« Etre de ceux qui jamais n'ont cessé d'être
un souvenir qui soudain retrouve enfin
le fil du drame interrompu
au bruit lourd des chaînes
du brigantin frêle
mouillant dans l'aube grise de l'Anse aux Klouss
c'est bel et bien restituer
le parfum fort du rythme des heures claires »
Chère Marie-Paule JEAN-LOUIS,
Si en m’adressant à vous aujourd’hui je souhaitais citer ces vers de Léon-
Gontran DAMAS, c’est parce qu’ils portent en eux la force de ce que
restituer veut dire. Restituer à la Guyane ses richesses et son histoire, c’est
justement le coeur de cet engagement exemplaire qui est le vôtre.
Exemplaire d’une exigence scientifique et d’une passion qui son souvent
les deux moteurs essentiels pour accomplir des projets remarquables et
durables, dans le domaine culturel comme dans d’autres d’ailleurs.
Après de très brillantes études en métropole – à l’université d’Aix-en-
Provence et à l’Ecole du Louvre - vous obtenez un doctorat de lettres en
études créoles en 1987. Vous faites alors le choix de revenir ici, à
Cayenne, pour diriger le service du patrimoine ethnologique au Conseil
Régional et créer le Musée des Cultures Guyanaises, labellisé musée de
France en 2001.
Depuis plus de quinze ans, vous avez initié et conduit avec talent et
ténacité le projet, ambitieux et novateur, d'un musée de société qui sache
refléter la diversité culturelle et l'unité profonde, forgée par une histoire
dure et douloureuse, de conquête, de colonisation, d’esclavage, de cette
région française si singulière qu’est la Guyane.
Afin de nourrir la programmation du futur musée, vous avez su mobiliser de
nombreux chercheurs en sciences humaines du CNRS et de l'Université
sur des enquêtes ethnographiques et des collectes d'objets de la plupart
des communautés qui composent la société guyanaise : Amérindiens,
Bushinenge, Créoles, Hmongs, Chinois, Brésiliens... Ce qui fait la force de
votre travail, c’est précisément d’avoir su allier légitimité scientifique et
inclusion des communautés dans un même projet. Je tiens à souligner, à
ce titre, l’attention toute particulière que vous porté aux publics jeunes.
Le musée de la rue Madame Payé est ainsi devenu, au fil du temps, une
ruche bourdonnante d'enfants et de jeunes venus renouer avec leurs
passés pluriels et nourrir leur créativité à la source de l’histoire et des arts
traditionnels des sociétés guyanaises. Ce sont des expériences de
médiation culturelle, des expositions temporaires et des événements
comme la récente « nuit des musées » qui se succèdent, et donnent à
l'institution toute sa légitimité dans l'opinion. C’est également pour vous
l’occasion d’expérimenter sans relâche les méthodes pédagogiques les
plus aptes à intéresser le jeune public.
Le fonds de collections irremplaçable que vous avez constitué avec la
participation de tous s'est vite trouvé à l'étroit dans ses locaux provisoires.
Les réserves ont dû être délocalisées dans un bâtiment extérieur - géré
d'une manière exemplaire malgré des moyens réduits. Pour les collections
comme pour les visiteurs, il fallait songer à des lieux plus adaptés.
C'est ainsi qu'est né le projet d'un nouveau musée, plus grand, plus
moderne, à la fois outil d'éducation et de diffusion culturelle, lieu de
réception et d'initiation à la Guyane à l’intention des touristes français et
étrangers d’un côté, lieu de mémoire et de fierté pour tos les Guyanais.
Il me faut d'ailleurs dire que ce voyage me renforce dans la conviction
qu’une recomposition nouvelle des consciences communautaires est en
train de se jouer, et qu’elle est porteuse d’une dynamique nouvelle des
perceptions identitaires. Le fait qu’un grand musée leur soit consacré ici à
Cayenne est donc clairement une priorité.
Chère Marie-Paule Jean-Louis, c’est justement avec la constance et
l’énergie nécessaire que vous avez su mener à bien la conception
scientifique et culturelle du nouveau musée avec le concours d'un
prestigieux conseil scientifique international.
Aujourd'hui, grâce à vous, tout est prêt pour que soit écrite une nouvelle
page de la brillante histoire de ce musée, sur la base d’un « grand projet »
conduit, avec le concours enthousiaste de mon département ministériel,
par les Collectivités territoriales guyanaises - Conseil régional et Conseil
général -, afin de réinvestir les lieux, en plein coeur de Cayenne, de
l'ancien Hôpital Jean Martial, cher aux Guyanais. Ce sera aussi le point de
départ d'une restauration de la place des Palmistes, pour laquelle mon
ministère apportera son concours à la ville.
Véritable grand projet, le Musée des Cultures Guyanaises couvrira ainsi,
au sein d'un établissement unique, tout le spectre du patrimoine
immatériel, telle que l’UNESCO l’a défini, et qui est au coeur de son
ambition de transmission : la mémoire orale, les langues, les récits et
légendes, les chants, ainsi que le témoignage des savoir-faire artisanaux
et domestiques traditionnels. Ce sera également le lieux de la mémoire
écrite de la Guyane, avec les archives départementales, et de sa mémoire
matérielle, en s’appuyant sur la complémentarité des collections du musée
Alexandre Franconie. Un tel projet, qui permettra également la
conservation d'un monument majeur de la métropole guyanaise,
contribuera à coup sûr à offrir à Cayenne une lisibilité internationale
accrue.
Tout en menant ce grand projet, c’est par ailleurs à l'ensemble de la vie
culturelle guyanaise que Madame Jean-Louis apporte une contribution
permanente, par sa présence et son action au sein de la commission des
Arts plastiques, du conseil d'administration du Parc amazonien de Guyane,
de la commission des musées, sans oublier le conseil d'administration du
collège Auxence Contout. C’est bien au service de tous qu’elle déploie
sans compter son énergie.
C'est grâce à vous, Marie-Paule Jean-Louis, à votre compétence, à votre
engagement, à votre persévérance, que le grand projet du Musée des
Cultures guyanaises est aujourd'hui possible. Votre rôle dans les
dynamiques qui animent aujourd’hui le paysage culturel guyanais est
essentiel.
La République vous a déjà honorée en vous attribuant le Mérite national; le
Ministre de la Culture et de la Communication ne peut faire moins que de
vous distinguer à son tour. Marie-Paule Jean-Louis, je vous fais donc
aujourd'hui, au nom de la République française, Officier dans l’Ordre des
Arts et des Lettres.
Chère Norma CLAIRE,
« La danse est le plus sublime, le plus beau, le plus émouvant de tous les
arts, parce qu’elle n’est pas une simple traduction ou abstraction de la vie,
elle est la vie elle-même ». C’est ainsi que s’ouvre un petit livre stimulant
écrit en 1923 intitulé La Danse et la Vie. Vous incarnez à votre manière
cette rencontre entre la chorégraphie et la vie, entre le corps sublimé et le
corps réalisé. Vous êtes en effet, chère Norma Claire, l’une des grandes
ambassadrices de la danse guyanaise. Vos qualités son reconnues ici en
Guyane mais aussi en métropole, où vous mettez en oeuvre plusieurs
projets de formation et de création dans différentes régions. Vous avez une
place singulière, une action reconnue au sein de l’univers chorégraphique
de notre pays.
Je tiens aujourd’hui à rendre hommage à votre action qui favorise le
rayonnement d'une danse contemporaine multiculturelle, métissée, à
l'image de cette région où se mêlent influences amérindiennes, créoles,
africaines et européennes. Vous manifestez sans cesse un souci
renouvelé d'ouverture et de modernité qui vous a conduit à vous intéresser
au hip-hop et aux danses urbaines.
Vous avez collaboré pendant 15 ans à des aventures artistiques au sein de
ballets créoles et africains et avez participé aux créations d’Elsa
Wolliaston, avant de créer votre propre compagnie, la compagnie Norma
Claire, en 1992. Vous n’avez depuis lors eu de cesse d'interroger dans vos
oeuvres les questions de l'identité, de la créolité et des métissages, à
l’unisson des grandes questions posées par vos racines, mais aussi à
l’écoute des question du monde culturel à l’heure de la globalisation des
savoirs et des cultures. En effet l’uniformisation des modes de vie et des
pratiques sociales invitent plus que jamais les créateurs à se pencher sur
le corps, sur l’identité, sur les origines, bref sur ce qui fait et nourrit
l’humanité.
Vous comptez à votre actif plus de dix pièces chorégraphiques, diffusées
en Europe, dans la Caraïbe et en Amérique du sud, en particulier au Brésil
dans le cadre de l'année de la France, ces années croisées dont on
connaît le rôle dans le dialogue et dans la rencontre entre les créateurs.
Votre dernière création, le duo Uma, Uma avec la chorégraphe
Mozambicaine Maria-Helena Pinto, illustre parfaitement la réussite d’une
démarche de création qui se nourrit de l'ouverture à l'autre et du dialogue
entre les cultures. Votre travail de recherche, soutenu dans le cadre des
aides à la création de mon ministère, a été consacré cette année. Vous
êtes devenue la première compagnie de danse guyanaise conventionnée
par le ministère de la culture et de la communication.
Vous êtes non seulement une artiste de grand talent mais également une
citoyenne engagée, une ardente militante de la formation par les arts et la
culture, un « passeur de culture». Vous avez mis votre passion et votre
énergie dans le développement de la danse en Guyane et vous avez
oeuvré pour son rayonnement en métropole et à l'étranger.
Vous menez ainsi depuis dix ans, en Guyane, des actions de
sensibilisation à la danse, de l'école maternelle au lycée, dont plus de 5
000 jeunes ont bénéficié. Vous avez également entrepris une vaste
opération de sensibilisation aux danses urbaines et au hip-hop auprès sur
l'ensemble du département. Vous avez mis en place des formations pour
soutenir les compagnies et les artistes émergents, pour permettre une
continuité des actions auprès des plus jeunes. Vous incarnez l’idée selon
laquelle il ne saurait y avoir de démocratisation culturelle sans
appropriation de la culture par chaque spectateur, par chaque citoyen.
Vous traduisez ainsi admirablement l’exigence de l’éducation artistique et
du soutien à la pratique amateur au service de la création.
Vous êtes aussi soucieuse de l’intégration sociale à travers les pratiques
artistiques. Depuis la mise en oeuvre de l'appel à projet national Pour une
dynamique culturelle dans les quartiers en 2009, vous proposez des
ateliers de danse afro-contemporaine auprès des jeunes publics en
difficulté de Cayenne. Je dois aussi mentionner le remarquable projet
Danser la ville, ce nouveau champ de création pour la danse mais aussi
pour les autres formes artistiques, qu’il s’agissent des arts de la rue mais
aussi des arts visuels ou de la photographie. Vous aviez alors investi avec
succès l'espace urbain cayennais, en mobilisant toutes les cultures et
toutes les communautés, créant cette « poétique naturelle » dont parle le
poète Edouard Glissant à propos de la langue créole.
Vous êtes aussi à l'initiative des Rencontres de danses métisses, qui sont
une magnifique fenêtre sur le paysage chorégraphique mondial. Elles
permettent la venue de chorégraphes français et étrangers de renom mais
aussi une plus grande visibilité pour les chorégraphes et danseurs
guyanais. Je sais que ce festival a reçu le label de l'Année européenne
2008 du dialogue interculturel. Je sais aussi qu’il a bénéficié de l’attention
et du soutien de l’Etat et je peux vous affirmer qu’il en sera ainsi à l’avenir.
Votre créativité dans le dialogue, votre ambition sans cesse renouvelée
pour la danse, votre engagement en faveur de sa diffusion auprès de tous
les publics forcent l’admiration. Ils sont aujourd’hui salués par le ministre
de la Culture et de la Communication.
Aussi est-ce avec une grande fierté que je vous fais, Norma Claire,
Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.