La notion de patrimoine - Bien commun de la Nation
› Révolution et "vandalisme"
L’émergence, en France, de la notion de patrimoine trouve ses origines à la fin du XVIIIe siècle dans le sillage de la Révolution. Le saccage de monuments emblématiques et la destruction systématique des oeuvres d’art qu’ils contiennent font l’objet de critiques virulentes . Le terme "vandalisme" apparaît en 1793 pour dénoncer ces destructions. Au même moment, les biens confisqués à l’Église, puis à la noblesse et à la Couronne, acquièrent le statut de "biens nationaux" : ils sont le patrimoine de la Nation qui a désormais la responsabilité de choisir ce qui mérite d’être transmis aux générations futures. Beaucoup de monuments sont toutefois vendus, transformés en entrepôts ou dépecés pour la vente de leurs matériaux.
› Naissance d’une politique de protection
Après les bouleversements de la Révolution et de l’Empire, la Restauration, à partir de 1815, a le souci de refonder une identité collective. La reconstruction de la mémoire nationale s’appuie sur deux disciplines naissantes : l’archéologie, d’abord, mais aussi l’étude des monuments anciens promue par les "antiquaires" (on ne parle pas encore d’historiens de l’art). La création, en 1830, d’un poste d’inspecteur général des monuments historiques traduit cette volonté et affirme l’émergence d’une politique patrimoniale nationale. À partir de 1837, la commission des monuments historiques assiste l’inspecteur général ; elle donne un avis sur le choix des monuments à protéger et sur la nature des travaux à engager. Une doctrine en matière de restauration s’élabore ainsi progressivement.
› Sélection des "monuments historiques"
Le patrimoine monumental français a souffert autant du vandalisme révolutionnaire que du manque d’entretien qui l’a suivi. Au début du XIXe siècle, de nombreux édifices remarquables sont dans un état alarmant. La première tâche de l’inspecteur général est de définir les priorités d’intervention : dans chaque département est ainsi dressée la liste des monuments d’architecture requérant le concours de l’État pour la réalisation de réparations urgentes. Ce travail de sélection aboutit en 1840 à une première liste de 1090 "monuments historiques" ; cette liste sera révisée et enrichie en 1842, 1848, 1862 et 1875. La IIe République, le Second Empire, puis la IIIe République confirment le service des monuments historiques dans ses missions : dès le milieu du XIXe siècle la conservation des monuments d’art et d’histoire fait l’objet d’un large consensus.
› "Une loi suffirait, qu’on la fasse" (V. Hugo, 1825)
Jusqu’en 1887, la protection des monuments historiques se limite au "classement" des édifices sur une liste publiée par décret, mais ne s’appuie sur aucun texte législatif : même "classés", les édifices remarquables appartenant à des propriétaires privés ou aux communes peuvent être démolis. Les protestations du service des monuments historiques n’empêchent ainsi pas la démolition de monuments tels que l’hôtel de la Trémoïlle à Paris (1841), l’Hôtel- Dieu d’Orléans (1846), les remparts gallo-romains de Dax (entre 1858 et 1876) ou ceux, médiévaux, de Dinan (1881). Élaborée à partir de 1877, la première loi sur les monuments historiques est finalement promulguée le 30 mars 1887. Elle est consolidée par la loi du 31 décembre 1913 toujours en vigueur et intégrée en 2004 au code du patrimoine.
Quoique appauvrie par les dévastations révolutionnaires, par les spéculateurs mercantiles et surtout par les restaurateurs classiques, la France est riche encore en monuments français. Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait, qu’on la fasse […] Il y a deux choses dans un monument : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde. C’est donc dépasser son droit que de le détruire
Victor Hugo, Guerre aux démolisseurs, 1825
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