Un classement attendu
Sur les quatre "chalets Prouvé" qui subsistent à Saint-Auban, deux, installés au 3 et 9, rue de la Colline viennent d'être classés au niveau national par le ministère de la Culture. Depuis 2002, ils étaient inscrits au titre des Monuments Historiques. Ce classement est une véritable opportunité pour deux raisons :
- désormais, la préservation de ce patrimoine national pour les générations futures sera prévalente;
- ce sont les premiers et seuls bâtiments contemporains du département à avoir obtenu ce classement dans les Alpes-de-Haute-Provence
La mairie de Château-Arnoux-Saint-Auban a acquis en 2020 le « chalet » du n°3 dans le but de le restaurer et de le faire visiter en petits groupes aux amateurs d’architecture. Quant au n°9, il a été acheté en 2021 par un propriétaire privé, amateur d’« architectures signatures » - soucieux également de restaurer ce bien et de le mettre en valeur.
Un projet innovant alliant modernité et tradition
Ces survivants du « lotissement de la colline » à Château-Arnoux-Saint-Auban ont été édifiés pour les ingénieurs de l’usine chimique AFC -dépendant du Groupe Péchiney- maisons préfabriquées et démontables conçues dans un esprit « chalet », construites en pleine Seconde Guerre mondiale, entre 1940 et 1943.
Dans un contexte de pénurie liée à la guerre et de difficulté d’acheminement des matériaux, ces pavillons en nombres d’exemplaires limités, ont été commandés au Bureau Central de Construction (BCC). Ils incarnent une approche moderne de l'habitat, conjuguant préfabrication et matériaux locaux, comme le bois et les galets de la Durance.
A l’intérieur du pavillon de 64 m2, conçu pour accueillir une famille de quatre personnes, le bois est omniprésent. Les fenêtres sont à guillotine, les volets coulissants, l’aménagement est pratique, original, confortable, l’espace est optimisé et modulable. Les trois chambres sont distribuées autour d'un séjour, d'une cuisine et de sanitaires. Dans la pièce principale trône le compas en bois qui maintient une poutre faîtière sur laquelle sont articulés les deux pans de toiture.
La collaboration de trois figures majeures de l'architecture du XXe siècle
Trois personnalités inventives et inspirées ont collaboré sur ce projet.
- Jean Prouvé : L’ingénieur-constructeur Jean Prouvé développa un système constructif novateur breveté dès 1939, basé sur un portique central rigide permettant de créer des structures solides et une circulation fluide.
- Pierre Jeanneret : L’architecte Pierre Jeanneret approfondit, via ce projet, ses recherches initiées avant-guerre avec son cousin Le Corbusier sur l’habitat minimal, économique et fonctionnel. Les pavillons de Saint-Auban, inspirés des maisons Loucheur de 1929, présentent ainsi un plan carré (trame modulaire 8X8 cm) de 64 m² de planchers, conçu pour trois chambres distribuées autour d’un séjour, d’une cuisine et de sanitaires. L’espace intérieur est optimisé et modulable grâce à des cloisons et claustras coulissants.
- Charlotte Perriand : L’architecte-designer Charlotte Perriand fut chargée de dessiner le mobilier destiné à équiper ces pavillons livrés « clef en main ».
Les maisons préfabriquées à portique BCC F 8X8, bien que fragiles et non conçues pour durer, sont un témoignage de l’expérimentation constructive qui s’est poursuivie durant la guerre.
Au delà de l'aspect bâti, ce projet est une ode à l’amitié qui unit Pierre Jeanneret et Jean Prouvé. L’un, architecte, est animé par sa passion pour la construction et la mécanique, tandis que l’autre, constructeur, crée des objets techniques à la fois fonctionnels et esthétiques. Cette ingéniosité renvoie à la faculté d’adaptation des deux hommes.
Elles illustrent à la fois la fascination pour la modernité, la référence au mécano industriel tout en se revendiquant aussi de l’artisanat traditionnel et populaire. Ces constructions préfigurent encore les pavillons destinés aux sinistrés de Lorraine (1944), le chantier expérimental de Meudon (1949) et toutes les maisons à portiques ultérieures de Prouvé.
Des pavillons analogues, très prisés des amateurs d’architecture, sont régulièrement exposés dans les foires d’art contemporain et mis en vente par des galeries. La chance de Château-Arnoux-Saint-Auban est d’en avoir conservé en situation, dans leur implantation paysagère d’origine.
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