« Que peut contre la poésie tout ce fleuve de lave
Si dans le monde où nous sommes
Un chant fût-il éteint depuis longtemps
À un autre chant d'homme
Fût-il né dans mille ans
Correspond les oiseaux le savent
Et que peut contre les oiseaux
Transparents
L'hydre du temps »
(« HEURES », in Le livre d’Ophélie)
Monsieur l’Ambassadeur de Suisse à Paris, cher Jean-Jacques de Dardel,
Monsieur le président du Centre National du Livre,
cher Jean-François Colosimo,
Madame la présidente du Jury, chère Silvia Baron Supervielle,
Mesdames et messieurs les membres de la famille d’Anne Perrier et tous
ses admirateurs, amis, poètes, certains parmi vous étant venus de loin,
Anne Perrier n’a pu faire le déplacement pour se joindre à nous, mais elle
nous a fait part, par l’intermédiaire de sa famille ici présente, de l’immense
joie que lui causait ce prix.
Créé en 1981, le Grand prix national de la poésie a récompensé chaque
année, jusqu’en 1996, un poète de langue française pour l’ensemble de
son oeuvre. J’ai souhaité faire renaître cette haute distinction.
Le soutien de mon ministère à la poésie emprunte aujourd’hui différentes
formes. Le ministère de la Culture soutient toutes les formes de création
littéraire, y compris la poésie, à travers les aides du Centre National du
Livre. Sont concernés près de 1000 éditeurs de poésie, dix titres de poésie
par an par éditeur, de la revue à la micro-édition, de la collection de poésie
dans les grandes maisons d’édition à ceux qui assurent souvent leur
propre distribution et diffusion.
Mon ministère apporte également son soutien au Printemps des poètes,
qui s’est donné pour mission d’encourager la lecture des poètes et de faire
connaître le répertoire poétique dans toute sa diversité, sans exclusive.
Grâce à de telles initiatives, la perception de la poésie a changé : partout,
des poètes, des libraires, des bibliothécaires, des enseignants pionniers
ont témoigné en faveur de la poésie, notamment contemporaine, et ont
contribué à éroder lentement les préjugés qui séparaient parfois le public
des oeuvres.
À travers le Grand prix national de la poésie, doté de surcroît d’un montant
significatif, je souhaite marquer la très haute reconnaissance de mon
ministère pour les poètes eux-mêmes et pour la poésie en tant qu’art :
« La poésie fruit défendu
Belladone mortelle
Dans la débordante
Mangeoire universelle »
(Ibid.)
Pour un art rétif à toutes les reconnaissances officielles, il fallait une
personnalité rare, elle-même adepte des « voies nomades », « enracinée
nulle part, sinon dans l'imaginaire » d’après ses propres mots, pour
accepter la responsabilité de présider le jury du Grand Prix national de
poésie. Silvia Baron Supervielle a su merveilleusement composer un jury
de personnalités éminentes, venant d’horizon divers, réunis par des
correspondances dont elle a le secret. Mes remerciements les plus
chaleureux lui sont destinés, ainsi qu’à Aline Bergé, Christian Bobin, Muriel
Bonicel, Florent Georgesco, Hélène Henry, Michel Lafon, Gérard Macé,
Daniel Mesguich, Bruno Racine et Salah Stétié, qui ont accepté d’en être
membres.
L’oeuvre qui est aujourd’hui consacrée avait déjà été saluée par la critique
comme l’un des plus importantes dans la poésie contemporaine de langue
française. Avant que Doris Jakubec ne vous en fasse une présentation de
l’oeuvre d’Anne Perrier, je voudrais lui rendre hommage en reprenant les
très beaux termes de Gérard Bocholier dans sa préface à La voie nomade,
qui a été frappé de voir combien « le peu de matière terrestre qui assure
comme le lest de chaque poème » - Anne Perrier est une adepte des
formes brèves – était capable d’un « incomparable éblouissement » :
« Pauvreté mon unique
Mes mains lentement te découvrent
Sous la neige oblique
Tu as le visage de l’amour »
Première femme lauréate de ce prix, Anne Perrier rejoint les plus grands :
Francis Ponge, Aimé Césaire, André du Bouchet, Eugène Guillevic,
Edmond Jabès, Michel Deguy, Bernard Noël, Yves Bonnefoy ou encore
Philippe Jacottet.
Rendre hommage aujourd’hui à Anne Perrier et son œuvre, c’est aussi
rendre hommage à ses éditeurs successifs : Seghers, L’Escampette, et les
éditeurs de Suisse romande, Zoé, La Dogana, Empreintes… Vous me
pardonnerez de ne pas pouvoir toutes les citer. Entre France et Suisse
romande, ces maisons ont toutes eu le flair de donner à cette œuvre
majeure toute la visibilité et la reconnaissance qu’elle méritait.
Avant que nous ne visionnions un extrait de l’entretien d’Anne Perrier avec
Bernard Blatter, je voudrais remercier chaleureusement la société
lausannoise PLANS FIXES, qui nous a fourni pour cette cérémonie les très
belles images que nous allons voir maintenant.