Et quand on prend la petite route qui descend vers la magnifique anse de Vauville et ses vastes
étendues de sable qui courent du cap de Flamanville à celui de La Hague,
on découvre l’une de ces magnifiques demeures normandes au charme
incomparable : le château de Vauville et son jardin, où les végétations
subtropicales s’exposent aux embruns salés, avec, par temps clair, les îles
anglo-normandes à l’horizon. Les plantes des latitudes chaudes se plaisent
dans cet écrin où la mer se teinte tantôt de gris métallique, de vert
eucalyptus ou translucide, au gré d’un ciel toujours changeant.
Créer un jardin botanique, c’est travailler avec la terre, le vent, la lumière,
la roche, avec la mémoire d’une demeure. C’est aussi proposer un
dépaysement capable de transporter vers des terres lointaines ; c’est faire
oublier les distances quand l’ailleurs vient à nous. C’est s’inventer un pays.
Retracer l’histoire du jardin botanique de Vauville revient à évoquer une
aventure familiale, une histoire de passion partagée et de transmission
fidèle d’un patrimoine que vous vous attachez, depuis plus de 30 ans, à
respecter, à valoriser et enrichir. En 1948, après l’occupation et les
ravages de la guerre en ces terres de débarquement, Eric Pellerin, votre
beau-père, entreprend la restauration de la propriété familiale du château
de Vauville. Partant des douves, les plantations dépassent le mur
d’enceinte du château pour envahir les prairies voisines. Vingt ans plus
tard les jardins s’étendent sur deux hectares, et aujourd’hui sur quatre.
Avec votre époux Guillaume Pellerin, architecte, paysagiste et grand
collectionneur d’outils anciens, vous cultivez des ensembles de collections
automne-hiver, printemps-été faites de plantes souples et fragiles,
d’échiums fastueux, d’essences canariennes, tasmaniennes, chiliennes,
chinoises ou japonaises, de palmiers chapeaux pour ombrager les
rhododendrons roses et rouges ou encore d’eucalyptus torsadés aux
évocations sculpturales.
Le « Chemin mystérieux », le « Jardin de la Sagesse », la « Voûte
bleue », la « Demie-Lune », le « Grand Espace » où les agapanthes
estivales répondent aux couleurs de la mer : autant de refuges botaniques
où règne un onirisme propre à l’émerveillement et à la quête spirituelle, au
service de ce que Marcel Proust décrivait, à propos de la passion d’Henri
pour la botanique, l’ami de Jean Santeuil, comme un « amour de l’ordre,
un besoin de marche, un goût pour la grâce ».
Jeune femme, vous rêviez d’entrer à l’école du paysage de Versailles.
Après plus de 25 ans passés dans le monde des jardins et de la
décoration notamment pour la revue Côté Ouest et après de nombreuses
années consacrées aux « Jardins imaginaires », véritable boutique pépite
située rue d’Assas à Paris, vous êtes aujourd’hui devenue la main de ce
« Jardin remarquable » - pour reprendre le nom du label qui vous a été
décerné en 2005 par le ministère de la Culture et de la Communication,
en reconnaissance de la qualité de vos compositions et de leur apport
indéniable pour la conservation comme la valorisation de l’art des jardins.
J’aimerais souligner vos actions en faveur de la sensibilisation en direction
du public scolaire et votre implication sincère et fidèle aux « Rendez-vous
aux jardins ». Cet engagement se traduit également dans un projet qui
vous tient à coeur, un musée national des outils de jardin, qui fera
notamment connaître au public l’impressionnante collection d’outils
rassemblés par votre époux. L’aventure botanique de Vauville, c’est
également celle de vos enfants, à qui vous avez transmis l’amour des
plantes et les savoir-faire de votre art des jardins.
Par vos soins et votre créativité, le remarquable patrimoine du jardin de
Vauville bénéficie d’une large reconnaissance. Vous représentez
l’excellence de l’art botanique français, en illustrant l’une des plus belles
pages de cette histoire partagée entre l’homme et la nature.
Chère Cléophée de Turckheim-Pellerin, au nom du Président de la
République, et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous
faisons Chevalier de la Légion d’honneur.
Cher Michel Fontaine,
Dans « Home sweet home », il y a « sweet ». En français, Tendres
Maisons, pour reprendre le titre d’un de vos derniers ouvrages. Cette
tendresse, c’est celle que vous portez pour le patrimoine rural, pour ces
demeures où la pierre est marquée par l’histoire, où le bois craque sous
nos pas et nos souvenirs, et auxquelles vous aurez consacré votre vie.
Architecte du bâti rural, président d’honneur de l’association des
« Maisons paysannes de France », administrateur de Patrimoine-
Environnement et membre de la Commission nationale des monuments
historiques, vous avez reçu votre passion en héritage. Je pense à la
propriété viticole familiale dans laquelle vous avez vu le jour en 1928 : à
cette maison à l’abandon en Dordogne, dont vous tombez un jour
amoureux et que vous décidez de restaurer dans les années 1980 ; à
votre père, René Fontaine, le grand architecte de la ville de Paris qui
consacra la dernière partie de sa vie à la défense du bâti rural, qui fonda
et anima le Service conseils des « Maisons Paysannes de France », et qui
fut aussi l’auteur de l’une des plus importantes références en la matière
avec son ouvrage Restaurer, aménager, préserver la maison de pays, par
dix fois réédité depuis 1977. Pour perpétuer sa mémoire, le prix « René
Fontaine », dont vous êtes membre du jury depuis sa création,
récompense depuis 1982 les plus belles réalisations dans ce domaine.
Votre parcours ne vous menait pas à explorer, a priori, les maisons
des campagnes, ni à consacrer votre expérience à la mise en valeur de ce
patrimoine. Après votre passage à l’Ecole nationale supérieure des Arts
décoratifs de Paris, vous devenez d’abord graphiste, ensuite concepteur
de communication publicitaire auprès de grandes maisons d’édition et
enfin président du directoire d’une agence de communication. C’est sans
doute cet héritage et ce coup de foudre périgourdin qui vous poussent à
adhérer en 1983 aux « Maisons Paysannes de France », seule
association de niveau national consacrée au patrimoine rural bâti et
paysager. Dès lors, et bien au-delà de la fonction de président que vous
avez assurée pendant 14 ans, vous consacrez tout votre temps à cette
association, en suivant de près toutes ses activités, en assurant sa
représentation auprès des pouvoirs publics et des organisations
professionnelles du bâtiment, en répondant aux interviews, en en dirigeant
aussi la revue.
Les « Maisons paysannes de France », reconnues d’utilité publique, ce
sont aujourd’hui près de 10 000 membres, une revue diffusée à plus de
5 000 exemplaires, 86 délégations départementales. L’action des
« Maisons paysannes de France » est si remarquable qu’elle est
couronnée en 2006 du grand prix Europa Nostra/Conseil de l'Europe.
Sous votre direction, l'association s'est vue confier des missions initiées
ou reconnues par l'État, telles que la récente enquête sur l'évolution du
bâti agricole au cours des quarante dernières années, ou encore la
réalisation de ces précieuses fiches techniques, publiées sur le site du
ministère de la Culture, sur le renforcement des performances thermiques
du bâti ancien. Cette dimension pédagogique de votre action, on la
retrouve dans le domaine de la formation, avec le centre de formation et
de perfectionnement de l’association, que vous présidez également, en y
défendant une approche qui défend les savoir-faire, les techniques et les
matériaux artisanaux au service de la durée et de l’environnement contre
ces « aberrations contemporaines » que représente pour vous la quête
éperdue de la réduction des coûts, bien souvent soumises à des logiques
de court terme. Vous êtes d’ailleurs à l’origine du programme ATHEBA
(amélioration thermique bâti ancien) qui a pour objectif d'évaluer et de
promouvoir les qualités du bâti ancien en matière de performance
énergétique.
Sous votre impulsion, l'association des « Maisons paysannes de France »
est devenue un partenaire privilégié du ministère de la Culture pour la
défense du patrimoine, partenariat qui se manifeste notamment par votre
présence au sein de la Commission nationale des Monuments
Historiques. Si votre action concourt plus particulièrement à la
préservation du bâti rural non protégé, vous n'en avez pas moins promu
une approche globale du patrimoine en parvenant à fédérer les grandes
associations nationales au sein de ce que l'on appelle aujourd'hui le
« G8 » du patrimoine. Cette capacité à rassembler les forces vives autour
de la défense du patrimoine vous a aussi permis de rallier les
organisations professionnelles du bâtiment à cette cause.
Durant toutes ces années, vous avez été aux avant-postes d'un combat
visant à sensibiliser le public et les professionnels à la fragilité de ce bâti
qui caractérise nos paysages les plus remarquables. Alors que s'étendent
ces grandes dévoreuses qui portent le nom de zones périurbaines, l'action
que vous menez est plus que jamais nécessaire. Elle contribue à
l'attractivité de notre espace rural ; elle éclaire les politiques publiques ;
elle incite à placer le patrimoine au coeur des projets d'aménagement
comme une ressource essentielle au service du développement durable.
La générosité de votre approche sera toujours guidée par cette passion
pour des maisons de pays qui, pour reprendre vos mots, « feraient de
merveilleuses maîtresses d'école pour l'habitat quotidien de demain. Car
elles portent l'esprit de modestie dont nous avons tant besoin, le sens de
l'économie, une imagination frugale en moyens, riche en bonnes idées ».
C’est donc avec joie, cher Michel Fontaine, qu’au nom du Président de la
République, et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous
faisons Chevalier de la Légion d’Honneur.
Chère Béatrice André-Salvini,
Je suis particulièrement heureux de recevoir aujourd’hui un éminent
conservateur, une grande archéologue et une épigraphiste dont l’autorité
et les compétences unanimement reconnues ont oeuvré à faire revivre la
mémoire des pierres et des hommes, celle des civilisations anciennes qui
virent l’apparition de l’écriture.
Pour le grand spécialiste de l’assyriologie Samuel Noah Kramer, c’est à
Sumer que l’histoire a commencé. C’est dans le sillon qu’il aura tracé que
vous nous invitez à une plongée érudite dans les sources
mésopotamiennes de nos civilisations.
Licenciée ès lettres, diplômée de l’Ecole du Louvre et titulaire d’une
maîtrise d’Art et d’Archéologie, vous débutez en 1977 votre carrière de
conservateur par des stages effectués dans les Musées nationaux, avant
d’être titularisée et de rejoindre en 1998 le département des antiquités
orientales du musée du Louvre comme chargée des collections
d’épigraphie pré-islamique. De Carthage à l’Indus et de l’Anatolie au
Yémen, ce département, auquel votre nom est intimement attaché,
possède des objets inscrits en une trentaine de langues et de dialectes et
en une vingtaine d’écritures idéographiques, syllabiques et alphabétiques.
Vous qui maîtrisez le sumérien, l’akkadien, le grec, le hittite, l’hourrite,
l’urartéen, le phénicien, à l’araméen, l’hébreu et l’égyptien ancien, c’est
depuis la tour de Babel de votre vaste savoir linguistique que vous veillez
au Louvre aux chefs d’oeuvres de l’Antiquité orientale.
Sans votre apport inestimable, le déploiement des collections orientales
dans l’aile Richelieu en 1993 puis la réinstallation de l’aile Sackler en 1997
n’auraient pas rencontré le succès qu’on leur connaît. Vous avez par
ailleurs pris part à la refonte des collections mésopotamiennes
rassemblées autour du plus ancien texte de loi qui nous soit parvenu, le
célèbre Code d’Hammurabi.
En 2006, vous prenez donc la direction d’un département qui recèle des
milliers de merveilles, depuis les têtes d’épingle de Khorsabad jusqu’aux
Archers du roi Darius. Grâce à vos multiples compétences, ce
département se développera en centre de recherche et de documentation
et connaîtra un rayonnement international, auquel contribue également
votre propre travail scientifique en tant qu’archéologue et épigraphistephilologue,
avec les remarquables catalogues et les ouvrages savants
que vous dirigez. Vous avez également participé au programme de mise
en ligne du corpus des archives en langue hourrite avec l’Allemagne et
l’Italie, et à celui des textes cunéiformes et pré-cunéiformes des IVème et
IIIème millénaires avant notre ère avec les Etats-Unis, l’Allemagne, la
Grande-Bretagne et la Turquie.
C’est à votre talent pour les coopérations internationales fructueuses avec
les pays du Proche du Moyen-Orient que l’on doit récemment la
magnifique exposition Routes d’Arabie, en collaboration avec l’Arabie
Saoudite – parmi tant d’autres manifestations qui auront bénéficiées de
vos compétences – je pense la Naissance de l’écriture en 1982, et plus
récemment Babylone, pour lesquelles vous avez toujours allié l’érudition
et la générosité.Chère Béatrice André-Salvini, pour votre professionnalisme exceptionnel,
pour la qualité de votre travail scientifique, pour le concours si précieux
que vous apportez au rayonnement des collections nationales, au nom du
Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont
conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion d’honneur.
Cher Amaury Lefébure,
« Notre vie est brève : nous parlons sans cesse des siècles qui
précèdent ou qui suivent le nôtre comme s’ils nous étaient totalement
étrangers ; j’y touchais pourtant dans mes jeux avec la pierre. […] Plus j’ai
médité sur ma mort, et surtout sur celle d’un autre, plus j’ai essayé
d’ajouter à nos vies ces rallonges presque indestructibles ».
Ainsi parlait Hadrien dans ses Mémoires magnifiquement imaginés par
Marguerite Yourcenar.
Le métier de conservateur ce n’est pas seulement mettre à la disposition
du public les oeuvres d’une histoire commune, c’est également servir de
relais, parfois protéger, pour reprendre Yourcenar, « [les] réserves contre
un hiver de l’esprit ». C’est la noble mission des grands conservateurs de
musées tels que vous.
Formé à l’Ecole du Louvre et à l’Université de Paris IV Sorbonne,
reçu au concours des conservateurs des Musées nationaux, vous
apprenez votre métier et le caractère fonctionnel et éminemment exigeant
de la mise en valeur du patrimonial depuis la conservation des réserves
jusqu’à la connaissance parfaite des pièces des collections de musées
durant des stages effectués au Musée de l’Armée de l’Hôtel des Invalides
et à l’Inspection Générale des Musées.
Tout au long de votre parcours, vous vous êtes profondément
attaché aux sites napoléoniens. Vous avez tout d’abord été affecté au
département des Objets d’art du musée du Louvre, et avez tout
particulièrement travaillé sur ses très riches collections de mobilier. Vous
êtes un homme de plusieurs passions, et l’ensemble des collections du
département depuis les gemmes médiévales jusqu’aux porcelaines et
émaux du XIXème siècle, en passant par les ivoires, les bronzes et les
tapisseries, a affiné votre oeil et votre goût.
Vous rejoignez en 1994 le château de Fontainebleau en qualité de
directeur du musée national. À la tête de cette passionnante leçon
d’histoire que représente cette « Maison des siècles », selon l’expression
de Napoléon, de ces murs qui connurent de longs siècles de présence
souveraine, véritable foyer des arts et extraordinaire illustration de
l’histoire de l’architecture et de l’art français, du mobilier à l’art des jardins,
vous êtes amené à prendre la direction du domaine national du château
de Fontainebleau. C’est un remarquable travail de conservation et d’étude
scientifique que vous avez accompli au cours de ces douze années durant
lesquelles vous avez dirigé le palais et le domaine du château de
Fontainebleau avec ses cent trente hectares de parc et jardins.
Sous votre direction, les collections nationales du château de
Fontainebleau se voient enrichies de nouveaux trésors telles les Figures
en bronze d’Henri IV et de Marie de Médicis par Barthélémy Prieur ou le
« Sabre des Empereurs » de Napoléon Ier, ou encore le Portrait
d’Hortense, reine de Hollande avec le Prince royal de Hollande par le
baron Gérard. La qualité de votre regard de conservateur, c’est d’avoir su
saisir la singularité de cette catégorie d’objets qui sont pour notre histoire
à la fois un témoignage et un commentaire.
De 1995 à l’an 2000, vous permettez l’ouverture après une longue
restauration, de l’appartement de Napoléon, de sa bibliothèque
particulière. Vous investissez également votre énergie dans la Galerie de
peinture qui forme avec le musée chinois de l’Impératrice le musée
Napoléon Ier, que vous aidez à se redéployer à la suite du cambriolage de
1995, et la galerie des meubles, l’un des remarquables musées installés
depuis la fin du XIXème siècle dans les murs du château.
Vous quittez par la suite Fontainebleau pour vous consacrer
exclusivement à une demeure clef de l’histoire de la Révolution, du
Consulat et de l’Empire : Malmaison. Après quelque mois aux côtes de
Bernard Chevallier, grand connaisseur s’il en est de la geste
napoléonienne, vous lui succédez en 2008 et devenez le directeur du
Service à compétence nationale qui regroupe les musées des châteaux
de Malmaison et de Bois-Préau, tout en étant également chargé des
musées de la Maison Bonaparte à Ajaccio et de l’Ile d’Aix. Vous avez
coordonné avec une très grande efficacité les campagnes de restauration
de ces quatre établissements, veillant entre autres à l’opération de
retissage des soieries Premier Empire du Salon doré ou la restauration
des deux consoles de bois doré dans la grande galerie de Malmaison,
oeuvres que vous avez présentées lors de l’exposition De Pompéi à
Malmaison, Les Antiques de Joséphine. Vous suivez avec beaucoup
d’attention le projet de rénovation du musée de l’Ile d’Aix concernant la
restitution à l’identique de la chambre où l’Empereur resta prostré les trois
jours qu’il passa sur l’île.
Vous menez depuis une programmation riche et renouvelée d’expositions
qui accroissent la notoriété des sites napoléoniens en remportant de vifs
succès auprès du public. Je pense évidemment à Destins Souverains,
Joséphine, la Suède et la Russie, actuellement visible au Musée national
des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, en partenariat avec le Musée
national du Palais de Compiègne, le Musée national de Stockholm, les
collections royales suédoises et le Musée de l’Ermitage de Saint-
Pétersbourg.
Je tiens également à souligner votre souci de la transmission, que l’on
retrouve dans vos cours à l’Ecole du Louvre et à la Sorbonne, et à travers
vos conférences à l’Institut national du patrimoine.
Pour toutes ces raisons et pour votre contribution majeure à la
visibilité et à l’enrichissement de notre patrimoine, au nom du Président de
la République, et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous
faisons Chevalier de la Légion d’honneur.
Chère Marie-Anne SIRE,
Dans La traversée des ombres, Jean-Bertrand Pontalis décrit ses doutes.
« Que sont mes reliques ? Mes souvenirs si précieux, mes rêves si
surréels ? Qu'est-ce que j'entends préserver à tout prix, de la
décomposition que nous signifie déjà, bien avant la mort, la fuite du temps
? » Autant d’interrogations qu’une conservatrice générale du patrimoine.
En suivant votre parcours, chère Marie-Anne Sire, on est tout d’abord
fasciné par la multitude de cathédrales dont vous avez exploré tous les
mystères. Cathédrale de Chartres, basilique Saint-Sernin de Toulouse,
cathédrale St Catherine d’Albi, cathédrale de Cahors, abbatiale de
Conques, cathédrale de Rouen… Le grand public vous doit notamment la
possibilité de pouvoir admirer le patrimoine inestimable qu’elles recèlent,
de leurs reliques à leurs trésors ornementaux.
Vous avez commencé à vous dévouer à l’histoire de l’art et à l’archéologie
juste après votre diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris. Vous
vous lancez, sous la direction du regretté Professeur Léon Pressouyre,
spécialiste de l’archéologie médiévale, dans un travail de fond, que
certains pourraient qualifier d’ingrat, mais pourtant ô combien formateur :
l'inventaire du dépôt lapidaire de la cathédrale de Chartres.
Dans ce travail de maîtrise sur l’inventaire du dépôt lapidaire, vous avez la
chance de retrouver, parmi quelque 600 pièces, des éléments du portail
royal disparus depuis plus d’un siècle. La remise en place des fragments
du « Signe du Verseau, » avec l'appui de l'inspecteur général Colette di
Mattéo, sera votre première et éclatante contribution à l'oeuvre de
restauration que vous poursuivez depuis.
Brillamment reçue au concours de l’inspection des monuments historiques
en 1983, vous êtes alors chargée de la région Midi-Pyrénées sous le
tutorat de l'inspecteur général Georges Costa, qui vous fait découvrir sa
région natale et partager son attachement à ces sites exceptionnels parmi
lesquels on retrouve Saint-Sernin, Conques, Moissac, Albi. Vous
découvrez auprès de lui tout un pan d’un domaine patrimonial encore peu
mis en valeur, et qui va devenir votre domaine d'excellence : les trésors
d’églises et de cathédrales. C’est pour vos compétences remarquables
dans ce domaine que l’on vous confie en 1996 une mission d'évaluation
de ces trésors de sanctuaires, portant sur toute la France. Votre guide
pour l'aménagement des trésors, issu de cette mission, est devenu une
référence obligée pour tous les conservateurs et architectes qui
interviennent sur ces sujets.
De votre longue activité en Midi-Pyrénées, où vous intervenez toujours
pour le compte de la direction générale des patrimoines en tant
qu’inspecteur depuis 2008, je veux encore souligner quelques moments
saillants : tout d'abord l’aménagement de la salle du trésor d’Albi, par
lequel le rêve de Georges Costa a pris corps, le dégagement des
peintures murales du XIVème siècle à Lavaur avec ses polychromies
d’origine, l'aménagement, avec Bernard Fonquernie, du dépôt lapidaire de
Conques, et votre accompagnement du magnifique projet Pierre Soulages
pour l’abbatiale de Conques et ses 104 verrières signées par l’artiste.
Plus tard, c’est au patrimoine de l’Aquitaine que vous vous
consacrez : le château Abbadia à Hendaye, les églises et leurs trésors,
mais aussi un patrimoine sculptural et pictural, comme la Vierge de
l’Immaculée conception de Zurbarán, trouveront grâce à vous une
nouvelle existence. Sans oublier, bien sûr, votre coopération avec le
comité scientifique international présidé par Marc Gauthier pour la
préservation de la Grotte de Lascaux.
Cet engagement au service du patrimoine, vous vous attachez à le faire
partager. Je pense tout d’abord à vos conférences à l'Institut national du
Patrimoine, dans lesquels vous transmettez un savoir et des valeurs si
précieux pour les jeunes conservateurs que vous contribuez à former. Je
pense aussi au succès de votre ouvrage, La France du Patrimoine, les
choix de la mémoire, préfacé par l’historien Pierre Nora, et plusieurs fois
réédité dans la collection Découvertes de Gallimard ; au rôle éminent que
vous avez joué dans l'exposition de photographies sur les grilles du
Palais-Royal en 2009, par laquelle le public a pu découvrir, grâce à cette
initiative originale et tant appréciée, l'exceptionnelle qualité des métiers
d'art qui oeuvrent aux chantiers de restauration en cours dans les
cathédrales de notre pays. Il faut enfin souligner que c'est à vous que
nous devons la protection et la conservation du brouillon du « Chant des
Partisans », que Maurice Druon écrivit avec Joseph Kessel en 1943, sur
la musique d’Anna Marly : c’est vous qui avez mené à bien le classement
de ce document emblématique, aujourd'hui entré dans les collections du
musée de la Légion d’honneur, pièce de choix dans le reliquaire de nos
mémoires.
Pour toutes ces raisons et pour la qualité remarquable de votre
engagement au service des monuments historiques et du patrimoine,
chère Marie-Anne Sire, au nom de la République française, nous vous
faisons chevalier de l'Ordre des Arts et Lettres.