Mât, pont volant, cordages, autant de mots hérités du monde de la marine, et que l’on retrouve dans les coulisses de l’illusion. Depuis ses origines, le théâtre s’est appuyé sur un appareil technique qui lui a toujours été constitutif : on a bien retrouvé, dans le théâtre de Mégalopolis au Péloponnèse, les restes d’un dispositif de rails permettant les changements des décors, daté du IVème siècle avant notre ère. Depuis lors, c’est une formidable histoire des techniques qui s’est écrite, avec l’amélioration des dispositifs, l’invention des trappes, toute l’ingéniosité des rouages et des treuils, câbles d’acier, ossatures tubulaires, monte-décors, conques acoustiques… C’est dans cette noble filiation que s’inscrit votre entreprise.
Vous dirigez en effet la plus importante entreprise française de réalisation scénotechnique, et vous habillez et équipez en machineries de pointe les théâtres du monde entier. Le diablotin, le louveteau, le nomade, ou encore le sédentaire, tous ces modèles déposés que vous avez créés, manœuvrent l’envers de la scène. C’est un grand plaisir pour moi de rendre hommage au travail essentiel d’une entreprise familiale au service des directeurs, des producteurs, des scénographes, de tous les professionnels du théâtre.
AMG-Féchoz est devenue, sous votre impulsion commune, une institution de référence dans le domaine de la réalisation scénotechnique.
Chère Micheline Gautier,
Tout a commencé à Paris avec la petite entreprise de votre père, boulevard de la Chapelle, « Mécanique, serrurerie, électricité », puis rue Ernestine. C’est dans le milieu des années 1950 que vous rejoignez votre père dans son activité - ce père qui vous emmenait avec lui au Théâtre Musical-hall ABC assister en coulisses aux spectacles dont il faisait la maintenance.
Cher Pierre Gautier,
« Vous faites une drôle de bêtise ! » : ce sont les mots de votre beau-père Alexandre Féchoz, quand vous décidez de quitter le monde de la SCNF, où vous êtes ingénieur, pour rejoindre son entreprise.
Vous intégrez le monde de la machinerie et des équipements en tant que directeur technique et commercial, comme ingénieur conseil aussi.
L’entreprise familiale est alors en train de prendre le virage de la technique scénographique, par le biais du cinéma : écrans roulants, conversion des salles de spectacle en salles de cinéma font alors partie de votre quotidien. Quitte, parfois, à faire plus tard le chemin inverse, en reconvertissant en théâtre moderne la célèbre salle de l’Empire que, dans vos premières années, vous aviez transformé en « Cinérama ».
En 1988, après que la société paternelle a été rachetée par Spie-Batignolles, vous créez, chère Micheline Gautier, votre propre société, la société AMG Féchoz. Complémentaires dans vos compétences, complices dans vos aspirations, vous portez à vous deux des réalisations qui vous valent en 1992 la médaille d’argent de l’académie d’architecture dans la catégorie entrepreneur.
On doit à votre entreprise de machinerie scénique et d’équipement scénographique - la première en France, et la troisième en Europe - des évolutions majeures dans le domaine, par des projets qui ont redessiné, équipé, dans plus d’une quarantaine de pays, des scènes et des salles prestigieuses. Je pense à l’Opéra Bastille, au Palais de Chaillot, au Palais des Congrès, à l’Olympia, au Théâtre de la Ville, au Théâtre de la Colline, à la Maison de la culture du Japon à Paris, ou encore, dans ce quartier cher à votre cœur, au Théâtre des Abbesses – ne serait-ce que pour Paris, sans oublier l’opéra de Lille, le Théâtre national de Strasbourg, le centre culturel Tjibaou à Nouméa… Et à l’étranger, le palais des congrès de Marrakech, le centre culturel de Brazzaville, l’auditorium de l’ONU à Genève, l’opéra de Hanoï - je ne peux les citer tous, tant la liste est aussi longue que prestigieuse. À cela s’ajoute le fait que vous avez participé à l’équipement de 85% des complexes et salles de cinéma français.
Depuis plus de cinquante ans, avec un respect du patrimoine bâti et le goût des prouesses techniques, vous avez contribué à l’excellence des équipements culturels les plus prestigieux, en collaboration avec des scénographes et des architectes de renom ; par exemple, récemment, avec Jean Nouvel pour la construction de la Philharmonie de Paris – un projet majeur pour lequel vous connaissez mon attachement. Avec talent et passion, vous avez joué un rôle majeur dans l’évolution technologique qu’a connu ces dernières décennies la machinerie théâtrale, au profit d’une créativité à laquelle vous aurez, derrière le rideau, apporté votre griffe.
Chers Micheline et Pierre Gautier, au nom de la République française, nous vous faisons Chevaliers de l’ordre des Arts et des Lettres.