Table ronde SACD-SCAM : financement de la création et rôle des chaînes de télévision
M. le président de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, cher Patrick BLOCHE,
M. le sénateur, cher David ASSOULINE,
Mme la présidente de la SACD, chère Sophie DESCHAMPS,
Mme la présidente de la SCAM, chère Julie BERTUCCELLI,
M. le président de France Télévisions, cher Rémi PFLIMLIN,
M. le secrétaire général de Canal +, cher Laurent VALLEE
M. le president d’EuropaCorp Télévision, cher Thomas ANARGYROS
M. le président du Fipa, cher Didier DECOIN
Chers amis,
On attend de notre pays un sursaut créatif à la mesure du sursaut citoyen qui a fait de la France un symbole de la liberté et de la culture. C’est donc un très grand plaisir pour moi d’être parmi vous aujourd’hui, pour évoquer l’importance de la création et de son financement. J’ai écouté vos échanges ce matin avec beaucoup d’attention.
Dès mon arrivée au ministère de la culture et de la communication, j'ai fait du soutien à la création une de mes trois priorités, avec l'excellence et le rayonnement, et l'accès de tous à la culture.
Comme vous, je suis convaincue du rôle éminent que la télévision doit y jouer :
Parce que la créativité est l’une de forces de la France dans le monde ; il y a un « désir de France », la reconnaissance internationale d’une « patte française » sur l’ensemble des secteurs de la création ;
Parce que l’audiovisuel peut être un secteur d’excellence pour la France, capable de créer des emplois pérennes et de la croissance ;
Parce que la télévision est un média universel et populaire ; qui reste pour beaucoup la principale porte ouverte sur la culture ;
parce qu’elle est un facteur essentiel de rassemblement national, un lieu où se construisent et se diffusent notre culture et nos valeurs.
Après les événements qui nous ont tous marqués au plus profond de nous-mêmes, ces enjeux sont d’autant plus forts :
- A travers la liberté d’expression et de création, c’est la culture qui a été touchée,
- Parce que la culture est une résistance à la peur, à l’obscurantisme, à la division, c’est par elle que nous devons répondre au défi lancé à notre République
- Car c’est par la culture que nous pouvons recréer une conscience collective, un horizon d’avenir commun et des valeurs partagées, tout en faisant vivre nos débats.
Notre politique audiovisuelle est forte : elle s’appuie sur des aides, des mécanismes d’intervention innovants tous dirigés vers la création française, avec la nécessaire diffusion de cette création. A un peu plus d’un milliard d’euros, je le dis avec force, il s’agit d’une politique véritablement ambitieuse, qui est aujourd’hui confrontée à une révolution, celle du numérique et de la mondialisation, à laquelle il faut répondre. L’apparition de nouveaux acteurs peu voire pas régulés, la multiplication des manières d’accéder aux œuvres, beaucoup plus mobiles, individuelles, un choix qui devient presque infini - tout cela bouleverse l’environnement qui est le nôtre tout en créant de formidables opportunités. Et, même si la situation s’est améliorée :
- force est de constater que la France est l’un des rares grands pays de création où la fiction américaine rencontre encore régulièrement plus de succès que la fiction nationale ;
- force est de constater, également, que la présence de nos œuvres à l’international reste encore limitée, surtout au regard de notre extraordinaire potentiel !
Nous devons nous donner les moyens de faire mieux. Mon ambition, c’est de faire de la France la championne de la création et de l’innovation audiovisuelle. La championne de la fiction, genre créatif pour lequel un marché international considérable s’ouvre, et dans lequel la France doit tirer son épingle du jeu. Genre dans lequel elle doit briller, à la hauteur de nos talents et de notre force créatrice.
Pour cela, nous devons travailler sur toutes les facettes du financement de la création, sans tabou. Fin 2013, le Parlement a souhaité introduire une première modification. Il faut que celle-ci entre en vigueur rapidement, mais nous devons également conduire un travail plus global de réforme.
C’est pourquoi le projet de décret dit « production » dont je vais saisir le Conseil d’État pour une publication rapide, est resserré sur la seule question des parts de coproduction et de l’encadrement des mandats, conformément à la volonté du législateur.
Dans ce texte, le Gouvernement a tenu compte des observations du CSA. Les chaînes bénéficieront d’un assouplissement avec la possibilité de détenir des parts de coproduction lorsqu’elles financent à plus de 70% une œuvre, et les producteurs conserveront les mandats de commercialisation des œuvres qu’ils produisent lorsqu’ils disposent d’une capacité de distribution permettant de les exploiter. Mais, vous le savez, cette modification ne permet pas à elle seule de répondre à l’ensemble des problématiques soulevées par la révolution numérique. J’ai donc d’ores et déjà engagé avec mes services un travail plus complet de réforme, articulé autour de trois axes stratégiques :
- soutenir la création, et en particulier la jeune création ;
- favoriser le rayonnement et l’attractivité de notre pays ;
- mieux partager le risque.
En tout premier lieu, je souhaite rappeler mon attachement aux obligations d’investissement des chaînes de télévision dans la création. Pas par habitude, ou parce que ce serait un totem. Mais parce que je crois que c’est en investissant dans la création française que nous pourrons répondre aux défis de la mondialisation et des évolutions des pratiques du public, notamment les plus jeunes. C’est parce que je suis aussi convaincue que la création française, c’est pour les diffuseurs français, le moyen de différencier leur offre de programmes de celle des géants du net. La création française est spécifique, parce qu’elle développe une vision d’auteur sur le monde, différente, complexe, avant-gardiste.
C’est pour cette raison que nous avons mené un combat pour l’exception culturelle : pour permettre que cette diversité existe.
Nous avons d’ores et déjà pris des mesures pour mieux soutenir la création :
- pour la fiction, en accentuant à partir de 2014 les efforts en faveur de l'écriture et du développement ;
- pour le documentaire, avec le recentrage du soutien géré par le CNC sur les œuvres les plus ambitieuses, proposant le point de vue d’un auteur – cette réforme, qui vient d’entrer en vigueur, vous a été présentée hier dans le détail ; elle porte une véritable ambition culturelle pour ce genre ;
Je souhaite que ce travail soit poursuivi, et notamment sur l’animation : le CNC travaille à une amélioration du dispositif de soutien, et j’ai demandé à sa présidente, Frédérique Bredin, que soit prise en compte dans cette réflexion la nécessité de mieux valoriser la création et notamment le travail des auteurs de langue française. L’ensemble de ce travail sera achevé avant l'été. De façon générale, dans un environnement où nous sommes saturés de propositions, nous devons mieux soutenir l’innovation et la prise de risque éditoriale, développer davantage l’offre numérique, y compris en proposant des formats spécifiques. France Télévisions, premier partenaire de la création audiovisuelle, a là-dessus un rôle central à jouer, comme aiguillon de la création et des industries culturelles. Dans la plupart des pays, le service public a impulsé le renouveau créatif de la fiction – au Royaume-Uni, dans les pays nordiques. Je serai très attentive à ce que l'audiovisuel public continue à jouer son rôle moteur essentiel pour la création, et tienne toute sa place en faveur de l'innovation, de l'audace et du renouvellement des talents, en particulier en fiction. Ce sera l’un des enjeux du travail conduit en ce moment, à ma demande, par les services de l’Etat sous la coordination de Marc Schwartz, pour redéfinir les grandes missions de France Télévisions, avant la désignation par le CSA de la prochaine présidente ou du prochain président.
Mais j’aurai l’occasion d’en dire davantage courant février, car, vous le savez, la question des missions du service public comporte plusieurs enjeux plus que jamais déterminants dans notre société. De même, il faut s’interroger sur le rôle des aides du CNC pour favoriser le renouvellement créatif. La création du « web-cosip », la réforme de la fiction en 2012, vont dans le bon sens, mais plus généralement il faut sans doute se demander si ces aides ne pourraient pas davantage accompagner la prise de risque.
Le soutien à la création passera également par la défense du droit d’auteur, qui est le socle de la création et de notre politique culturelle. Vous le savez, j’ai une ambition européenne forte pour le droit d’auteur, à la hauteur de l’importance de la culture pour le projet politique européen. La France peut – et doit - faire progresser le débat européen pour le rapprocher des vrais enjeux et le prémunir des fausses bonnes idées.
J’ai d’ores et déjà dégagé quatre priorités, que j’ai eu l’occasion de vous présenter il y a moins de dix jours, dans le cadre de l’événement que j’ai consacré au droit d’auteur :
- la rémunération de la création et le statut des intermédiaires techniques ;
- la mise en œuvre effective du droit d’auteur et des droits voisins ;
- la portabilité des contenus et de l’interopérabilité des formats ;
- la question de l’accès au savoir et de la participation à la culture.
C’est sur ces quatre priorités que nous devons travailler ensemble, et je sais pouvoir compter sur votre mobilisation.
[2. Favoriser le rayonnement et l’attractivité]
Mon deuxième axe stratégique, c’est de favoriser le rayonnement de la création audiovisuelle française.
(a) mieux soutenir son exportation
Le marché est devenu mondial, avec une demande croissante de programmes originaux pour répondre à la multiplication des écrans et des modes de diffusion. C’est une formidable opportunité pour la création française, qui peut y faire entendre sa différence et son originalité.
Cela implique en premier lieu de mieux soutenir l’exportation. La réforme du soutien au documentaire va dans ce sens, en valorisant pour la première fois le succès à l’exportation.
Je souhaite que l’on étende cette préoccupation à l’ensemble des genres créatifs, et c’est le sens du travail engagé par le CNC sur les aides à l’exportation. C’est un enjeu de rayonnement mais aussi un enjeu économique pour notre création, car le succès de l’exportation permettra d’apporter de nouveaux financements.
C’est enfin évidemment l’enjeu, dans une démarche qui comprend tous les autres domaines dans lesquels brille la création française (le livre, la musique, le jeu vidéo…), de la mission que je viens de confier, avec mon collègue Matthias Fekl, à Isabelle Giordano. Je ne doute pas qu’elle saura emmener avec elle tous nos créateurs vers des succès toujours plus éclatants. C’est évidemment un enjeu pour la vitalité de chacun des domaines concernés, mais aussi, je l’ai dit de rayonnement de la culture française, et c’est à ce titre une question centrale.
(b) développer les partenariats avec d’autres pays
Je souhaite également développer les partenariats avec d’autres pays pour développer les coproductions ou le développement en commun de projets: aujourd’hui il existe un seul accord de coproduction en matière audiovisuelle, avec le Canada. Ce que l’on a appelé le « fonds commun pour le développement de fictions franco-allemandes » est désormais pratiquement finalisé, et permettra dès 2015 d’accompagner la phase d'écriture et de développement de fictions franco-allemande (le moment le plus critique et le plus mal financé). D’autres discussions sont déjà en cours, mais doivent être poursuivies activement, avec le Brésil notamment.
(c) Importance du français
Je sais que le développement de l’export soulève parfois la question de la langue. Les exemples étrangers – la Suède, la Norvège, Israël, la Turquie – la France aussi, avec par exemple Les revenants ! – montrent que quand la créativité et l’excellence sont là, la langue n’est pas un obstacle au succès international. De fait, je crois que la langue est même un aspect essentiel de la diversité culturelle, de la différenciation à laquelle je faisais tout à l’heure référence. Je crois également qu’avec la francophonie, les œuvres françaises ont vocation à toucher un public mondial, en plein développement. J’y suis donc très attachée.
Dans le même temps, il faut aussi se donner les moyens de développer des fictions à forte ambition culturelle, avec une vocation internationale immédiate. Nous avions consulté la profession sur un élargissement de ce que l’on appelle le « couloir européen » pour certains types d’éditeurs seulement. Il s’agit de permettre aux chaînes de télévision d’investir davantage dans des productions en langue étrangère. Cette évolution me paraît nécessaire, peut-être plus globalement d’ailleurs. Mais il faut aussi veiller à la place des auteurs de langue française dans les productions relevant de ce couloir. La culture française passe en effet par ses auteurs : un élargissement doit donc s’accompagner de mesures sur l’emploi et la formation de ces derniers. Ce point fait donc référence au travail plus approfondi que j’ai déjà engagé.
(d) Attractivité
Pour que la France soit une championne de la création audiovisuelle, il faut développer l’attractivité de sa filière. C’est la raison pour laquelle nous avons renforcé fin 2014, avec l’appui des parlementaires, le crédit d’impôt en faveur de l’animation. Et ces modifications faisaient suite aux aménagements du crédit d'impôt national en faveur de séries de fictions coproduites avec l'étranger, qui sont entrés en vigueur début 2014. Ces derniers ont d’ores et déjà porté leurs fruits, avec un nombre grandissant de projets français salués à l'étranger. Je continuerai d’être vigilante pour que la compétitivité de la production française s’installe dans la durée.
[3. Mieux partager le risque]
Mon troisième axe stratégique, c’est le partage des risques. L’architecture actuelle de notre filière audiovisuelle est particulièrement complexe, avec un enchevêtrement de textes très détaillés, un modèle de production peu clair, fondé sur l’indépendance mais dans lequel les diffuseurs assurent un part de financement parfois très majoritaire, notamment pour ce qui est des fictions.Je crois que nous pouvons partager le constat selon lequel ce modèle est devenu trop complexe pour être véritablement à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, et doit être actualisé.Je souhaite conduire plusieurs réflexions sur ce terrain, en lien étroit avec vous tous qui êtes les premiers concernés, et qui devez en être les artisans à mes côtés. Au nombre de ces réflexions, je compte :
- celle de la simplification des textes et d’une meilleure articulation entre réglementation et accords professionnels, afin de rendre les règles plus facilement adaptables et évolutives ;
- celle de la clarification des modèles de production, autour des concepts de producteur délégué et de producteur exécutif ;
- celle de la structuration du secteur, aujourd’hui trop éclaté. D’emblée, je précise que je ne souhaite pas un secteur concentré autour de quelques grands producteurs. Je suis attachée à un secteur diversifié, capable d’innover, de s’adapter rapidement à un monde très changeant, capable aussi de répondre à une demande de programmes très dynamique et de plus en plus variée du fait de l’évolution des pratiques de visionnage.
Mais, tous les rapports l’ont souligné, le nombre de sociétés audiovisuelles a crû très fortement, alors que de nombreux producteurs sont dans une situation financière tendue et que certains d’entre eux ont une activité résiduelle avec, parfois, un seul diffuseur comme client. En confortant le régime de l’intermittence, ce Gouvernement fait un geste fort, essentiel à la survie d’un grand nombre d’entreprises du secteur. Cela implique une plus grande responsabilité de la part des acteurs culturels pour favoriser l’emploi permanent, notamment dans la production audiovisuelle. Cette structuration passe sans doute par un meilleur équilibre entre aides sélectives et automatiques du CNC, à l'exemple de ce qui vient d'être fait pour le documentaire. France Télévisions doit également jouer un rôle important dans ce domaine.
Je souhaite enfin conduire une réflexion sur la transparence : j’ai ainsi demandé au CNC et à la Direction Générale des Médias et des Industries culturelles de mettre en place un groupe de travail pour définir ce que l’on pourrait appeler un « devis type », qui s’attachera notamment à préciser les notions de salaire producteur, de marge, de frais généraux, d’apports en industries. Cela doit également concerner les rendus de compte, qui doivent être normalisés pour clarifier et sécuriser la remontée de recettes. Il ne s'agit pas de jeter de la suspicion sur le secteur, mais de définir un vocabulaire et des pratiques communes et acceptées de tous, qui favorisent l’investissement dans la création. Je souhaite que ce travail, qui sera fait comme je l’ai dit en concertation avec l’ensemble des parties concernées, puisse déboucher sur un accord interprofessionnel. Si des dispositions législatives sont nécessaires, comme pour la filière cinéma, nous prendrons nos responsabilités.
Mon ambition pour le secteur audiovisuel passe par une production indépendante forte, garante de diversité, de prise de risque et d'innovation. Elle ne peut se construire sans les éditeurs de chaînes, dont le rôle dans la diffusion des œuvres françaises et l’accès du public à ces œuvres doit rester central face à la puissance de marché des opérateurs du net. Or, vous le savez, ils sont aujourd’hui dans une situation délicate : le marché publicitaire TV a fortement décru ces dernières années, et les acteurs français sont soumis à la concurrence grandissante d’opérateurs non régulés. Les contraintes budgétaires des diffuseurs sont réelles, et le secteur public n'est pas épargné. Nous devons donc construire ensemble une alliance stratégique entre créateurs, producteurs et diffuseurs pour que la France soit une championne de la création et de l’innovation audiovisuelle. Nous en avons les plus belles compétences, mais nous devons sortir des oppositions systématiques et bâtir ensemble une vision commune de l’avenir. Sur les différents aspects de ce vaste chantier, je souhaite avancer rapidement et mes équipes de la Direction générale des médias et des industries cultures (DGMIC) et du CNC travaillent déjà sur un socle d’évolutions envisageables sur lesquelles vous serez consultés au printemps, pour une mise en œuvre, je l’espère, d’ici l’été. Je voudrais enfin vous dire que la télévision est l’affaire de tous. Elle entre dans le cœur et la vie des Français, suscite les passions, déclenche et nourrit, aux côtés de la presse écrite et de toutes les créations (cinématographique, littéraire, plastique, théâtrale…), les débats de notre société. Elle fait vivre la création et la culture françaises, qu’elle amène dans l’ensemble des foyers français, où qu’ils soient et quels qu’ils soient. Ce lien indéfectible entre l’audiovisuel et les Français est plus que jamais important, parce qu’il permet un apprentissage de la diversité, de la différence, de la liberté, mais aussi de la communauté de valeurs.
Nous devons continuer de porter haut cette ambition. Vous pouvez compter sur mon engagement en ce sens.