Vous avez raison de le souligner, monsieur le Président, j’aime la presse
magazine française. Sa qualité en fait, à l’échelle internationale, une
spécificité culturelle, dont notre pays doit être fier.
Tout comme vous devez vous-mêmes être tous fiers de l’exemplarité avec
laquelle vous avez si bien défendu vos publications, sur tous les fronts, au
cours des deux dernières années.
En 2009, j’avais été interpellé, comme vous l’avez certainement été, par le
discours de Maurice LEVY, qui, ici même, lors de la 7ème édition du prix du
magazine de l’année avait affirmé qu’il ne fallait « pas s'attendre à une
sortie de crise pour les médias traditionnels ». Alors que vous traversiez la
tempête la plus sévère de ces dernières décennies, le propos pouvait être
jugé pour le moins provocateur. Il vous invitait alors à renoncer aux
« habituelles recettes anti-crise» et plutôt à vous attaquer à un changement
radical conduisant à « faire voler en éclat quelques idées reçues et
certaines situations acquises afin de s’adapter à la réalité du 21ème siècle».
Le moins que l’on puisse dire est que vous l’avez pris au mot. Sans verser
dans un discours empreint d’angélisme qui vous annoncerait le « bout du
tunnel », je dois reconnaître que vous avez, en deux ans, parfaitement
entamé le tournant qu’appelait de ses voeux Maurice Levy.
La presse magazine, c'est toujours et avant tout, vous l'avez fait
remarquer, une tradition d'engagement, un ensemble de talents et une
réelle prise de risque pour les éditeurs à laquelle le ministère de la Culture
et de la Communication s’associe pleinement. Vous le savez, vous l'avez
constaté, j’ai pris la mesure du rôle éminent que la presse magazine joue
dans l'économie générale des medias.
De la vitalité de la presse magazine dépend un vaste réseau de
partenaires économiques : dans la distribution bien sûr - messageries,
dépositaires et diffuseurs de presse - qui continuent à concentrer toute
notre attention, mais aussi un grand nombre de journalistes et de
photojournalistes, de créateurs au sens large, auxquels j’attache
naturellement la plus haute importance. Car, en dernier ressort, c’est sur
eux que repose la qualité de vos contenus et de vos marques.
Le rôle incontournable de la filière magazine justifie donc toute l’attention
que lui porte l’État. Nos efforts semblent être récompensés par des
indicateurs de marché qui marquent un très net retournement de tendance
après la sévère dépression de 2009.
Même si elle ne permet pas de rattraper les pertes préoccupantes de l’an
passé, l’augmentation de près de 5% des recettes publicitaires
enregistrées en 2010 est remarquable. Elle démontre la capacité de
rebond du secteur et confirme l’attractivité de vos publications. Du côté
des ventes, la presse féminine repart à la hausse, les titres d’informations
se stabilisent, ce sont, là aussi, des signaux encourageants.
Parallèlement, et pour la première fois depuis trois ans, l’évolution de
l’audience de la presse magazine cesse de se dégrader. Si la tendance
reste négative, elle n’en est pas moins encourageante. Elle nous incite à
poursuivre dans la voie de la modernisation et de l’adaptation engagée
depuis trois ans. L’enjeu est clair : il s’agit de faire vivre vos marques à
l'heure de la convergence numérique et des nouvelles pratiques de
lecture. Il en va de notre responsabilité collective.
C'est dans cet esprit que le Fonds d'aide au développement des services
de presse en ligne a été créé en 2009 et que 20% des aides attribuées
depuis sa création ont bénéficié à la presse magazine. Les dossiers
déposés reflètent les interrogations actuelles sur la multiplicité des
modèles économiques de l’Internet. La majorité des projets comporte
désormais des déclinaisons des sites sur l’internet mobile. La compétition
entre sites incite également les éditeurs à développer les contenus
audiovisuels, présents dans de nombreux dossiers, et à mieux utiliser
leurs ressources photographiques, ainsi qu’à développer des nouveaux
modes de traitement de l’information, à l’image du journalisme de
données.
Les dossiers déposés explorent et expérimentent de nouvelles sources de
revenus, sous la forme par exemple de l’accès progressif aux articles
payants. Mais c’est surtout l’apparition des tablettes - Ipad et autres
terminaux similaires - qui suscite chez les éditeurs de magazines de
grands espoirs de développement, sous la forme d’abonnements ou de
vente au numéro. Il n’est pas anodin de constater que certaines marques
papier, qui avaient parfois disparu des sites internet, refont ainsi leur
apparition sur support mobile.
Donner une nouvelle impulsion à l'écrit, c'est répondre aux attentes des
lecteurs. Il nous appartient de ne pas les décevoir en leur offrant l’accès à
une information et à des contenus de qualité produits par des journalistes
professionnels familiarisés aux nouvelles exigences de l’environnement
plurimedia. Dans ce contexte de renouvellement profond des pratiques
professionnelles, de questionnement sur les nouvelles missions des
journalistes, il est absolument essentiel de conforter et réaffirmer
ensemble les valeurs et les métiers du journalisme.
C’est ce qui motive mon engagement en faveur d’une réflexion de fond
sur l’avenir de la formation professionnelle, initiale et continue. C’est
l’objectif confié à la Conférence Nationale des Métiers du Journalisme qui
doit se réunir pour sa deuxième édition en septembre prochain. La
Conférence est un groupe de travail permanent, ses travaux sont de
qualité ; ils engagent l’avenir de la profession et de vos rédactions. Je
constate que malheureusement trop peu d’éditeurs y participent. Je profite
donc de la tribune qui m’est offerte pour vous encourager à rejoindre cette
Conférence qui est au journalisme ce que les « Entretiens de Bichat »
sont à la médecine.
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Mais, dans le domaine de l’information, à l’heure de la globalisation et des
réseaux d’information mondiaux, tout ne se joue pas au niveau national. A
l'heure numérique, il importe de penser l’avenir de l’information et des
médias à l'échelle européenne, notamment afin de régler la question de la
TVA numérique à taux réduit.
Son application à la presse en ligne est complexe dans la mesure où elle
nécessite l'adhésion de la Commission européenne, du Parlement
européen et du Conseil de l'Union européenne. C’est pourquoi, à
quelques semaines du « G8 de l’Internet » qui se tiendra à Deauville, je
me félicite de voir les éditeurs européens se mobiliser collectivement et
prendre, depuis quelques semaines, le relais des positions affichées par
la France il y a trois ans déjà à l’issue des Etats généraux de la presse
écrite. « Civiliser internet », selon l’expression utilisée par le Président de
la République, c’est notamment agir en faveur d’un développement
équilibré de la presse numérique.
Dans ce contexte, le rapport de la mission de réflexion et de proposition
confiée à Jacques Toubon sur les défis de la révolution numérique eu
égard aux règles fiscales européennes, permettra d'appuyer le travail de
conviction déjà entrepris par les Ministres des finances, des affaires
étrangères et par moi-même.
Si le numérique est un enjeu majeur, il ne faut pas pour autant renier les
fondements de la presse écrite. Cette dernière est aux sources de la
liberté d'expression et du droit à l’information : son pluralisme et sa
diversité sont des garanties démocratiques qu’il importe de préserver et
de renforcer.
Dans le livre de Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Jed, le
"héros", dénigre les "supports fétiches" de la presse écrite, "survivance
étrange, probablement condamnée à court terme". Analyse quelque peu
pessimiste de l’amateur de science fiction, éminent spécialiste de
Lovecraft. Je lui préfère le pragmatisme qui valorise l'écrit dans ses
différentes expressions, papier et web. La complémentarité des supports
est le meilleur rempart contre l'uniformité des sources et la
standardisation imposée par ce que l’on appelle la « société des écrans ».
Robert Darnton ne dit pas autre chose lorsqu’il évoque dans Apologie du
livre. Hier, aujourd’hui, demain le développement parallèle de l’intelligence
numériques et des apprentissages à travers le livre et le format papier
dans la société du XXIe siècle.
La matérialité du papier pose la question de sa distribution. Comme vous
l’avez souligné, elle est encore en grande difficulté malgré les efforts
conjugués de l’État et de la profession. Ces efforts se poursuivent, vous
devez les soutenir. Je prendrai pour exemple le soutien exceptionnel de
l’État aux diffuseurs spécialisés, que mes services s'apprêtent à
reconduire en 2011; ou encore, le Plan de développement des kiosques,
commerce culturel favorisant les liens de proximité, qui a conduit à la
signature, le 22 mars dernier, d'une convention entre le Ministère, le
Conseil Supérieur des Messageries de Presse, et l'Association des
maires de France (AMF). L’objectif de cette convention est de parvenir à
la création en France de 300 nouveaux kiosques en trois ans, soit une
progression d'environ 40%. Je l'ai dit, un kiosque ou un diffuseur de
presse qui ouvre, c’est un acteur du lien social qui se crée ou qui renaît,
c’est un lieu de sociabilité et de rencontres auquel on donne vie, c’est une
chance pour l’exercice de la démocratie.
Le magazine tient une place essentielle dans ce dispositif de proximité où,
comme vous le disiez fort justement, Monsieur le Président, la relation de
confiance avec le lecteur s'est instaurée pas à pas, avec des accès
d’enthousiasme et des déceptions profondes au fil des portraits, des
chroniques et des billets d’humeur qui jalonnent notre quotidien. Le
magazine éclaire l'information, il nourrit le débat, il renforce l'esprit critique
et la citoyenneté par la mise en perspective d'un avenir commun et de
références partagées.
***
Au-delà des émotions légitimes que suscite immanquablement
l'événement brûlant, repris en boucle à l'échelon planétaire, il y a l'analyse
et l’intelligence des faits et des hommes. Au-delà de la « dictature de
l’urgence » relevée par certains essayistes, il y a la compréhension des
enjeux de longue durée, la maîtrise du temps et la hiérarchie de
l'information. Elle seule peut conduire le lecteur à construire son
jugement, à lui offrir une véritable complexité et une véritable densité.
La place du magazine est, là encore, incontournable, comme en témoigne
les lauréats de cette neuvième édition des Magazines de l’année qui vont
vous être présentés et que je tiens à féliciter chaleureusement. La presse
magazine accompagne les instants de sérénité, les moments d’attente,
les voyages : elle est pour ainsi dire une « petite madeleine » de
l’existence, un marqueur du temps, un compagnon qui joue avec nos
habitudes autant qu’avec notre désir de connaissance et notre volonté de
savoir. En d’autres termes, elle est pleinement à mes yeux un produit
culturel à part entière qu’il importe de promouvoir et de valoriser, elle est
l’un des ferments de la « diversité culturelle » que j’appelle de mes voeux.
Je vous remercie.
Discours
Discours de Frédéric Mitterrand prononcé à l'occasion du 7ème Prix de la Presse Magazine
Monsieur le Président, cher Bruno LESOUEF,Mesdames et Messieurs,Chers amis,
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