Lorsque j’étais venu ici même saluer les lauréats du Prix Louis Hachette
2011, le monde bruissait déjà des révolutions en cours dans le monde
arabe. Comme toute la profession j’exprimais alors mon soutien à
Stéphane TAPONIER et Hervé GHESQUIERE heureusement libérés
depuis, et nous pleurions la disparition de Lucas DOLEGA, votre confrère
photo reporter assassiné en Tunisie. Depuis, d’autres drames se sont
produits dont le plus terrible et le plus proche pour nous tous fut la
disparition tragique et révoltante de Gilles JACQUIER.
En ce début d’année si tragique pour le journalisme français, c’est d’abord
en rendant hommage à Gilles JACQUIER et en pensant aux 103
journalistes tués en 2011, que je vous adresse ces mots, peut-être un peu
solennels pour un prix qui ne porte pas uniquement sur le grand reportage,
et qui s’attache aussi à récompenser la qualité de l’écriture, le travail
d’enquête, et sa capacité à mettre en scène l’actualité, quelle qu’elle soit,
avec le recul, l’analyse qui sont la marque de tout travail journalistique de
qualité.
Je voudrais également saluer la mémoire de Georges Suffert, le
journaliste, l’essayiste, l’éditorialiste. J’avais la plus grande admiration et
un profond respect pour ce compagnon d’arme de Claude Imbert, avec qui
il avait notamment partagé l’aventure du « Point », à sa création en 1972.
Qu’il soit reporter de guerre ou non, qu’il montre la douleur ou la détresse
des opprimés, qu’il condamne ou démontre les incohérences de nos
sociétés, un journaliste professionnel est toujours partant pour témoigner,
éveiller nos consciences, il se rend souvent là où on ne l’attend pas, là où
on ne le souhaite pas. C’est un privilège qu’il faut préserver, une liberté
pour laquelle nous devons rester vigilants et qu’il faut savoir honorer : c’est
précisément ce que fait le jury du Prix Louis Hachette depuis 1984.
Je tiens moi aussi à saluer la qualité, la rigueur et l’inspiration du travail de
ceux qui cherchent à décrypter le chaos du monde.
Recevoir les honneurs du Prix Louis Hachette, c’est pour un journaliste
franchir une étape importante dans sa carrière. Les journalistes ont besoin
de ces encouragements, qui mettent en lumière les meilleurs plumes et les
talents d’une profession inséparable de l’idée démocratique et des valeurs
que vous portez au quotidien.
Mes compliments les plus sincères s’adressent aux cinq lauréats du Prix
Louis Hachette 2012. La presse d’actualité sait ce qu’elle doit au talent de
Jean Louis LE TOUZET, Pierre Antoine DELHOMMAIS, Henri HAGET,
Fanny GUINOCHET et Thuy-Diep NGUYEN.
Votre travail et vos lecteurs sont la meilleure réponse aux cassandres qui
m’interrogent régulièrement sur le naufrage de la presse française.
Certains journalistes spécialisés ont parfois tendance, en effet, à vouloir
assimiler les difficultés de France Soir et de La Tribune au naufrage d’une
profession entière.
Oui, la presse traverse une période difficile, mais ce qui est en cause, ce
n’est pas la qualité de son travail éditorial, ni l’attachement de son public ;
c’est le nouvel équilibre que les éditeurs doivent trouver pour juguler la
dispersion de ses recettes publicitaires. Ce carburant historique se raréfie,
et cela affecte directement les capacités d’investissements de la presse
dans les nouveaux supports numériques.
Pour ma part, je ne vois pas de naufrage quand je vois les quotidiens
nationaux profiter de la riche actualité de 2011 pour maintenir leurs ventes
voire progresser pour certains d’entre eux, en partie grâce au numérique ;
ou quand la presse d’actualité, en particulier les newsmagazines,
enregistre une progression générale de ses ventes entre juin 2010 et juin
2011. La presse d’information de qualité séduit toujours un large public :
les derniers chiffres de vente le démontrent encore. Enfin, et surtout, la
créativité du secteur reste intacte dans un contexte économique difficile : la
presse magazine française a lancé près de 300 nouveaux titres réguliers
au premier semestre 2011, bien plus qu’au premier semestre 2010. La
déclinaison web des versions papiers prend de l’importance. La presse
magazine française enregistre une audience digitale en progression de
près de 3% et de près de 13% en deux ans. Cette complémentarité
grandissante entre les deux univers permet à fois de mieux informer et de
diffuser une meilleure image pour les marques presse.
Ce que je vois, c’est par contre une profession qui s’interroge sur ses
pratiques, sur sa nouvelle relation au public, sur l’irruption de nouvelles
formes d’interaction avec le public par des canaux de plus en plus
nombreux ; une profession inquiète de savoir si les moyens de plus en plus
contraints par la conjoncture n’affecteront pas à terme la qualité de leur
travail.
Vous le savez, le métier de journaliste, sa difficulté, son exigence et son
rôle vital pour la démocratie sont des enjeux qui me tiennent
particulièrement à coeur.
Dans un contexte très difficile pour la profession, confrontée à l'évolution
des techniques, à la multiplication des sources et des moyens
d'information, à une exposition maximale dans un monde de crises et de
conflits, le ministère de la Culture et de la Communication veille à
accompagner les journalistes dans l'évolution de la profession et les
conditions d'exercice de leur métier - qu’il s’agisse d’accompagner
l’urgence du reclassement des journalistes de France Soir ou de La
Tribune, de travailler à long terme sur le nouvel environnement de la
formation professionnelle, l’avenir des écoles de journalisme, les
conditions d’une juste rémunération des journalistes dans un
environnement plurimedia de plus en plus ouvert.
Le ministère apporte ainsi son soutien actif à la conférence nationale des
métiers du journalisme, créée il y a trois ans. Cette instance qui regroupe
les écoles de journalisme, des représentants de la profession et des
experts ainsi que le ministère de l'Enseignement supérieur et de la
Recherche a proposé cette année la mise en place d'un « passeport
professionnel » : une formation courte destinée aux jeunes journalistes qui
ne sont pas passés par une école reconnue par la profession, et qui
insistera notamment sur les exigences déontologiques du métier de
journaliste. Elle travaille sur l’harmonisation des critères de reconnaissance
de la profession avec celui du monde académique afin de faciliter
l’orientation des étudiants et d’assurer leur meilleure insertion en
répondant aux nouveaux enjeux du métier.
Je suis très attentif également à la question des droits d'auteurs des
journalistes lorsque leurs articles ou photos sont réutilisés sur de nouveaux
supports au delà du titre qui les emploie. C'est pourquoi je me félicite que
siège désormais au ministère la commission paritaire (la CDAJ) chargée
de déterminer cette rémunération lorsque les entreprises de presse ne
sont pas parvenue à un accord.
Mon ministère, vous le savez, soutient également le photojournalisme. Le
métier de journaliste de l'écrit que vous représentez ici est tout à fait
complémentaire du travail des photographes de presse, et l'un ne va pas
sans l'autre. Pour cette profession menacée par l'essor d'internet et des
banques d'images à bas prix, mon ministère se bat pour une meilleure
reconnaissance de leur travail. J'ai lancé une discussion avec la profession
sur les conditions de signature des photos pour éviter un abus de la
mention « droits réservés » qui prive parfois le photographe de ses droits
d'auteurs de façon injustifiée. J'ai récemment installé un observatoire du
photojournalisme, qui sera force de propositions et pilotera des études
utiles pour la profession.
Enfin j'organise actuellement la concertation sociale autour de la fixation de
la rémunération des photographes de presse pigistes prévue par la loi en
2009, mais qui n'a pas encore donné lieu à des accords dans les
entreprises de presse depuis cette date.
Les enjeux de la presse, ce n’est pas seulement l’avenir immédiat de
Presstalis, la restructuration des imprimeries de presse, ou la baisse de la
TVA numérique. Je pense pour ma part, que nous devons encore plus
renforcer nos efforts en faveur de la formation et de l’innovation, et surtout
continuer à valoriser vos talents et transmettre l’envie de lire vos enquêtes
à un public toujours plus nombreux.
Je renouvelle donc toutes mes félicitations à Pierre-Antoine DELHOMMAIS
du Point, Fanny GUINOCHET et Thuy-Dieppe NGUYEN de Challenges,
Henri HAGET de l’Express et Jean Louis LE TOUZET de Libération.
Je remercie bien sûr chaleureusement Claude IMBERT, fidèle et brillant
président jury depuis de si nombreuses années, les membres du jury pour
leur engagement, et le groupe Lagardère Active pour son soutien ; et je ne
peux qu’encourager Laurent JOFFRIN, qui reprend vaillamment le
flambeau.
Je vous remercie.