La culture aussi remplit les poubelles… C’est un fait dont, sans doute, on parle trop peu. Pourtant, il importe qu’elle le fasse nettement moins, dès aujourd’hui, pour marquer son engagement dans la transition écologique. C’est l’un des aspects où ce monde, ses professionnels, ses amateurs et les publics se doivent d’être exemplaires.
Un travail que Yann Domenge Lab et son équipe d’Artstock ont pris à bras le corps, il y a déjà presque quinze ans, à une époque où tout restait à faire. Ils ont été distingués l’an dernier par la première édition d’un dispositif ambitieux, Alternatives vertes, dont la poursuite vient d’être annoncée par la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, et Bruno Bonnell, secrétaire général pour l’investissement, en charge de France 2030.
Un soutien qui permet à Artstock d’ajouter à ses métiers le recyclage valorisant (« upcycling »), cerise sur le gâteau d’un long et patient travail de mise sur pied d’un secteur entier d’économie sociale et solidaire, qui s’est prolongé par la fondation d’un réseau professionnel : RESSAC.
Artstock est une « ressourcerie » pionnière, créée dès 2009. Elle a construit patiemment une activité économique stable autour du « réemploi culturel ». Elle récupère des « matières », déchets du secteur de la culture et notamment des salles de spectacle (décors, mobiliers, accessoires, machines…). Plus de 700 tonnes annuelles sont ainsi collectées et remises en circulation, pour des compagnies artistiques, mais aussi pour n’importe quel citoyen. Vertueuse pour accroître la sobriété en ressources (matières, eau, énergie...), l’économie circulaire réduit aussi l’empreinte carbone : réutiliser et faire du recyclage valorisant émet moins de gaz à effets de serre que produire du neuf.
La logistique au service du climat
« Notre objectif est simple, nous explique Yann Domenge : tout faire pour que les matières que nous collectons circulent, au lieu d’être enterrées ou brûlées. En ce sens, notre vraie spécialité, c’est la logistique ! Et notre force à cet égard, c’est d’être venus en Occitanie (plutôt que de rester à Paris où le foncier pose un grave problème). Ici, nous disposons de 8000 m² de stockage, à Blajan (commune de 500 habitants situé à 30 minutes de Saint-Gaudens). C’est notre force parce qu’un tel espace nous donne la capacité d’attendre le temps qu’il faut pour que toute notre collecte circule à nouveau.
« Un exemple amusant et significatif : dans notre « matériauthèque », ouverte à tous (particuliers comme professionnels de la culture), qui comprend du forex, du contre-plaqué, des tasseaux, des châssis coupés ou à découper, des fermes métalliques, du textile, de la moquette, des sols… vous trouverez aussi les éventails produits pour Aïda, que l’orchestre national de Montpellier a donné au Stade de France en 2010, il y a 13 ans.
« Pour le dire autrement : tous nos efforts consistent à éviter au monde de la culture de faire du déchet. En 2022, nos déchets ultimes, c’est-à-dire ce que nous renonçons à relancer dans le circuit, représentent seulement 1% de notre collecte. »
Du recyclage valorisant
« Le soutien que nous recevons d’ « Alternatives vertes », poursuit Yann Domenge, nous permet d’ouvrir une autre voie à laquelle nous pensions depuis longtemps : transformer, en atelier, certains des matériaux collectés, afin de proposer dans une « éco-boutique » des produits dit « upcyclés », c’est-à-dire valorisés par recyclage, au sens propre de « faire du neuf avec du vieux », à partir du bois, du textile etc.
« C’est à Saint-Gaudens, une ville de 15 000 habitants, situées à 30 minutes de Blajan, que nous avons choisi d’ouvrir ainsi une éco-boutique et un atelier. « Alternatives vertes » nous donne notamment les moyens de le doter des machines à bois et des machines à coudre nécessaires.
« A terme, cet atelier sera aussi un atelier d’insertion professionnelle, pour y accueillir des personnes que nous adressera le Département, ou la Mission locale, qui viendront découvrir nos métiers (comptable, gestionnaire de stock, menuisier, forgeron…). Nous avons une bonne expérience de l’insertion professionnelle à Blajan où nous rapprochons seniors (50 ans et plus) et junior (25 ans et moins). Cette dimension compte à nos yeux et complète notre engagement.
« En somme, avec « Alternatives vertes », on essaie de prendre appui sur le traitement des déchets de la culture pour recréer aussi une économie pleine de sens pour des gens qui sont traversés d’un fort questionnement professionnel. »
Des développements vertueux
Artstock, cette année, ouvre un nouvel espace de stockage en Ile-de-France, à Asnières, et projette de faire circuler les matières collectées par voie navigable, via le port de Gennevilliers. « L’objectif est d’être prêt à le faire pour les Jeux Olympiques », qui vont en effet décupler la production de déchets culturels. L’idée, toujours dans l’esprit d’une logistique vertueuse, est de développer les modes de transports alternatifs sur tout le territoire. « De Gennevilliers il est tout-à-fait possible de rejoindre le Canal du Midi ! Nous sommes en train d’étudier la question. »
Par ailleurs, Artstock est co-fondateur, en 2020, de « RESSAC », réseau des ressourceries artistiques et culturelles, qui rassemble aujourd’hui 7 structures sur 6 régions en France, et organise le partage des flux au sein du vaste écosystème des acteurs de l’événementiel, du spectacle et des industries culturelles et créatives. La profession, en prenant son essor, s’organise donc autour de ses valeurs initiales (éco-responsabilité, économie sociale et solidaire…) et c’est à saluer. Artstock apporte à ce réseau son expérience déjà ancienne et son conseil, notamment pour dupliquer ce modèle au niveau européen.
« Alternatives vertes 2 » : une nouvelle version, enrichie et plus ambitieuse
Le premier appel à projets « Alternatives vertes », lancé en 2021 dans le cadre de France 2030, avec une dotation de 10 M€, a soutenu 35 projets. « Alternatives vertes 2 », élargi et plus ambitieux, doté de 25 M€, poursuivra les mêmes objectifs que son aîné, notamment celui de favoriser l’émergence de projets innovants pour la transition écologique de la culture, réplicables et structurants au regard de leur potentiel de transformation écologique des pratiques dans tous les segments de la chaîne de valeur des entreprises concernées (création, production, diffusion, fin de vie). L'appel à projets concernera à nouveau tous les secteurs culturels, du patrimoine à la création et aux médias en passant par les industries culturelles ou encore l'architecture.
Ce deuxième appel élargit ses objectifs : il intègre, en amont, les enjeux de mesure de l’empreinte environnementale, préalable nécessaire à l’action, et en aval, les outils de formation continue des dirigeants, élément essentiel pour accélérer la transformation des secteurs.
Il s’agira donc dans cette deuxième version de généraliser l’évaluation des impacts environnementaux des activités culturelles (carbone, circuit court, réduction des déchets, impact sur la biodiversité, analyse de cycle de vie, etc.) par le développement d’outils de mesure de référence pour les secteurs culturels visés. Le but est que toutes les entreprises culturelles aient accès à des ressources adaptées pour développer une bonne maîtrise de leurs impacts (référentiels, guides sectoriels de recommandations et de bonnes pratiques ; diffusion en open source de résultats d’expérimentation, etc.).
Et il s’agira enfin, vue la nécessaire montée en compétences des professionnels, d'innover en matière de dispositifs de formation à la transition écologique, dans les filières culturelles.
Partager la page