un certain bonheur mon agenda – du festival des Nuits secrètes à Aulnoye-Aymeries à la Villa Cavrois, de la chapelle des jésuites à Cambrai aux églises fortifiées de Thiérache. La semaine passée, j’ai assisté au dévoilement de La Dentellière de Vermeer prêtée au Louvre-Lens par le musée du Louvre. Rien, si ce n’est lui faire face, la contempler directement, ne permet de mieux rendre son génie méticuleux."
Propos recueillis le lundi 3 juillet 2023.
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