A l’évidence, tous les éléments étaient réunis pour faire de Golshifteh Farahani une marraine emblématique du Printemps des poètes. Une évidence qui tient autant au fait qu’elle vienne d’un pays, l’Iran, qui, à la suite de Roumi, le grand poète persan du XIIIe siècle, n’a cessé de donner ses lettres de noblesse au genre poétique, qu'à ses propres choix artistiques : la comédienne a été – qui ne s’en souvient pas ? – l’interprète solaire de films d’Abbas Kiarostami, Marjane Satrapi ou Atiq Rahimi. Enfin – autre signe plaidant en sa faveur – quoi de plus poétique que son prénom, qui signifie, en persan, « éprise de la fleur » ?
Mais là où le choix de Sophie Nauleau, la directrice artistique de la manifestation, s’avère vraiment pertinent, c’est dans l'adéquation entre Golshifteh Farahani et la thématique de cette édition. Qui connaît mieux la forme d’urgence que donne la conscience de l'éphémère – c'est le thème du Printemps des Poètes – que la comédienne qui a dû quitter son pays à quatorze ans ? « Tu ne peux rien tenir dans la main et te persuader que tu l’as pour toujours », lui fait dire sa compatriote Nahal Tajadod dans Elle joue (Albin Michel, 2012), un roman où elle retrace l’itinéraire de la jeune comédienne. « Cela fuira inévitablement, s’évaporera, coulera. Tu ouvres ta main et tu n’y trouves rien, rien. À quatorze ans, j’ai compris ça. Depuis ce moment-là, je veux être comme cette chose dans la main, insaisissable volatile et n’appartenant à personne ».
De quelque côté que l’on se tourne, la poésie semble toujours présente autour de Golshifteh Farahani.
La poésie comme identité
Être la fille d’un acteur et metteur en scène de théâtre, Behzad Farahani, et d’une comédienne et peintre, Fahimeh Rahimnia, ouvre certainement en grand la voie vers la poésie. Pour autant, il n’est pas dit que celle-ci, reçue en héritage dès le berceau, s’imprime ensuite si fort qu’elle est devenue indissociable de son identité.
Si l'identité de la comédienne est poétique, c’est peut-être d’abord dans sa façon de se reconnaître citoyenne du monde. Quand elle revient sur son départ d’Iran à l’âge de quatorze ans, départ qu’elle n’a jamais voulu mais auquel le pouvoir politique, qui voyait d’un mauvais œil sa carrière internationale naissante, l’a contrainte, elle a ses mots : « En quittant mon pays, j’ai gagné le monde et mon pays, je n’ai rien perdu ». De la poésie en actes, tout simplement.
Et puis, il y a le vaste monde, qu’elle dévore à travers ses choix artistiques. Le New Jersey pour Paterson de Jim Jarmush aux côtés d’Adam Driver – qui n’est autre dans le film qu’un chauffeur de bus écrivant des poèmes inspirés de son quotidien,en hommage aux œuvres de William Carlos Williams… Paris dans Les deux amis de Louis Garrel. Tunis dans Un Divan à Tunis de Manele Labidi… Mais aussi dans les pays et territoires réels d'une planète sans frontières, qu'elle n’a de cesse de découvrir et d’éprouver.
Amir est la liberté, le possible, l’admissible, il est le visa, le laisser-passer, le sauf-conduit, avec Amir, tout est faisable, la vie est permise
Poétique, aussi, quand Golshifteh Farahani refuse toute assignation. Celle du genre, par exemple. Avant le départ forcé, il y a eu une vie en Iran, et dans cette vie une jeune adolescente qui après une attaque à l’acide choisit, pour pouvoir se promener librement dans Téhéran, de se raser la tête et de s’habiller comme un garçon. S’éprouver dans un genre différent, n’est-ce pas là aussi hautement poétique ? « Pourquoi avez-vous eu envie de cela, de devenir invisible ? » lui demandait Aurélie Charron dans « L’atelier intérieur » sur France Culture, en 2014. « Je voulais faire du vélo, je voulais être libre, je me suis rasée le crane, j’étais un garçon, je m’appelais Amir, je donnais mon numéro de téléphone aux filles dans la rue, c’était génial, c’était un moment assez intense même si c’était très dangereux pour ma famille et pour moi ».
La poésie, enfin, c’est cette idée de l’insoumission, de la liberté qui trouve dans la langue son incarnation ultime. Golshifteh Farahani, « muette » au moment de son arrivée à Paris à la table des dîners car parlant le français « d’un enfant de deux ans ». Scène saisissante quand on sait que, dans le même temps, elle a appris très vite les jurons qu’elle ne s’est en revanche jamais privée de lancer à la face des importuns ? Et c’est sans doute que quelque chose dans la langue, le son, la forme, aussi bien que la signification, l’y engageait.
De toutes manières, Golshifteh Farahani le dit toujours : « L’Iran est le pays de la poésie ».
Avec les poètes
Au sommet du Panthéon poétique de Golshifteh Farahani, il y a Roumi, le poète persan du treizième siècle, fondateur de l’ordre musulman soufi des derviches tourneurs, qui est incontournable. Lors de l’émission de France Culture déjà citée, Nahal Tajadod rappelle que le poète, après qu’il a été obligé de quitter l’Afghanistan dont il était originaire lors de l’invasion mongole, s’est réfugié en Anatolie. Elle cite ce vers : « Écoute le gémissement de la flûte qui se sépare du roseau ». Golshifteh Farahani ajoute : « Ça fait mal mais il devient une flûte ». Autrement dit, l’instrument, pour pouvoir jouer, doit être coupé de sa racine… voilà métaphore qui à l’évidence fait sens pour la marraine du Printemps des poètes.
Dans son Panthéon, il y a aussi la poétesse Tahereh, pionnière du mouvement féministe en Iran au XIXe siècle et première Iranienne à avoir retiré son voile en 1845 devant une assemblée d’hommes. Et il est fort à parier que c’est en se rappelant son œuvre et ses actes que Golshifteh Farahani, a eu la force en 2008 d’apparaître sans voile et avec un décolleté à la première de Mensonges d’État tourné sous la caméra de Ridley Scott aux côtés de Leonardo DiCaprio. C’est cet acte qui a déclenché l’ire du pouvoir et l’a obligée à quitter son pays.
Et enfin, une autre poétesse, Forough Farrokhazad, également écrivaine, actrice, réalisatrice, nomade elle aussi, autant qu’indéfectiblement attachée à l’Iran où elle revenait toujours, qui laisse derrière elle, une œuvre majeure en dépit de sa courte vie - elle est morte dans un accident de voiture en 1967 à l’âge de 32 ans. C’est à elle, qui n’a jamais voulu avoir « une vie normale », que Golshifteh pensait alors qu’elle était à quelques minutes de prendre l’avion qui allait l’emmener loin de son pays.
Depuis, des poètes de tous pays, des Français, des Européens, des Américains, les ont rejoints dans le cœur de Golshifteh Farahani. On brûlerait d’envie de connaître ceux dont les vers transportent la belle comédienne.
Le Printemps des Poètes, une 24e édition prometteuse
« Il est temps de sonder à nouveau l’éphémère, assure Sophie Nauleau, la directrice artistique du Printemps des Poètes, dont la 24e édition va se tenir du 12 au 28 mars dans toute la France. De ne pas attendre à demain. De questionner ici et maintenant la part la plus fragile, la plus secrète, la plus inouïe de nos existences ».
Place donc à « ce surcroît d’urgence, de chance et de vérité » que la manifestation nous invite à sonder à travers plusieurs événements, dont l’exposition « Un poème pour la vie » présentée jusqu’au 1er avril à la gare Saint-Charles, à Marseille, la rencontre autour de la revue « L’Ephémère », le 16 mars, à la bibliothèque de l’Arsenal, à Paris, la lecture à trois voix du Cantique des Corbeaux de Bartabas (Gallimard), le 21 mars au Théâtre Zingaro, à Aubervilliers, ou la lecture par deux comédiens du Gardeur de troupeaux, de Fernando Pessoa, commenté par Cyril Dion, le 26 mars aux Trois Baudets, à Paris.
Pour approfondir la thématique, signalons la parution de deux anthologies passionnantes : L’éphémère, 88 plaisirs fugaces aux éditions Bruno Doucey et Là ou dansent les éphémères aux éditions du Castor Astral.
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