Je me réjouis de vous retrouver aujourd’hui pour la reprise, très attendue,
des travaux de ce Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.
Je souhaite à mon tour la bienvenue aux nouveaux membres et
personnalités qualifiées et vous remercie, chère Sylvie Hubac, d’avoir bien
voulu accepter de présider aux travaux de Conseil supérieur, aux côtés
d’Anne-Elisabeth Crédeville, qui en assurera la vice-présidence.
Ne nous méprenons pas, chers amis, sur l’interruption des travaux du
CSPLA : cela ne vous aura pas échappé, celle-ci a coïncidé avec une
profonde réorganisation de l’administration de ce ministère, et avec un
cycle particulièrement intense d’action publique, qui a beaucoup absorbé
les forces ce ministère, notamment pour défendre et faire vivre les
principes du droit d’auteur à l’ère numérique.
Je pense bien sûr à l’adoption des lois « Création et Internet » qui m’a
conduit, peu après mon arrivée dans ce ministère, à rappeler avec force
devant le Parlement qu’Internet – chance formidable pour la diffusion de la
culture – ne devait pas devenir « une peau de chagrin pour les droits des
créateurs ».
Aujourd’hui, très loin de l’échec annoncé par certains et de la catastrophe
technologique promise, la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la
protection des droits sur Internet invente, jour après jour, une pédagogie
essentielle de la responsabilité à l’ère numérique. Madame la présidente,
chère Marie-Françoise Marais, vous m’avez présenté il y a quelques
semaines les premiers résultats de la réponse graduée, 7 mois après son
démarrage : ceux-ci sont particulièrement encourageants et laissent
penser que la pédagogie produit ses effets sur le plus grand nombre des
internautes. Je sais que l’action de la Haute Autorité se déploie désormais
aussi en matière de promotion des usages responsables de l’Internet, à
travers, notamment, l’attribution des premiers labels aux plateformes
d’offre légale de contenus culturels.
Soyez une nouvelle fois assurée du plein et entier soutien du
gouvernement à l’action déterminante que vous conduisez, action dont
nous constatons qu’elle suscite un intérêt croissant, puisque des pays de
plus en plus nombreux développent des approches voisines, à l’image, par
exemple, du Digital Economy Act au Royaume Uni.
Les deux années qui se sont écoulées depuis mon arrivée dans ce
ministère ont aussi été celles d’une mobilisation sans précédent pour
favoriser le développement d’une offre légale abondante, diversifiée et
rémunératrice pour les ayants droit, à travers, notamment, la mise en
oeuvre des principales préconisations du rapport « Zelnik ».
Je citerai par exemple la récente loi sur le prix unique du livre numérique,
adoptée au Parlement dans un remarquable consensus : cette loi crée
désormais les conditions d’un développement du marché du livre
numérique respectueux des équilibres de la chaîne du livre et de
l’écosystème de la création.
Je m’attache à présent à défendre, auprès des institutions européennes,
cette loi fondatrice pour la régulation des industries culturelles à l’ère
numérique, en démontrant à quel point celle-ci répond à un enjeu crucial
du point de vue de la diversité culturelle.
D’autres initiatives importantes pourraient être mentionnées, comme la
réforme de la chronologie des médias, la réglementation adoptée en
matière de services de médias audiovisuels à la demande, qui, comme
vous le savez, a inclus ces nouveaux services dans le cercle vertueux du
financement de la création, les « 13 engagements pour la musique en
ligne », le rapport rendu par la présidente Sylvie Hubac sur le
développement des service de médias à la demande, ou encore la mission
confiée à Jacques Toubon pour défendre l’application d’un taux réduit de
TVA pour l’ensemble des biens et services culturels.
Je n’oublie pas non plus les chantiers considérables engagés en matière
de numérisation des oeuvres, notamment dans le cadre des
investissements d’avenir, à l’image de l’accord-cadre concernant la
numérisation de 500 000 livres du XXe siècle indisponibles, ou de l’accord
sur la numérisation des oeuvres cinématographiques.
Cette action s’inscrit dans un environnement économique qui a lui aussi
beaucoup évolué ces dernières années, en général dans le sens d’une
accentuation des tendances préexistantes.
Nous avons assisté d’une part, à un déploiement massif de l’offre légale
sur les réseaux, notamment en matière de musique et d’audiovisuel. Ainsi
les offres légales de musique en ligne représentent-elles désormais près
du tiers du marché de la musique dans les pays du Nord. À l’image des
plateformes communautaires, les grands acteurs du web font reposer une
part croissante de leur modèle économique sur des contenus protégés par
le droit d’auteur. Ces évolutions, qui démontrent que le droit d’auteur n’est
aucunement un obstacle à la diffusion numérique des oeuvres. Elles
favorisent la conscience d’une appartenance commune à l’écosystème de
la création. Elles sont de nature à permettre une réflexion plus apaisée sur
les sujets intéressant le CSPLA.
Dans le même temps, alors que, grâce à l’innovation permanente des
entrepreneurs de l’internet et leur formidable dynamisme, s’inventent, jour
après jour, de nouveaux services en ligne, de nouveaux modes de
diffusion des oeuvres et de nouveaux usages, la tendance au déplacement
de la valeur au profit d’acteurs économiques qui bénéficient au premier
chef de la présence sur la toile de contenus culturels, mais qui contribuent
en général peu au financement de la création, est allée en s’accentuant.
À la réflexion sur le financement de la création par ces acteurs de l’internet
- réflexion à laquelle ce ministère contribue fortement - s’ajoutent des
multiples interrogations relatives, notamment, au rôle des éditeurs de
services dans la production audiovisuelle et cinématographique à l’heure
de la télévision connectée, à la « neutralité du net », à l’adaptation de nos
dispositifs de régulation et de soutien à la création.
Je profite de cet instant pour vous dire mon extrême vigilance, et la
réactivité qui sera la mienne, devant les risques de fragilisation, ou même
de mise en cause, de dispositifs aussi essentiels pour le soutien à la
création que sont le compte de soutien financier à la production
audiovisuelle, d’une part, et la copie privée, d’autre part.
Ces débats - si bien mis en perspective dans l’étude Culture et Médias
2030 du DEPS - trouvent un prolongement à l’échelle européenne et
internationale. Le développement d’internet comme plateforme de diffusion
des oeuvres a pu nourrir une contestation de principe des droits de la
propriété intellectuelle, contestation dont nous avons encore eu, à travers
certains débats du récent eG8, une illustration concrète quoique
légèrement caricaturale. Dans le même temps, fortes du constat que le
secteur de la création représente près de 4 millions d’emplois en Europe et
plus de 900 milliards d’euros d’activité, différentes initiatives s’attachent à
rendre plus effective la mise en oeuvre du droit d’auteur à l’échelle
européenne, tout en saisissant les nouvelles opportunités offertes par le
numérique pour l’accès aux oeuvres. Je pense notamment à la stratégie
pour un marché intérieur des droits de propriété intellectuelle développée
par la Commission européenne, sous l’impulsion remarquable de Michel
Barnier.
Madame la présidente, dans cet environnement complexe, passionnant, où
les positions de la France sont particulièrement attendues, je souhaite
m’appuyer pleinement dans les mois à venir sur le concours et l’expertise
unique du CSPLA.
J’attends donc beaucoup de la confrontation des points de vues,
disciplines et expertises représentés au sein de ce Conseil supérieur,
parmi les éminentes personnalités qualifiées qu’il réunit, mais aussi parmi
les 38 professionnels.
De part sa composition, ce Conseil supérieur constitue à mes yeux une
enceinte privilégiée - unique en son genre - de dialogue entre les
représentants des différents acteurs du monde de la propriété littéraire et
artistique, auteurs, producteurs, artistes-interprètes, diffuseurs et
opérateurs, consommateurs et utilisateurs.
C’est certainement la raison pour laquelle rares sont les réflexions et avis
du CSPLA qui n’ont pas inspiré, directement ou indirectement, l’action des
pouvoirs publics. Je pense par exemple aux travaux de la commission
présidée il y a quelques années par le professeur Pierre Sirinelli sur la
distribution des contenus numériques en ligne, ou plus récemment au
rapport de Maître Jean Martin sur les oeuvres orphelines, dont j’ai constaté
à quel point il avait retenu l’attention à Bruxelles, dans le cadre de la
préparation de la proposition de directive sur les oeuvres orphelines de
l’écrit proposée par la commission européenne.
Ce rôle de concertation, cette capacité éprouvée à rapprocher les points
de vue, à imaginer des solutions réalistes et concrètes, va de pair avec
une mission de proposition, de veille et de prospective sur tous les enjeux
contemporains liés au droit d’auteur, dont j’attends également beaucoup.
La stratégie proposée par la commission européenne en matière de
propriété intellectuelle doit évidemment retenir toute notre attention. Dans
le prolongement des travaux conduits en 2008 par Maître Jean Martin, il
serait notamment précieux de pouvoir disposer d’une analyse précise des
enjeux soulevés par la proposition de directive sur les oeuvres orphelines.
Par la suite, d’autres sujets de réflexion pourront sans doute être
envisagés, compte tenu des chantiers que la Commission européenne se
propose d’ouvrir en ce qui concerne notamment la gestion collective et les
conditions de licence de la musique en ligne.
L’expertise du CSPLA me semblerait également très utile pour réfléchir à
l’application du contrat d’édition à l’exploitation numérique des oeuvres.
La proposition de loi sur le prix unique du livre numérique n’était
certainement pas le cadre approprié pour aborder la question, mais les
débats auxquels nous avons alors assisté démontré la nécessité d’une
réflexion sereine sur le sujet, d’une concertation nourrie, qui n’aurait
cependant pas vocation à s’immiscer dans les discussions entre les
organismes professionnels compétents.
Sa mission de prospective et de veille doit rendre le CSPLA
particulièrement attentif à l’impact juridique et économique des différentes
évolutions technologiques, aux nouveaux usages qu’elles suscitent et aux
modèles économiques qui leur sont associés. A ce titre, le CSPLA me
semble l’instance appropriée pour conduire une réflexion sur les enjeux,
encore mal identifiés, liés à « l’informatique en nuage » - le « cloud
computing » -, au regard notamment du droit d’auteur.
À vrai dire, les thèmes qui mériteraient aujourd’hui une étude approfondie
dans le cadre du CSPLA ne manquent pas et vous aurez l’occasion d’en
débattre tout à l’heure. Il vous reviendra, Madame la présidente, de me
transmettre les pistes et idées qui vous semblent prioritaires, afin de me
permettre d’arrêter, d’ici quelques jours, le programme de travail de ce
Conseil supérieur.
Les réflexions du Conseil supérieur devront permettre à notre pays de
conserver un rôle d’impulsion, un rôle souvent pionnier, dans les tous
débats et projets contemporains en matière de droit d’auteur.
Ces débats, souvent vifs, sont alimentés par des appels, parfois
incantatoires, parfois plus argumentés, à la modernisation du droit d’auteur
– je pense par exemple au rapport remis au gouvernement britannique par
le professeur Hargreaves. Le CSPLA doit nous permettre d’aborder ces
discussions avec sérénité, en réinterrogeant les fondements du droit
d’auteur d’inspiration européenne, et du cadre juridique international dans
lequel il s’incarne. Je suis pour ma part convaincu que leur pertinence et
leur vitalité demeurent intactes, tandis que la capacité d’adaptation du droit
d’auteur aux enjeux numériques est avérée.
Ainsi la stratégie déployée en France par le ministère et les professionnels
français du livre pour la numérisation et diffusion de 500 000 oeuvres
indisponibles du XXe siècle atteste-t-elle de notre capacité à expérimenter
des mécanismes innovants propres à favoriser, dans le respect du droit
d’auteur, l’accès légal aux oeuvres.
Tout en répondant à une même préoccupation - garantir la sécurité
juridique de la numérisation à grande échelle - , cette approche, qui
impliquera une modification du code de la propriété intellectuelle, se
distingue en profondeur de celle mise en oeuvre par Google dans le cadre
du settlement, ce projet d'accord entre Google et les auteurs et éditeurs de
ce pays concernant l'exploitation de plusieurs millions d'oeuvres protégées,
inspiré d’une conception particulièrement extensive du fair use, et que la
justice américaine vient de rejeter.
Par delà les débats théoriques sur le droit d’auteur, le CSPLA a de mon
point de vue vocation à se concentrer sur ce qui fait réellement débat, à
savoir les mécanismes et procédures propres à protéger et faire vivre
aujourd’hui le droit d’auteur, en favorisant ainsi la diffusion des oeuvres,
pour le plus le plus grand bénéfice du public, et la juste rémunération de
ceux qui composent, de ceux inventent, et ceux qui prennent le risque de
la création.
C’est le sens des propos tenus lors de l’ouverture de l’eG8 par le président
de la République, qui a rappelé, à travers la figure fondatrice de
Beaumarchais, la puissance libératrice, révolutionnaire du droit d’auteur,
et son attachement indéfectible au respect de la propriété intellectuelle.
C’est aussi le sens, lors du G8 de Deauville, de l’importante déclaration
des chefs d’Etat, qui ont invité, s’agissant du droit d’auteur, à s’intéresser
aux modalités de son plein exercice, et de sa protection effective, en
appelant de leurs voeux « des mesures fermes contre les violations des
droits de propriété intellectuelle dans l’univers numérique », et une
« coopération internationale appropriée entre les acteurs concernés,
associant le secteur privé ».
C’est dans cet esprit, enfin, que j’entends aborder le sommet culturel,
centré sur le thème du droit d’auteur, que j’organiserai en Avignon les 17 et
18 novembre prochain dans le cadre de la présidence française du G8 /
G20. Ce sera l’occasion de faire progresser le sens d’une responsabilité
partagée des acteurs de la culture et de l’internet en matière de soutien à
l’écosystème de la création ; ce sera l’occasion de partager une réflexion
sur le devenir – et la promotion – de la diversité culturelle à l’ère
numérique, un enjeu encore peu exploré et pourtant si crucial à l’heure du
« capitalisme cognitif » et d’une nouvelle géopolitique de la culture dite
« mainstream ».
Dans le contexte d’une compétition mondialisée, et face aux productions
banalisées et indifférenciées, il est en effet essentiel, pour nous autres
français et européens, et pour nos industries culturelles et créatives, de
pouvoir s’appuyer sur des marques fortes, sur des oeuvres originales -
l’objet du droit d’auteur, ce droit si vivant, étant précisément d’assurer la
valorisation et la rémunération de telles créations.
Les contributions, travaux et débats de ce Conseil supérieur me seront
infiniment précieux pour alimenter et construire les positions du
gouvernement français dans ce débat, qui est aussi un combat, un très
beau combat.
Je vous remercie.