Les chantiers en-cours
La mosquée de Tsingoni est un des monuments les plus anciens de Mayotte et sans doute le plus complexe. Depuis près de 15 ans, la DAC Mayotte s’attache à étudier cet édifice, notamment par l’archéologie, tout en assurant sa protection, sa conservation et sa valorisation. La complexité de ce site tient d’abord à sa longévité, qui a conduit à des réadaptations et des évolutions architecturales au cours du temps. La mosquée historique, qui est datée du XVIe siècle grâce à l’inscription qui figure sur son mihrab (1538), mais qui remplaçait probablement une mosquée plus ancienne (XIIIe-XIVe), s’est vue progressivement emprise dans un édifice plus vaste qui devait répondre à l’augmentation de la population dès les années 1980.
Plusieurs interventions ont probablement eu lieu depuis le milieu de XIXe siècle, date à laquelle les habitants de l’île ont réinvesti leur ancienne capitale qui, après sa destruction par les razzias malgaches, avait pris place à Dzaoudzi dans les années 1790. Mais la première intervention de restauration documentée a lieu à la toute fin des années 1970, avec notamment l’adjonction sud et la réfection intégrale des enduits, conduisant malheureusement à la disparition de nombreux éléments funéraires au nord. Au début des années 1990, un réaménagement plus conséquent a lieu avec la création d’un patio à l’ouest et d’un minaret faisant appel aux nouvelles techniques de constructions alors développées à Mayotte depuis une quinzaine d’année. Quelques temps plus tard (avant 1995), une extension en béton armé et parpaings est ajoutée au nord, obstruant le mur de qibla. À partir de 2005, le patio à l’ouest est transformé en espace clos et couvert sur deux niveaux (mosquée dite contemporaine), afin d’augmenter l’espace de prière (Fig. 1).
Figure 1 : Plan de la mosquée de Tsingoni: en rouge, les parties historiques (Agence Gatier, 2022)
Après une inscription en décembre 2012, la mosquée ancienne, les deux mausolées shiraziens et le sol ont fait l’objet d’un classement au titre des Monuments historiques par arrêté ministériel du 25 mars 2015. En 2017, le minaret, œuvre de l’architecte Léon Attila Cheyssial et un des premiers minarets de Mayotte, est inscrit au titre des Monuments historiques. Concomitamment, la Mairie de Tsingoni a initié de nouveaux travaux d’aménagements du site, auxquels la DAC Mayotte a apporté sa contribution financière, uniquement sur les parties protégées au titre des monuments historiques ou sur des interventions qui permettaient d’en assurer la conservation : dès les premières phases d’études (2014), puis pour la restauration du minaret et l’étanchéité de la mosquée (2016), pour la restauration du clos et couvert (2017), pour la mission de maîtrise d’œuvre (2018) et enfin pour la fouille archéologique préventive (2023) ainsi que les travaux actuels de restauration, sur les crédits du Plan de Relance. Par dérogation du Préfet de Mayotte, un taux de 100% a été exceptionnellement appliqué à ces subventions depuis 2016. De même, la fouille archéologique préventive, dont la charge revient d’après le code du patrimoine à l’aménageur (L. 523-8), est financée à 100% par l’État/Ministère de la Culture (357 903,74 €).
Dans le cadre de la restauration de la mosquée et de l’aménagement de ses abords, un programme architectural et technique (PAT) a été lancé en octobre 2018. La mission de maîtrise d’œuvre a été confiée à Pierre-Antoine GATIER, Architecte en chef des Monuments historiques (ACMH). En 2022, l’APD a reçu l’avis très favorable de l’Inspecteur général du patrimoine (IGP) compétent pour Mayotte et le PRO-DCE a été remis par la maîtrise d’œuvre en mai. Le projet prend en compte l’aménagement de la mosquée moderne et la mosquée ancienne, ainsi que les abords. L’opération a été montée ainsi afin de réaliser les travaux d’un seul tenant, sous la maîtrise d’ouvrage de la Mairie de Tsingoni et financé par la DAC Mayotte sur des crédits du Plan de Relance (690 000 €).
Préalablement au chantier de restauration, une fouille archéologique préventive a eu lieu du 3 juillet au 15 septembre 2023, dans la continuité du diagnostic réalisé en 2016. Celle-ci a été confiée à l’Inrap et doit permettre d’appréhender l’évolution complexe du bâtiment par la fouille sédimentaire sur 285 m² à l’intérieur et à l’extérieur de la mosquée classée, ainsi que par l’archéologie du bâti (post-fouille en cours). Cette opération archéologique a débuté avec les premiers travaux de purge des enduits et de dépose du sol intérieur de la mosquée, qui devaient mettre à nu les maçonneries afin de les rendre lisibles (Fig. 2).
Figure 2 : Retrait des enduits ciments lors de la fouille archéologique préventive (cl. Inrap, 2023)
Le chantier de restauration des parties protégées au titre du code du patrimoine est réalisé sous Le contrôle scientifique et technique (CST) de l’Architecte des bâtiments de France (ABF) / Conservateur des Monuments Historiques, Etienne BERGDOLT, pour la DAC Mayotte. Le parti de restauration a été pris dans un objectif de conservation maximale de la matière d’origine, en restituant des dispositifs historiques disparus ou modifiés, tout en conservant les différentes strates historiques qui ont participé à l’évolution du site et de l’édifice.
Ainsi, l’adjonction nord en parpaing/béton est retirée afin de retrouver l’aspect ancien du mur de qibla, avec la loge du muezzin, ce qui permettra de redonner au bâtiment sa ventilation naturelle d’origine : en ce sens, la baie obstruée sur le mur nord sera rouverte. Le mihrab en pierres de corail devra retrouver ses décors sculptés, aujourd’hui noyés dans la peinture (Fig. 3). La toiture sera intégralement refaite afin de mettre hors d’eau l’édifice et le sol intérieur sera abaissé de 20 à 30 cm, pour retrouver un état historique qui nécessitait une marche pour descendre dans la mosquée, ce dont se souvenaient encore certains usagers.
Figure 3 : Décors du mihrab (1538), dégagé de sa gangue de peinture (cl. DAC Mayotte, 2024)
L’intérieur et l’extérieur de la mosquée avaient été recouverts entre 1980 et 2005 d’un enduit ciment qui posait un problème pour la pérennité des murs maçonnés en blocs de corail et de grès de plage : risques de décollements, blocage de la respiration des maçonneries, en particulier en pied de mur. Par ailleurs, il apparaît grâce à l’archéologie que, comme la plupart des édifices de cette époque, les murs de la mosquée ont probablement toujours été recouverts d’une couche d’enduit plus ou moins épaisse, ce qui permettait de préserver les murs de l’humidité. Historiquement, le mortier était fabriqué à base de chaux corallienne et de sable de plage.
L’enduit ciment déposé lors de la fouille archéologique en 2023 est donc remplacé par un enduit à la chaux hydraulique naturelle blanche NHL 3,5, sans adjuvant ni ciment. Après la régénération des cœurs de maçonnerie par coulis gravitaire de chaux, l’application comprendra un gobetis de 5 à 8 mm, d’un corps d’enduit de 15 à 20 mm, puis une couche de finition de 5 à 7 mm ; le tout appliqué manuellement à la truelle et à la langue de chat. L’utilisation de sable de plage étant aujourd’hui interdite, c’est le sable basaltique des carrières mahoraises qui a été utilisé, ce qui donne une teinte grise au gobetis et au corps d’enduit. Toutefois, suite à plusieurs essais concluants en jouant sur sa composition (Fig. 4), la couche de finition prendra une teinte beaucoup plus proche de la chaux historique et aura un aspect coupé et gratté, au plus proche des plus anciennes photographies connues du monument dans les années 1980 (Fig. 5).
Figure 4 : Essais d’enduits de finition : à gauche, la solution retenue (cl. DAC Mayotte, 2024)
Figure 5 : Texture historique recherchée pour l’enduit de finition (cl. Y. Augeard, 1985)
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