Monument emblématique des Hautes-Alpes, la cathédrale Saint-Arnoux, située à Gap, fut construite à la fin du 19ème selon les plans des architectes M. Laisné et M. Goulain. Consacrée en 1895, elle est classée monument historique le 9 aout 1906.
Yann Visseaux, Ingénieur du Patrimoine en charge du département des Hautes-Alpes et Emilie Avizou, chargée du Plan relance, tous deux agents à la Conservation régionale des monuments historiques de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Provence-Alpes-Côte d'Azur (DRAC PACA) nous apportent quelques précisions sur les travaux en cours et l’impact de la démarche écologique sur la protection des nidifications.
Les travaux de restauration des couvertures permettront de mettre hors d’eau la cathédrale et ainsi de protéger sa structure des dégradations et fragilisations qui pourraient être accélérées par le contact de l’eau, des gels et par voie de conséquence d’assurer la sécurité du public.
La date initiale du début de chantier a été décalée suite à la réalisation d’un diagnostic écologique attestant la présence d’espèces d’oiseaux protégées (hirondelles de rochers et de fenêtre, martinets, faucons crécerelle) dans l’environnement immédiat de la cathédrale. Dans un souci de préservation de la nidification, la DRAC PACA a fait appel à la Ligue Protectrice des Oiseaux (LPO) pour envisager des mesures dites compensatoires, ayant le plus faible impact possible sur l’écosystème existant.
"Nous savions que des espèces protégées étaient présentes sur le site. La LPO a été rapidement contactée afin que nous puissions au mieux trouver des alternatives. Les représentants nous ont accompagnés pour la constitution du dossier de demande de dérogation à l’interdiction de destruction et perturbation d’habitats d’individus et d’espèces protégées."
Après des travaux en 2010 (consolidation de la voûte du chœur et intérieur de la chapelle Saint-Arnoux), un diagnostic en 2014 a révélé la nécessité de restauration des façades et des couvertures. Après les façades, il restait les couvertures dont la restauration, légèrement initiée, a été confirmée par l’arrivée du Plan de Relance.
Le maître d’œuvre de ce projet est Michel Trubert, Architecte en Chef des Monuments Historiques territorialement compétent. Deux tranches de travaux sont prévues :
• une tranche ferme concerne la nef, le transept et les bas-côtés
• une tranche optionnelle concerne le chevet.
Les crédits reçus pour mener à bien cette opération s’élèvent à 1, 4 millions d’euros.
Portrait de la relance : la cathédrale Saint-Arnoux à Gap (05)
La protection des espèces présentes sur le site, l'intervention de la LPO
Par incitation ministérielle, la biodiversité doit être prise en compte lors de rénovation, de restauration de monuments historiques. Les exemples sont de plus en plus nombreux et dans notre région aussi.
Les espèces présentes au sein de l’édifice ne peuvent-elles pas être préjudiciable à sa structure et conservation ?
« C’est toujours le problème, il y a toujours plusieurs réglementations et préoccupations qui se croisent. Effectivement, les déjections des oiseaux peuvent altérer la pierre. Il faut croiser et prendre parti. Il faut trouver un juste milieu entre préservation du lieu et préservation des espèces. »
Dans le cas de la cathédrale de Gap, du fait de la présence d’espèces protégées (hirondelles de fenêtre et de rocher, martinets noirs, faucons crécerelle), une dérogation à cette protection (interdiction de destruction et perturbation d’habitats) est nécessaire afin d’effectuer les travaux. Un certain nombre de préconisations a été imposé par la DREAL, instructeur du dossier de demande de dérogation : mesures de réduction (accès aux nids naturels, nichoirs artificiels et reconstruction des nids), mesures compensatoires (remplacement des nids et création de site de nidification de martinets noirs) et mesures d’accompagnement et de suivi (étude des chiroptères, accompagnement écologique durant les travaux et suivi à l’issue des travaux).
La Ligue Protectrice des Oiseaux : interview de Valérie Vincent et Michel Vergès
Valérie Vincent et Michel Vergès, membres actifs de l’association LPO PACA, intervenant en soutien et conseil pour préserver la biodiversité en ville sur le chantier de la Cathédrale Saint-Arnoux de GAP, se sont prêtés à nos questions.
"L’installation de nichoirs provisoires pour les hirondelles est une première en France. Nous espérons que ce chantier initié par la DRAC PACA servira d’exemple et de tremplin à d’autres."
En tant que membres bénévoles de la LPO, notre mission première est de préserver la biodiversité. Nous travaillons à concilier cette nécessaire préservation avec tous les problèmes qu’on rencontre dans le bâti qu’il soit moderne ou ancien. La petite faune du bâti doit pouvoir continuer à exister malgré les spécificités et contraintes qu’il peut y avoir quand on travaille sur un Monument Historique, par exemple.
Ce qui nous a amené à intervenir, dans ce cas précis, est une réelle opportunité. Depuis des années, les groupes locaux de la LPO sont sensibles à la perte de biodiversité. Nous collaborons avec certains organismes nationaux et internationaux dans la réalisation d’inventaires pour mieux mesurer l’état des lieux de la biodiversité et son évolution. Au travers de ces inventaires nous recensons les sites de notre secteur, en l’occurrence le bassin gapençais, et ces suivis nous amènent à constater la perte ou la diminution des colonies en place pour des causes diverses et variées : abattage d’arbres, travaux de démolition et/ ou rénovation… La perte d’espèces est visible dans le milieu urbain. Notre volonté est d’intervenir en amont, de manière à détecter les chantiers qui vont avoir lieu et prendre contact avec les gestionnaires pour leur expliquer les enjeux des sites dont ils ont la charge, la façon de les gérer en préservant la biodiversité, le coût de telles mesures. Nous cherchons à leur proposer des solutions techniques. Nous avons une expertise en tant que connaisseurs de la biodiversité, certains d’entre nous sont bénévoles, mais nous pouvons aussi mettre les aménageurs, s’ils le désirent, en relation avec notre réseau de professionnels. Nous avons créé un réseau nommé U2B (Urbanisme Bâti et Biodiversité) dont le but est de mettre en relation les aménageurs, que ce soient les maîtres d’œuvre, d’ouvrage, les architectes, les collectivités territoriales, les services de l’État, les entreprises du BTP … et d’échanger des informations réglementaires et techniques pour la gestion des chantiers afin qu’ils en maîtrisent certaines contraintes essentielles. Les périodes de faisabilité des travaux selon la saison, notamment hors nidification pour les oiseaux ou hors présence pour les migrateurs, les solutions techniques en amont du chantier, les coûts… Nous avons une réelle envie de les sensibiliser à la biodiversité et à ses enjeux, car il s’agit d’une impérieuse nécessité.
Concernant la cathédrale Saint-Arnoux, notre collaboration a commencé lors du chantier de rénovation des façades en 2020. M Visseaux avait pris contact avec l’OFB de Gap suite à la découverte, par les entreprises, de nids d’hirondelles. L’OFB l’a dirigé vers nous. En concertation avec la DREAL, nous avons apporté des conseils. La DRAC avait apporté une vigilance particulière à ne pas détruire les nids d’hirondelles.
En 10 ans en France :
La population des martinets noirs a baissé de 47 %
La population des hirondelles de fenêtre a baissé de 34 %
En 2021, suite aux crédits du Plan de Relance, M Visseaux nous a recontactés pour savoir comment réussir à conduire les travaux dans les délais impartis par le plan, c’est-à-dire pendant la période de nidification tout en préservant les espèces sur site en limitant l’impact des travaux sur la reproduction. Pour ce faire, une demande de dérogation a été déposée auprès de la DREAL PACA et soumise au CSRPN. C’est une bonne démarche que de contacter une association environnementale. Les engagements pris par la DRAC concernant la préservation des espèces ont permis que la demande de dérogation soit acceptée par la commission. Dans cette demande figuraient des mesures de réduction des impacts et de conservation, telle que l’installation de différents nichoirs provisoires selon le type et le nombre d’espèces protégées présentes (accessibles pendant les travaux), mais aussi une organisation de l’installation et de la disposition des échafaudages. A l’heure actuelle, 50% des nids naturels restent accessibles mais seulement 10 % sont utilisés quand les échafaudages gênent l’accès. Malgré le dérangement lié aux travaux, la colonie est présente et active et les nids artificiels ont un succès relatif.
En octobre 2021, la LPO a organisé une réunion d’information avec M Visseaux, M Passavy, Mme Tognini, M Gascuel et un représentant de l’OBF pour présenter le problème aux services de l’État. Effectivement, notre principale demande était le respect de la période d’Evitement, c’est-à-dire le report des travaux hors période de nidification, soit entre la mi-octobre et la mi-avril. Il faut savoir que nous avons conseillé à défaut des mesures de réduction d’impact voire une politique compensatoire à laquelle la DRAC PACA a souscrit. En cas de destruction d’un nid naturel, il doit être remplacé par un nichoir artificiel au même endroit afin d’offrir aux espèces les mêmes possibilités qu’avant travaux. A ce jour, nous n’avons connu aucune destruction sur ce site pour cette tranche de travaux. S’agissant d’un Monument Historique, il est envisageable d’installer le nichoir artificiel à proximité du nid détruit afin de préserver également le bâtiment. Il faut trouver le juste équilibre entre la préservation de l’édifice et celle de la biodiversité, tout est question d’adaptation et d’échanges. Nous sommes associés au suivi de ce chantier. Par ailleurs le bureau d’étude ASELLIA Écologie, spécialisé dans les chiroptères, rédige les comptes rendus à la DREAL en tenant compte de nos observations.
Actuellement à GAP, nous travaillons sur un chantier avec des points de similitudes. Il s’agit d’un monument ancien de type industriel, les anciens silos. Un véritable projet de reconversion est en cours. Sont présents sur le site des hirondelles de fenêtres, des martinets et des chiroptères. Les travaux vont s’étendre sur 3 ans. La méthode de préservation choisie ressemble beaucoup à celle de la cathédrale. La destruction du bâtiment se fait progressivement, on remplace les nids naturels détruits par des nichoirs artificiels, au fur et à mesure de l’évolution du chantier, afin de minimiser l’impact et de perturber le moins possible les espèces. Une mare de boue a aussi été installée pour favoriser la construction des nids des hirondelles. Cela donne naissance à un petit écosystème, comme à Saint Arnoux, avec la venue de nombreux insectes… un garde-manger qui arrive à point nommé pour nos amis volatiles. Sur le chantier de la Cathédrale, celles-ci ont un véritable succès. Avant même que les mares de boue ne soient complètement remplies, les insectes proliféraient déjà : guêpes, papillons, mouches… Cela demande un entretien fréquent. Au moins une fois par semaine, nous allons les réapprovisionner en eau, notamment en ce moment avec la sécheresse que nous connaissons.
Nous essayons, en quelque sorte, d’accompagner l’évolution de la ville afin de limiter la fuite de colonies d’hirondelles que ce soit à cause de la destruction de leurs habitats naturels ou la diminution de leurs ressources alimentaires. Si la nourriture environnante vient à manquer, nous aurons des pertes sur les naissances et les colonies pourraient déménager ailleurs. L’idée reste de préserver leur autonomie, l’essentiel de ce qui est mis en place est provisoire, nous ne devrions pas, nous substituer à elles quant à la construction de leur habitat ou son entretien.
En PACA, une des villes les plus impliquées dans la préservation de la biodiversité est la ville de Toulon labellisée « Ville Nature » en 2017 pour son action envers les martinets qui sont intégrés dans les documents d’urbanisme. On peut également citer dans le même domaine Hyères et la Seyne-sur-Mer ou encore Embrun pour les Hautes Alpes.
Nous avons différentes casquettes : d’abord, nous sommes lanceurs d’alerte. Nous avertissons, plus ou moins, dans l’urgence, selon si nous avons été informés ou pas en amont des chantiers, de la présence d’espèces protégées. Nous nous devons aussi de prévenir les entrepreneurs des risques juridiques qu’ils encourent en ne prenant pas les précautions adéquates de préservation des espèces protégées présentes. Ensuite nous avons un rôle de soutien et de conseil, puis enfin nous fournissons une forme bénévole d’accompagnement tout au long du chantier. Nos inventaires successifs sont importants pour le suivi après le chantier. Souvent, les aménageurs doivent engager un Bureau d’Étude qui assurera ce suivi auprès des services de l’État sur une période minimum de trois ans quand le chantier est terminé.
A la différence d’un bureau d’étude professionnel, en tant qu’association, nous avons l’avantage d’être disponibles et de bien connaître les secteurs recensés, ce qui apporte une complémentarité intéressante pour l’écologue professionnel.
Cependant pas nous ne devenons pas légalement responsables du bon déroulement des mesures de réduction ou de compensation, c’est l’aménageur qui reste responsable de son chantier et de la protection des espèces.
Même si l’idéal reste l’évitement, nous tenons à remercier le ministère de la Culture et plus précisément la DRAC PACA et l’UDAP 05 d’avoir joué le jeu de la transparence pour que nous puissions mener à bien ce travail d’observation. On accumule ainsi des connaissances qui vont bénéficier à tout le monde.
Ce qu’il faut garder en tête, c’est que dans une négociation tout le monde y perd. L’important est d’arriver à un compromis qui puisse satisfaire les différentes parties, en minimisant les conséquences à tous les niveaux de la façon la plus juste possible : financiers, délais, bâti et évidemment biodiversité…
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