En 2023, suite à une demande de prêt d’un éclat Levallois que la Maison de l’archéologie du Pas-de-Calais souhaite faire figurer dans l’exposition Migrations. Une archéologie des échanges, le musée d’archéologie nationale (MAN) redécouvre l’un de ses dépôts. Il s’agit d’un ensemble exceptionnel de plus de 200 000 objets archéologiques consentis à cette même Maison de l’archéologie il y a plusieurs décennies.
Un site préhistorique majeur dans le nord de la France
Le MAN mène immédiatement des recherches en archives qui permettent de retrouver un courrier d’accord de don et de dépôt fait en 1987 par Usinor-Acier à l’État français. Il s’agit du produit de la fouille d’un site paléolithique majeur, celui de Biache-Saint-Vaast, découvert en 1976, suite à des travaux d’extension de l’usine sidérurgique. Le creusement des fondations a fait apparaître des os de grande dimension et des outils en silex : les travaux sont stoppés et des fouilles archéologiques sont entreprises, sous la direction d’Alain Tuffreau (Professeur à l’université de Lille). Ces fouilles dureront jusqu’en 1982 et permettront de mettre à jour un exceptionnel site néandertalien. Deux crânes et des milliers d’os de rhinocéros laineux, d’aurochs, d’ours, de chevaux, de cerfs des tourbières, de loups et de castors, ainsi que des milliers d’outils en silex (éclats Levallois, éclats corticaux, non corticaux, artefacts brûlés, nucléus, esquilles, lames, rognons…) ont été exhumés. À l’issue de cette campagne de fouilles, un premier comptage est effectué, qui liste 7 000 items pour la faune, et 12 000 items pour le lithique.
Un dépôt passé à la trappe
En 1987, la société Usinor-Acier fait don de l’ensemble du mobilier issu des fouilles à l’État, à condition que l’ensemble reste dans le Pas-de-Calais. Le tout est enregistré sur les inventaires du MAN sous trois numéros :
- 86172 pour l’ensemble mobilier lithique et osseux ;
- 86173 pour le crâne néandertalien féminin ;
- 86174 pour le crâne néandertalien masculin.
Les deux crânes sont conservés au MAN. Le dépôt 86172 reste quant à lui à Arras, selon les souhaits du donateur, en vue de son installation dans un futur musée départemental de la préhistoire archéologique, qui deviendra la Maison de l’archéologie du Pas-de-Calais.
Il faut cependant attendre 1998 pour que ce dépôt soit formalisé par un arrêté. Pour une raison inconnue, seul le mobilier de faune est pris en compte par cet arrêté sous le numéro 86172 A et dénombre non plus 7000 mais plus de 214 000 items… Le dépôt lithique, qui aurait dû porter le numéro 86172 B, n’est en revanche pas traité, car peut-être en cours d’étude à la fin des années 1990. Cela peut expliquer que ce dépôt, bien que figurant dans les inventaires, soit resté non identifié lors du premier récolement et de la création de l’outil informatique de suivi des dépôts du musée d’archéologie nationale.
Le dépôt est donc « oublié » par le MAN jusqu’à ce qu’en 2022, la Maison de l’archéologie demande officiellement le prêt d’un item à son déposant. Le dépôt redécouvert, Il est temps de procéder à son récolement, afin de renouveler et mettre à jour sa convention de dépôt.
Méthode de récolement
Les équipes se retrouvent donc en présence d’un dépôt de restes de faune estimé à 214 860 items en 1998 et d’un dépôt de mobilier lithique estimé à 12 000 items en 1987. Les fouilles ont été effectuées à la fin des années 1970, à l’époque où l’archéologie moderne s’invente (la loi pour l’archéologie préventive ne remonte qu’à 2001). Les méthodes ne sont pas encore totalement formalisées, notamment dans le cadre de la conservation du mobilier en institution muséale. Il est impossible de faire coïncider d’anciens inventaires avec les objets, répartis dans 675 bacs répertoriés par stratigraphie et typologie (267 bacs de lithiques, 408 de faune). Heureusement, ce site paléolithique majeur a fait l’objet de nombreuses études, dont les thèses de deux chercheurs du CNRS : la première de David Hérisson consacrée au mobilier lithique (65 687 éléments inventoriés), la seconde de Patrick Auguste consacrée à la faune (192 568 éléments inventoriés).
Le MAN récole ses gros dépôts en collaboration étroite avec ses dépositaires. Dans la mesure du possible, il en confie le soin aux équipes scientifiques en charge des biens (les « codes 3 » de la CRDOA) sur la base d’un protocole global permettant de programmer, puis de formaliser le renouvellement du dépôt et son récolement.
Deux agents de la Maison de l’archéologie ont donc été missionnés pour effectuer ce récolement hors norme. Le comptage individualisé et l’identification de chaque item avec les listings étant impossible, il a fallu improviser une méthode originale de récolement : le pesage précis de chaque bac, répertorié ensuite dans un tableau Excel avec description du lot (dénombrement tiré du travail des chercheurs, typologie et stratigraphie).
Trois semaines de travail à temps plein en juin 2023 ont été nécessaires pour venir à bout de ce récolement. Les échanges et vérifications avec les équipes du MAN se sont prolongés jusqu’en décembre 2023 pour un PV de récolement émis en mai 2024. Il établit que 258 255 objets ont été récolés et tous localisés.
Des chiffres bouleversés
Suite à l’ensemble de ce travail, qui a permis la réévaluation du dénombrement des items et des typologies ainsi que la réintégration du mobilier lithique dans le comptage, l’arrêté de dépôt a pu être révisé et renouvelé sous le numéro D202400809. Il a profondément bouleversé les chiffres tenus à jour par la commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art : celle-ci comptabilisait en effet au 31 décembre 2023 un peu plus de 622 000 dépôts avec un taux moyen de récolement de 73,62 % et un taux de disparition moyen de 43,06 % (voir à ce sujet le rapport d’activité 2023 de la CRDOA). Avec ce récolement de plus de 258 000 objets tous localisés, le nombre de dépôts identifiés a grimpé à près de 900 000 et le taux moyen de disparition a chuté à… 13,48 % !
Une exposition consacrée au site exceptionnel de Biache-Saint-Vaast, jalon essentiel dans la compréhension du mode de vie de l’Homme de Néandertal, aura lieu en 2025 à la Maison de l’archéologie du Pas-de-Calais.
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