Mesdames et Messieurs,

C’est une grande joie de vous retrouver ce matin pour inaugurer l’Alfred Merlin, à deux pas d’un des plus anciens ports de notre pays. Je suis particulièrement honorée d’être la marraine de ce navire, qui constitue le nouveau fleuron des flottes scientifiques françaises.

A peine sorti du chantier iXblue de La Ciotat, il rejoindra vite son frère d’armes, l’André Malraux, pour porter haut les couleurs de l’excellence scientifique de la France, sur toutes les mers du globe.

Mesdames et Messieurs, le grand archéologue français Salomon Reinach le disait déjà en 1928 : « La mer est le plus grand musée du monde ». Mais il a fallu un peu de temps pour forger les outils capables de se lancer dans l’exploration de ces trésors cachés au fond des océans.

Une étape décisive fut franchie en 1966, quand André Malraux décida de créer la Direction des recherches archéologiques sous-marines.

 Il l’a installée en aplomb de cette esplanade, au Fort Saint-Jean. André Malraux : ce n’est pas étonnant de la part de l’aventurier qu’il avait été, de cet épris d’absolu fasciné par le lointain, les profondeurs. Malraux avait une conception très extensive de la culture, cosmique – universelle au sens le plus accompli du terme : qui allait jusqu’au fond des mers, donc. Cette conception est au fondement même de notre ministère français de la culture : il n’est pas inutile de le rappeler au passage, aujourd’hui.  

Il fut immédiatement convaincu de l’importance d’étudier et de sauvegarder l’immense patrimoine gisant sur nos fonds marins, jusque-là méconnu.

Il voulait que la France dispose des moyens nécessaires pour étudier ces précieux témoignages de l’aventure humaine sur les océans, et les défendre contre la curiosité destructrice des amateurs et des chasseurs de trésors. Son objectif était de faire partager au plus grand nombre les richesses des épaves englouties ainsi que celles de ces sites autrefois littoraux, désormais submergés par les eaux.

Il a ainsi permis le fantastique développement d’une discipline encore balbutiante. Ce n’est qu’un quart de siècle auparavant que Jacques-Yves Cousteau et Emile Gagnan avaient développé le scaphandre autonome, qui avait libéré les archéologues des contraintes imposées par les scaphandriers « pieds lourds ».

Afin de permettre au DRASSM d’être à la hauteur de cette ambition, André Malraux avait pris la décision de le doter d’un premier navire, L'Archéonaute, désarmé en 2005, après de quarante ans de bons et loyaux services.

Il est très vite apparu indispensable de lui donner un successeur, tant les missions qu’il avait remplies s’étaient révélées décisives pour l’avancement de la recherche.

L’André Malraux, baptisé le 24 janvier 2012, incarnait ainsi la poursuite d’une des aventures les plus originales du ministère de la culture.

Ce navire répondait alors aux exigences scientifiques les plus ambitieuses, et il n’a cessé de se montrer à la hauteur de nos attentes.

Depuis bientôt dix ans, il effectue en moyenne 160 jours de mission par an, durant lesquels il parcourt près de 8 500 milles, pour plusieurs milliers d’heures de plongées. Mais il est aussi une véritable base scientifique à bord de laquelle se sont déroulées plus de 10 000 heures d’études depuis 2012.

L’Alfred Merlin témoigne de notre volonté d’amplifier encore nos efforts pour les années à venir. Ce nouveau navire hauturier, doté des toutes dernières technologies, permettra à nos recherches de prendre un nouvel essor et rendra possible de nombreuses découvertes dans les années à venir.

Aujourd’hui, lexploitation des ressources des grands fonds marins, l’aménagement portuaire ou encore la production d’énergie verte, sont autant d’enjeux d’avenirs pour notre société. Ils présentent néanmoins un risque pour l’extraordinaire patrimoine archéologique du domaine maritime français.

Se pose donc la question des moyens disponibles pour réaliser, en métropole comme dans les outre-mer, les indispensables missions d’archéologie préventive, prévues par le code du patrimoine.

C’est pour répondre à ce défi qu’a vu le jour le projet d’un second navire de recherche de haute mer. Sur la base des conclusions du Comité interministériel de la mer, mon prédécesseur, Franck Riester, a pris la décision d’en lancer la construction en février 2019, et de la confier, comme pour l’André Malraux, au bureau Mauric et au chantier iXblue, avec le soutien financier de l’ADEME dans le cadre de l’appel à projets « Navires du Futur ». Je tiens particulièrement à saluer le travail d’iXblue, entreprise française de haute technologies vraiment exceptionnelle, qui va pouvoir maintenant, à partir du prototype que nous inaugurons aujourd’hui, commercialiser ses solutions dans le monde entier.

L’Alfred Merlin, que nous lançons, est un concentré de technologies innovantes. Dix mètres plus grand que l’André Malraux, d’une capacité double, il parcourra les mers pendant les cinquante années à venir.

Sa coque est la plus longue coque composite construite à ce jour, dans le cadre d’un programme novateur de recyclage des matières composites.

Le navire dispose d’un portique de levage unique au monde, d’équipements scientifiques hors pair, ainsi que d’une flotte de robots développés par le DRASSM et Le Laboratoire d'Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier.

Le tout récent robot télé-opéré « Arthur », sera ainsi capable d'intervenir jusqu'à une profondeur de 2 500 mètres, d'où il pourra ramener des objets pesant jusqu'à 25 kg.

Y a-t-il plus belle illustration des savoir-faire scientifiques et technologiques français que ce navire ? Je tiens à saluer l’ensemble des équipes, ingénieurs, techniciens et ouvriers, qui ont participé à sa construction, en particulier durant ces mois difficiles de crise sanitaire.

Je suis sûre que ce bateau-prototype sera le premier d'une longue série et que d'autres pays souhaiteront, comme nous, en faire l’acquisition.

Je remercie également la société BOURBON Offsfore, entreprise marseillaise de renommée mondiale, à laquelle le ministère de la Culture vient de confier pour les trois prochaines années la gestion des équipages des deux navires de haute mer de la DRASSM. 

Le choix de donner à ce navire le nom d’Alfred Merlin est particulièrement symbolique. Normalien, membre de l’école française de Rome et Académicien, ce dernier a dirigé de 1907 à 1913 la première fouille sous-marine mondiale, celle de l’épave de Mahdia, un navire de marchand grecs chargés de sculptures.

Son exemple témoigne de l’excellence française en matière d’archéologie sous-marine, ainsi que de l’ambition du Ministère de la Culture de porter des projets aussi novateurs que pionniers dans le domaine scientifique.

Je sais que la famille d’Alfred Merlin est à nos côtés aujourd’hui. Je voudrais saluer en particulier Mathilde Labbé, son arrière-petite-fille, chargée de mission pour la Façade Méditerranée à l’Office français de la biodiversité et spécialiste de la gestion intégrée des écosystèmes littoraux et marins et de la gestion des risques environnementaux.

Vous avez en quelque sorte repris le flambeau de votre aïeul, et je suis sûr que vous porterez chance à ce navire ainsi qu’à son équipage!

L’agenda de l’Alfred Merlin est déjà chargé. Il doit en effet participer cet été à la première coopération internationale mise en place afin de protéger un site situé dans les eaux internationales, les Bancs de Serki. Huit pays méditerranéens, dont la France, comptent sur l’Alfred Merlin pour leur servir de plateforme logistique afin de préserver ce patrimoine archéologique exceptionnel.

Mais avant cette mission d’importance, les prochains jours verront la première campagne d’essai en mer du robot « Arthur » afin de valider ses performances à 2 500 mètres de profondeur, puis une campagne d’essais en mer du robot humanoïde « Ocean One K », conçu pour travailler par 1 000 mètres de profondeur.

Permettez-moi enfin de rendre un hommage appuyé à Michel L’Hour, directeur du DRASSM de 2006 à ces derniers jours, sans lequel ces formidables réalisations n’auraient pu voir le jour. Son engagement et son charisme au sein de la Direction générale des patrimoines et de l’architecture ont été décisifs pour faire avancer le processus ministériel de ratification de la convention de l’UNESCO de 2001 sur la protection du patrimoine subaquatique.

Le baptême de ce navire est donc le symbole d’un engagement fort et durable de l’État, non seulement au service du patrimoine et des sciences du patrimoine, mais aussi dans la recherche-développement.

Les innovations dont ce navire regorge constituent pour plusieurs d’entre elles de véritables ruptures qui marqueront, je le sais, l’industrie navale.  Je ne saurais donc trop vous inviter à visiter ces deux navires, ici accueillis dans le bassin du Mucem, sur lesquels vous pourrez également découvrir l’arsenal robotique mis au point par le DRASSM. Ils sont une source infinie de curiosité et d’émerveillement.

Cet émerveillement, je souhaite aujourd’hui qu’il puisse être partagé avec le plus grand nombre. De nombreuses initiatives ont été prises, je le sais. Mais les activités du DRASSM restent, aujourd’hui encore, trop méconnues. Je forme le vœu qu’elles puissent, dans les années qui viennent, faire l’objet de davantage de publicité, notamment auprès des jeunes. Tout en restant concentré sur son cœur de métier – la recherche archéologique sous-marine – il me semble que le DRASSM pourrait avec profit davantage développer ses actions de médiation et aller à la rencontre du public. Je suis absolument convaincue que le succès sera au rendez-vous.

Mesdames et Messieurs, voici 55 ans que le ministère de la Culture explore le fond des mers. Nous pouvons être collectivement fiers. Grâce à l’engagement de ses experts, l’archéologie subaquatique et sous-marine française est devenue une référence mondiale. Je sais pouvoir compter sur votre engagement à tous pour qu’il en soit encore longtemps ainsi.

Il m’appartient désormais de procéder au « baptême » de ce navire avant qu’il parte pour sa première mission !

 

Je vous remercie.