On ne présente plus Marie-José Perec, Christine Caron ou Laure Manaudou, dont les exploits aux Jeux olympiques restent à jamais gravés dans la mémoire collective. Pourtant, malgré la réussite exemplaire de ces championnes iconiques, les femmes ont longtemps été les parents pauvres du mouvement olympique. Ce n’est qu’à l’issue d’un long combat, souvent âpre, toujours difficile, qu’elles ont pu obtenir de haute lutte la place qui est la leur aujourd’hui : la première. Une remarquable exposition labellisée Olympiade Culturelle, « Les Elles des Jeux » au musée national du sport, à Nice, retrace et documente à partir du 8 novembre le parcours de cette conquête qui fut tout sauf un long fleuve tranquille.
Une traversée des Jeux olympiques
En 1896, lors des premiers Jeux olympiques de l’ère moderne, c’était assez mal parti pour les femmes. Le Français Pierre de Coubertin, à l’origine de cette initiative sportive appelée à connaître le succès que l’on sait, est tout entier mobilisé à remettre les célébrations antiques au goût du jour, mais il n’est guère préoccupé, euphémisme, d’y convier les femmes. Celles-ci furent inscrites aux abonnés absents lors des jeux d’Athènes, puis réduites, au mieux, à pratiquer quelques activités de loisirs (golf, tir à l’arc, etc.) à l’occasion des olympiades suivantes. « Pierre de Coubertin tout rénovateur qu’il fut, était un homme de son temps », résume Thomas Fanari, chef du pôle développement et communication du musée national du sport.
Cent trente ans plus tard, c’est tout l’inverse. Le sport féminin, qui a déjà largement acquis ses lettres de noblesse, va connaître, à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, une manière de consécration. Pour la première fois, 50% des 10 500 athlètes engagées dans la compétition, originaires de 206 pays, devraient être des femmes. L’horizon de la parité, qui paraissait une utopie inatteignable au début du siècle, est enfin sur le point d’être atteint. L’exposition l’a bien compris, qui met en scène de façon spectaculaire les deux pôles de cette trajectoire historique. « À la fin du parcours, une grande projection illustre et met en perspective cette histoire », détaille Thomas Fanari.
Sur le chemin de l'émancipation
Entre les deux, « Les Elles des Jeux » montre « tout le chemin parcouru ». A côté des figures légendaires d’hier et d’aujourd’hui, on redécouvrira avec intérêt la destinée de ces championnes un peu oubliées, comme Alice Milliat. « C’était la première femme qui a tenté de permettre aux femmes de participer aux compétitions sportives notamment aux Jeux Olympiques, en créant, en 1922, les Jeux mondiaux féminins, dont les quatre éditions, jusqu’en 1934 préfigurent les compétitions féminines qui vont enfin se mettre en place à partir de la seconde moitié du XXe siècle », note Thomas Fanari.
« L’exposition, sans être militante, a une forte dimension sociale, un choix pleinement assumé », précise Thomas Fanari. Les titres des étapes qui scandent le parcours sont à cet égard éloquents : « Elles prennent leur destin en main », « À jamais les premières », « Elles imposent leurs choix », « Elles font face aux limites du corps »… Elle montre ainsi la façon « dont les femmes ont pu être instrumentalisées dans l’histoire des Jeux, notamment par les pays appartenant au bloc de l’est du temps de l’Union soviétique. Autre forme d’instrumentalisation : l’injonction à être sportive et belle – alors que ce qui compte avant tout, c’est la performance. A ce titre, les cas spécifiques des athlètes avec des taux de testostérone importants, dont celui de Caster Semenya, sont édifiants ». Surtout, dans le contexte post MeToo, elle montre une parole des femmes qui se libère dans le sport aussi, « révélant au grand jour toutes sortes de violences, une parole d’autant plus nécessaire que les sportives, aujourd’hui encore, peuvent se trouver dans une situation difficile en raison de l’emprise de l’entraîneur », assure Thomas Fanari. Une exposition captivante autant que salubre.
Montrer le sport grandeur nature
Du côté de la scénographie, un important dispositif de médiation complète la présentation des 150 objets. « Tous les publics, et peut-être encore davantage ceux du sport, souhaitent vivre une expérience, commente Thomas Fanari, or un objet de sport n’est pas fait pour être exposé seul, on a besoin d’immersion pour le compléter, d’où la présence du multimédia, et de la médiation active, ou encore d’une piste d’athlétisme au sol ». À l’évocation de cette piste, impossible de ne pas revoir les images des courses légendaires de Marie-José Perec ou Christine Caron, « à jamais les premières » décidément. Comme celles, nombreuses, qui, parions-le, leur succéderont demain.
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