Cher Jean-Paul Cluzel,
Pour évoquer cette si riche carrière au service de l’Etat et de l’intérêt général, votre engagement constant au nom de l’égalité des droits entre tous les citoyens, je voudrais rappeler à l'apiculteur que vous êtes, et qui n’a jamais manqué de ravitailler sa ministre de tutelle en miel délicieux produit sur les toits des plus beaux édifices parisiens, cette pensée de Marc-Aurèle : « Ce qui n'est pas utile à l'essaim, n'est pas utile à l'abeille. »
En effet, des cabinets ministériels à la haute fonction publique et à la direction de nos plus prestigieuses institutions culturelles, votre parcours et vos convictions semblent répondre à une vocation profonde de service public et à un sens précieux de l’engagement, au désir de pas renoncer à imprimer la marque de votre personnalité joyeuse, traversée d’éclats de fantaisie, au coeur de l’excellence républicaine de votre cursus honorum de grand serviteur de l’Etat.
Dans chacune des fonctions que vous avez exercées, vous portez une attention toute particulière au décloisonnement qui favorise le mouvement des idées et des initiatives et à la force de proposition de vos équipes. Telle l’abeille, vous êtes aussi une tête chercheuse qui sait repérer les jeunes. Une vision participative et collaborative que n’aurait pas reniée Saint-Simon, l’auteur de La Querelle des Frelons et des Abeilles, penseur de la fluidité et de l’organisation collective.
Abeille plus que frelon, vous avez ainsi toujours privilégié l’esprit d’initiative, l’innovation, la réactivité individuelle et collective, cet « humus intellectuel» comme vous l’appelez, dans lequel s’enracinent les plus beaux projets.
Très tôt, vous cultivez un véritable sens de l’engagement et la conviction profonde que la citoyenneté doit garantir pour tous l’égalité des droits. Votre militantisme se développe sur le campus de l’Université de Chicago où vous étudiez l’histoire de l’art, au coeur de la contestation étudiante et de la lutte pour les droits civiques.
Dans une ville qui est, en 1968, le symbole d’une Amérique en pleine insurrection culturelle et citoyenne, vous êtes le témoin d’un véritable tournant historique où la violence de la répression et la force des revendications embrasent la ville après l’assassinat de Martin Luther King.
Fort de cette expérience bouleversante et radicale et de la victoire des droits civiques, vous avez toujours milité pour la reconnaissance de la diversité et de l’égalité des droits : vous avez été le premier responsable audiovisuel à désigner un délégué à la diversité à Radio France.
C’est aussi au nom de l’égalité républicaine et de la justice, que vous prenez fermement et publiquement position en faveur du Mariage pour Tous et de l’adoption pour les couples homosexuels. Signe de votre militantisme, c’est la Gay Pride que vous choisissez comme date symbolique pour vous marier avec Nicolas Droin, que je salue.
Militant pour l’égalité et la diversité, vous êtes un très grand serviteur de l’Etat. A votre sortie de l’ENA, vous rejoignez l’Inspection des finances avant d’intégrer le cabinet de Jean-François Poncet alors ministre des Affaires étrangères. Directeur de cabinet de Bernard Bosson, Ministre des affaires européennes, vous parvenez à convaincre le gouvernement de l’époque de mettre en place le programme Erasmus qui a durablement marqué des générations d’étudiants européens.
Homme de culture, votre carrière dans la haute fonction publique est indissociable de nos plus belles réalisations culturelles. C’est d’abord l’Opéra de Paris, que vous dirigez aux cotés de Pierre Bergé et Hugues Gall. On ne pouvait imaginer plus parfaites responsabilités pour le passionné de musique que vous êtes.
Carmélites de Poulenc que vous admirez tant décrit avec les accents d’une spiritualité tourmentée que vous ne reniez pas, il me semble, l’attrait d’une vie héroïque qui n’est pas sans analogie avec celle des grands serviteurs de l’Etat. C’est donc presque naturellement, vous qui avez nourri votre goût pour la musique sur les ondes de France Musique, que vous vous mettez ensuite au service de l’audiovisuel public en prenant la tête de RFI puis de Radio France.
Vous employez toute votre énergie, votre charisme et votre remarquable capacité à mobiliser les équipes pour faire de ce fleuron de l'audiovisuel public le premier groupe radiophonique français prêt à entrer avec confiance dans l’ère numérique grâce à des finances solides et un dialogue social apaisé. A la tête de cette maison qui nous est chère, vous avez favorisé l'émergence de jeunes talents qui incarnaient à vos yeux l'avenir du service public de la radio.
Votre volonté de faire bouger les lignes, votre goût pour la photographie, vous jouent parfois des tours et c’est sous les cieux de fer et de verre du Grand Palais, en tant que Président de la Réunion des Musées Nationaux, que vous allez réussir un pari ambitieux : faire de cet établissement public un opérateur culturel majeur ouvert sur le monde. C’est à vous, grâce au soutien de tous vos
collaborateurs que je salue, que l’on doit la fusion réussie de la RMN et du Grand Palais, l’adhésion des équipes au projet et l’ambition renouvelée d’une programmation exigeante.
Mu par la double volonté de favoriser l’audace artistique et les grands projets populaires portés par un modèle économique viable, vous créez simultanément une direction scientifique et une direction des publics. Le succès du Grand Palais tient précisément à cet équilibre entre les expositions qui permettent au public de découvrir les univers foisonnants, vertigineux et profondément originaux d’artistes comme Helmut Newton, Bill Viola, ou Mapplethorpe, et les rétrospectives, comme celle consacrée au grand roman américain d’Edward Hopper, ou plus récemment à Félix Vallotton ou George Braque, qui attirent un large public. Je pense aussi aux Monumenta de Boltanksi, Anish Kapoor, Buren et bientôt Ilya et Emilia Kabakov, un des prochains grands rendez-vous du public et de l’art contemporain.
Ayant à coeur d’allier excellence de la programmation et accès de tous à la culture, vous avez fait du Grand Palais et de la RMN, un des vecteurs privilégiés d’une politique culturelle qui fait la force et la fierté de la France. J'en veux pour exemples votre travail avec les associations du champ social qui vous permet d’accueillir les publics empêchés ou éloignés de la culture mais aussi cette remarquable initiative en milieu pénitentiaire qui a fait des détenus de Réau les commissaires d’une exposition d’oeuvres originales dans les murs de la prison ou votre mobilisation autour du grand projet d’éducation artistique et culturelle. Avec
le projet de rénovation qui ouvre grand les portes du Grand Palais au public, vous portez un véritable projet culturel de service public qui favorise la rencontre de chacun avec l'art sous ses formes les plus exigeantes comme les plus populaires.
Cher Jean-Paul Cluzel, c’est pour l'exemplarité d'une carrière hors pair menée avec un mélange d’anxiété et de bonhommie servi par un sens de l'humour désarmant, pour la constance et la force de vos engagements en faveur de la culture et de la justice, que la République distingue aujourd'hui un de ses plus grands et fidèles serviteurs. A travers elle, ce sont tous les acteurs de la culture, dont beaucoup sont parmi nous ce soir, qui vous rendent hommage. Tous ceux que vous avez conquis par votre charisme, votre précieuse ironie et votre légèreté de ton salutaire, votre formidable rigueur professionnelle, votre sens de l'intérêt général, vos généreux conseils. De chacun et, je me permets de le dire, de moi-même, vous vous êtes durablement attaché l’admiration et l’amitié.
Vous incarnez avec une élégance parfaite ce qui pourrait aujourd’hui être la définition de l’honnête homme du 21ème siècle. Cultivé et précis, éclectique, à l’intériorité profonde et impliqué dans la vie citoyenne autant que professionnelle, cosmopolite et éminemment français, sans que jamais chez vous l’intelligence ne nie la sensualité.
Cher Jean-Paul Cluzel, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Commandeur de la Légion d‘Honneur.